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Historail
Historail
Historail
Tout ce que vous voulez savoir sur l’histoire du rail
N° 30 – Juillet 2014 – Trimestriel – 9,90
www.laviedurail.com/historail
www.laviedurail.com/historail
• Pour découvrir la nature,
des voyages instructifs
en chemin de fer
•Des transports pour
l’Exposition universelle
de 1900
trimestriel
n° 30
Juillet 2014
avril 1944 : le massacre d’Ascq, «Oradour ferroviaire»
avril 1944
Le massacre d’Ascq
«Oradour ferroviaire»
Juillet 2014
Historail
L
es commémorations ont ceci de
précieux qu’elles permettent de
réparer certains oublis de l’Histoire.
Ainsi celle du 6Juin 1944 où se sont
retrouvés anciens combattants et diri-
geants occidentaux nous donne-t-elle
l’occasion d’évoquer cet Oradour ferro-
viaire qui vit le massacre de 86 villageois
d’Ascq dont plusieurs familles de che-
minots, à la suite du sabotage d’un
train SS.
Cinq cheminots faisaient partie du
commando qui réalisa ce haut fait de
résistance. Leur sacrifice n’a, bizarre-
ment, pas fait l’objet d’un excès de
célébration.
C’est donc une injustice de notre
mémoire nationale qu’
Historail
entend
réparer en publiant ce récit. À un
moment où l’évocation de cette
période terrible inspire outre-Atlantique
plus souvent les procureurs de la SNCF
que ses défenseurs.
V. L.
I
Les oubliés de l’Histoire
I
Extrait
Le martyre d’Ascq/R. Buffet/Dessin de Cartault
La lettre de l’éditeur
La « géologie en chemin
de fer » selon Albert
de Lapparent
Polytechnicien de la promotion 1858,
ingénieur des mines, Albert de Lappa-
rent(1839-1908) s’affirmera tôt
comme un éminent géologue, mem-
bre de l’Institut, contribuant en parti-
culier aux recherches géologiques faites
pour déterminer le tracé du chemin de
fer sous la Manche concédé en 1875
Il publie en 1888 à la Librairie Savy un
ouvrage de 608 pages,
Description
géologique du bassin parisien et des
régions adjacentes,
surtitré
Géologie
en chemin de fer,
dont l’
Introduction
annonce l’objectif: éviter l’ennui du
voyage non plus en recourant à « ces
journaux, brochures et livres dont les
banquettes de compartiments finissent
par être jonchées », mais en observant
« les si instructives » formes du sol,
«qu’elles charment ou non la vue ».
6-
Historail
Juillet 2014
TOURISME
Pour découvrir
la nature,
des voyages instructifs
en chemin de fer
On a déjà évoqué une forme de militantisme pour des voyages
en chemin de fer accomplis « à petite vitesse »
, permettant de
découvrir la France en profondeur, assis dans son compartiment:
Henri Vincenot, par la voix du professeur Lorgnon
, fut le
représentant le plus connu de cette lignée d’auteurs, aujourd’hui
bien oubliés depuis que les trains sont plus conçus pour
se déplacer rapidement d’un point à un autre que pour voyager.
Dans une perspective plus didactique, fin
XIX
siècle,
deux savants de premier plan, le géologue Albert de Lapparent et
le botaniste Gaston Bonnier, se sont essayés respectivement à une
Géologie en chemin de fer
et à une
Botanique en chemin de fer
des parcours « vus du train », sacrifiant la poésie de ces paysages
minéraux ou végétaux qui peut émouvoir le profane à la
précision scientifique et souvent ésotérique de leurs descriptions.
La géologie en chemin de fer
En dehors du pittoresque, ils
n’en éveilleront aucune qui
se rapporte à la
nature
pro-
prement dite.
«Ce que les guides font pour
le simple touriste, qui n’a
d’autre ambition que de pou-
voir, à son retour, émailler sa
conversation de quelques
noms de villes, de châteaux
ou de points de vue, nous
voulons le tenter pour ceux des voya-
geurs qui ne se refuseront pas à une
attention plus soutenue. C’est du pay-
sage seul que nous leur parlerons.
Encore ne le ferons-nous pas en
artiste. Qu’il s’agisse de plaines, de
vallées ou de montagnes, tout ce qui
se passe devant les yeux a pour nous
un égal intérêt: car tous nous parlent
de l’histoire du globe et les formes du
sol, qu’elles charment ou non la vue,
ne cessent pas un instant d’être ins-
tructives. Enseigner aux intelligences
curieuses le secret de ce langage de
la nature, essayer même de le leur
rendre intéressant, telle est la pensée
qui inspiré la composition de ce livre.
«Mais n’est-ce pas une grande illu-
sion que de vouloir assujettir des gens
du monde à un pareil exercice? Com-
ment obtenir d’eux la dose d’atten-
tion voulue? Comment réussir à les
entraîner sur un terrain aussi nouveau,
aussi parfaitement étranger à leurs
préoccupations habituelles?
«La difficulté est grave; pourtant elle
ne suffirait pas à nous arrêter. N’est-il
pas permis en effet de compter sur
un puissant auxiliaire? Nous voulons
parler du désœuvrement, dont témoi-
gnent aussi bien, à la fin d’une longue
route, les journaux et les livres dont
les banquettes de compartiments
finissent par être jonchées; indice élo-
quent des efforts désespérés que fera
toujours un voyageur pour échapper
à l’ennui. Combien d’ailleurs, parmi
ces livres, même en fait de romans,
n’ont répondu que d’une manière
insuffisante à cette sorte de distrac-
tion! Combien mériteraient tout au
plus qu’un lecteur indulgent leur
appliquât le mot de Dandin:
«Bon! Cela fait toujours passer une
heure ou deux!
«Est-il donc si téméraire de souhai-
ter qu’une part de cette complaisance
vienne à s’égarer sur un petit livre, qui
se propose d’intéresser le voyageur,
une façon permanente et directe, au
chemin qu’il parcourt, et dont l’au-
teur a pour principale ambition de
faire aimer davantage, en le faisant
mieux connaître, le sol de la patrie
française? »
Limité au très grand bassin parisien,
ainsi Lapparent propose une vingtaine
d’itinéraires rayonnant depuis Paris
pour atteindre les contrées périphé-
riques de ce qu’il appelle le bassin de
Paris
(voir leurs tracés en rouge sur la
carte)
: Vosges (lignes de Strasbourg
et de Belfort), Eifel (
Verdun et
Thionville), Ardennes (lignes de Char-
leville et d’Hirson), Brabant et Lim-
Creil et Hautmont), Pas-de-
Calais, Haute-Normandie, Cotentin,
Bretagne, Vendée, Limousin par le Poi-
tou ou par Orléans, Plateau central
par le Berri ou par l’Auvergne, Mor-
van, Jura (
Laroche et Dijon). Au
lecteur-voyageur disposant de son
livre, Lapparent adresse un important
avertissement
(p.129)
: ses descrip-
tions si précises mais datées peuvent
n’être plus à jour, tant l’environne-
ment immédiat visible de la voie ferrée
a pu évoluer après plusieurs années
d’exploitation; tranchées, tant les car-
rières et ballastières ont certainement
perdu leurs couleurs vives originelles,
envahies éventuellement par la végé-
tation… Mais de rassurer le lecteur:
ce ne sont là toutefois que des détails
visuels du second ordre!
« Les descriptions qui vont suivre indi-
quent tout ce qu’un voyageur, regar-
dant, selon les cas, à droite
gauche
de la direction que suit le
train, peut observer d’intéressant sur le
chemin qu’il parcourt.
«L’altitude de la plate-forme de chaque
station et des points principaux de la
ligne est donnée, en mètres, par des
chiffres placés entre parenthèses. Cette
approximation nous a paru suffisante,
bien que, très souvent, les chiffres rela-
tifs aux altitudes soient inscrits, sur le
bâtiment même des stations, avec trois
décimales, c’est-à-dire que l’évaluation
a été poussée jusqu’au millimètre. […]
« Il importe de remarquer que tout ce
qui, dans nos descriptions, concerne
l’état des tranchées ou celui des exca-
vations artificielles visibles de chaque
ligne, se rapporte à la période 1884-
1887, pendant laquelle nous avons
effectué tous nos voyages d’explora-
tion en vue de ce livre. Beaucoup de
carrières sont de durée très passagère
et l’aspect d’une tranchée peut changer
singulièrement avec le temps. Il en est
qui, au début de l’exploitation, offraient
à l’œil la plus intéressante succession
de couches aux couleurs vives et variées,
mais que la végétation a depuis enva-
hies, quand les parois n’ont pas com-
plètement disparu sous les plantations
et même sous un muraillement continu.
Par contre, certains accidents, survenus
à la suite d’hivers humides, ou encore
des travaux entrepris pour l’établisse-
ment d’une seconde voie longtemps
ajournée, peuvent rendre à nouveau
instructifs des terrassements qui avaient
cessé d’offrir aucun intérêt. Pour ces
divers motifs, il est possible que sur plus
d’un point, nos descriptions ne soient
plus, au moment où le lecteur les utili-
sera, en concordance absolue avec
8-
Historail
Juillet 2014
TOURISME
Lapparent et son
guide proposant
une nouvelle lecture
du paysage
«vu du train».
DR
Juillet 2014
Historail
l’état des lignes. Mais ce désaccord ne
portera jamais que sur des détails d’or-
dre très secondaire, et d’ailleurs il est,
de sa nature, impossible à éviter. »
Nous avons sélectionné deux extraits
parmi ces nombreux itinéraires
: le
premier, de Paris jusqu’à Noisy-le-Sec
, illustre la nature encore
rustique du paysage, entrevu à peine
sorti des fortifications, un paysage très
vite bouleversé, d’une extrême pré-
carité, rongé par l’extension de la
banlieue urbanisée, s’étendant rapi-
dement comme tache d’huile; le
second extrait
, de Ton-
nerre à Montbard, sur la grande artère
du PLM, est moins bouleversé: il illus-
tre plutôt comment la géologie déter-
mine ici ou là la présence de certaines
industries extractives, en l’occurrence
les fameuses carrières de pierres de
Bourgogne qui, alors en pleine exploi-
tation, jalonnaient la voie ferrée.
De Paris jusqu’à
Noisy-le-Sec
«Dès la sortie des fortifications, la
ligne aboutit à la grande plaine d’
al-
luvions anciennes
de Saint-Denis. Mais
elle ne s’y engage pas et se contente
de la côtoyer longeant
le pied des
coteaux de Belleville et de Romain-
ville, toujours à la hauteur des marnes
infragypseuses. À partir de Pantin
(51m), on juge bien de ce plateau de
Belleville, prolongement septentrional
de la Brie, dont il n’est séparé que par
la Marne. Un peu au-dessous de la
crête, vers la sortie du faubourg des
Lilas, une carrière de sable se signale
de très loin par sa couleur jaune. C’est
la base du sable de Fontainebleau,
caractérisée en ce point par des blocs
d’un grès ferrugineux, abondant en
empreintes de fossiles marins.
«La ligne double
le promontoire
du fort de Romainville, dont la base
se profile en grands escarpements
d’un blanc jaunâtre. Ce sont les fronts
de taille de plâtrières aujourd’hui aban-
données, attestant, par la régularité
des couches horizontales successives,
le calme au milieu duquel a dû se faire
le remplissage des lagunes parisiennes
à l’époque du gypse. Plus loin on voit
apparaître
l’église de Romainville,
dominant un vallon où sont ouvertes
d’importantes carrières, en partie sou-
terraines, de pierre à plâtre. On dis-
tingue, à mi-côte, les masses supé-
rieures du gypse
renommées pour les
ossements de mammifères qu’elles
contiennent. C’est aussi dans ces
niveaux élevés que se rencontrent ici
des marnes contenant les classiques
cristaux de gypse en
fer de lance.
Par-
dessus viennent des marnes pyriteuses,
d’un gris bleuâtre, surmontées par des
marges blanches, le tout mis à jour
par le découvert des plâtrières. Enfin,
au sommet, les
glaises vertes
tranchent
nettement, par leur couleur, sur les
assises inférieures, et à leur base, on
aperçoit un cordon d’un jaune grisâtre,
formé par les
marnes à cyrènes,
couche à mollusques d’eau saumâtre.
Cette couche atteste un retour
momentané des eaux marines sur le
lac où s’étaient déposées des marnes
blanches supérieures au gypse, et dites
marnes de Pantin.
En montant sur le
plateau, on s’assurerait que ce régime
marin a été bientôt interrompu par la
formation du lac
oligocène,
où se sont
déposées des concrétions siliceuses
dites
meulières de Brie.
Mais la mer
devait faire de nouveau irruption et
étaler au-dessus les sables
tongriens,
dont un lambeau seulement a été
conservé sur les hauteurs de Belleville
et de Montmartre.
«La ligne s’éloigne des côtes, dont le
talus adouci laisse deviner que toute
couche dure fait défaut et, à Noisy-
le-Sec (50m), on peut voir, soit dans
les petites tranchées de la gare, soit
un peu avant celle-ci, près de Bobi-
gny, sur les parois du canal
passe sous la voie, les
marnes infra-
gypseuses,
en couches minces capri-
[ pour découvrir la nature, des voyages instructifs en chemin de fer]
Les voies ferrées
(en rouge) de la
banlieue nord-est
de Paris, d’après la
Carte des environs
de Paris, Andriveau-
Goujon, 1890.
Coll. G. R.
n’est la progression, tranchée par tran-
chée, des relevés, ou l’indication des
proches ballastières et carrières.
Signées
« Jannel, Géologue dessina-
teur principal »,
les premières de ces
brochures sont paraphées du visa de
l’ingénieur en chef de la Construction,
puis de celui du directeur de la
Construction (du seul visa de l’ingé-
nieur en chef de la Voie en 1894). Plu-
tôt troublant est le fait que ces visas
sont toujours tardifs: la brochure
Hir-
son à Amagne,
achevée le 22mars
1885, obtient le visa de l’ingénieur en
chef de la Construction le 18janvier
1887, celui du directeur, le 20mars
1888… Ce qui semble refléter un
intérêt limité à ces relevés, dont l’éla-
boration devait être plutôt fastidieuse,
comme leur lecture. Lapparent ren-
dra hommage toutefois à la Compa-
gnie de l’Est pour avoir créé un tel ser-
vice; quant à Jannel, membre de la
Société géologique du Nord, mort en
1904, il ne passera pas à la postérité.
Georges Ribeill
14-
Historail
Juillet 2014
TOURISME
1. G. Ribeill, « Quelques militants d’un tourisme ferroviaire à petite vitesse »,
Historail,
n°2, juin2007, pp. 78-91.
2. Série d’articles parus dans
La Vie du Rail
et repris en divers volumes,
Les voyages du professeur Lorgnon.
3. Voir la
Revue générale des chemins de fer,
juillet1882, p.40.
4. Dans l’article d’
Historail
précédemment cité, on avait reproduit le parcours de Paris à Louvres, au nord de la capitale, pp. 79-82.
5. Bon nombre d’autres savants souligneront au
XIX
e
siècle de même les nombreuses découvertes archéologiques accidentelles
faites lors des chantiers ferroviaires, dans leur traversée des villes notamment, l’exhumation des vestiges des premières
implantations gallo-romaines, bâtiments, objets utilitaires, monnaies, etc.
6. Sazilly, « Notice sur les conditions d’équilibre des massifs de terre et sur les revêtements des talus », Annales des Ponts et
Chaussées, 1851.
7. Bricka,
Cours de chemins de fer professé à l’École nationale des Ponts et Chaussées,
1894, T.1, p.70.
8. D’après la notice nécrologique parue dans le
Bulletin de la Société géologique de France,
tomeXXV, 1868, p.558.
Extraite d’un
des fascicules
de Mille, coupe
géologique de la
ligne de Brest
aux alentours
d’Yffiniac
dans les Côtes-
du-Nord.
Docs École des Mines de Paris
Juillet 2014
Historail
[ pour découvrir la nature, des voyages instructifs en chemin de fer]
G
aston Bonnier (1853-1922),
botaniste passé par l’École Nor-
male supérieure de 1873 à 1876,
membre de l’Institut, professeur à la
Sorbonne, est le plus connu des bota-
nistes français tant sa
Nouvelle
Flore pour la détermination
facile des plantes sans mots
techniques,
écrite en colla-
boration avec Georges de
Layens et parue pour la
première fois en 1886,
sera continuellement réédi-
tée. Il a publié aussi entre
autres une petite brochure de
16 pages,
La Botanique en chemin
de fer, de Monestier-de-Clermont à
Sisteron,
éditée à Grenoble par Xavier
Drevet, éditeur déjà du
Guide du
botaniste dans le Dauphiné
de l’abbé
Ravaud, paru sous la forme de pla-
quettes traitant d’excursions précises.
Reliant Monestier-de-Clermont à
Sisteron en empruntant la ligne de
Grenoble à Veynes, « l’une des plus
extraordinaires qui existent en France,
tant par la variété et la beauté pitto-
resque des paysages qu’elle révèle,
que par la hardiesse avec
laquelle elle a été établie »
selon le
Guide-Album PLM
de 1914, le guide ainsi
proposé est bien une
transposition botanique de
la démarche de l’auteur de
La Géologie en chemin de
fer
, bien que Bonnier s’en
défende dans son introduction:
« Je n’ai pas la prétention, sous le titre
de
La Botanique en chemin de fer,
de donner un pendant au charmant
ouvrage de mon confrère M.de Lap-
parent, et qui a pour titre
La Géologie
en chemin de fer.
Je n’ai d’autre but
que de montrer par quelques exem-
ples l’attrait que peut présenter un
trajet en chemin de fer pour tous ceux
qui s’intéressent aux plantes et en
général à la végétation.
«Je choisis, comme premier type
de ce genre d’observation rapide, l’in-
téressant trajet qui relie Grenoble à
Sisteron, par le col de la Croix-Haute.
Je crois qu’un tel exemple fera bien
saisir quelles sont les diverses ques-
tions de géographie botanique dont
peut s’occuper le voyageur restant
dans un train, à la condition qu’il
puisse regarder par la portière de son
compartiment. »
Voici donc à titre suggestif quelques
extraits des observations faites à
partir de la gare de Monestier-de-
Clermont.
La botanique en chemin de fer
Photorail/SNCF
Ci-dessus:
Monestier-de-
Clermont, le pont
de la Laurière
et la chaîne
de la Moucherolle.
Couverture
de «La Botanique
en chemin de fer»
de Gaston Bonnier
(en médaillon
à gauche).
DR
18-
Historail
Juillet 2014
TOURISME
Coll. G. R.
Botaniser en gare!
La traque des plantes qui voyagent en train…
Arrivé à la station de Lus-la-Croix-Haute, Gaston Bonnier
n’a donc pas manqué de « profiter de l’arrêt du train pour
herboriser rapidement entre les rails.» C’était une pratique
assez courante que de s’intéresser à la flore des gares,
où pouvaient se mélanger facilement plantes indigènes
et plantes plus exotiques dont les graines accrochées
aux wagons étaient acheminées et éparpillées au gré
de leurs longs périples.
C’est ce que confirment en 1903 les deux botanistes Lasnier
et Ravin
, partis d’Auxerre un jour de printemps pour
une excursion botanique aux confins de la forêt d’Othe
surplombant Joigny. Le long arrêt en gare de Laroche a été
mis à profit pour faire d’intéressantes trouvailles!
« Au matin du 24mai, à 9h30, nous prîmes, la boîte à dos et
le piochon à la main, le train depuis Auxerre jusqu’à Joigny.
Mais comme il donne plus d’une heure d’arrêt à Laroche,
nous en avons profité pour explorer la gare et les abords
environnants du canal de Bourgogne.
«Nous aimons à visiter les gares parce qu’en général
on y récolte des plantes nouvelles. La plupart des végétaux
sont surtout par leurs graines, voyageurs et aptes
à la colonisation. Aujourd’hui, les chemins de fer forment
le meilleur véhicule pour leurs pérégrinations. Transportés
au loin par les wagons, les germes sont disséminés sur
le parcours, et notamment dans les gares où ils deviennent
souvent la base de stations nouvelles.
«C’est ainsi qu’à Laroche, nous avons eu à signaler, à une
date relativement récente, le
Diplotaxis tenuifolia
(Diplotaxis
à feuilles ténues – dit Roquette jaune ou Herbe puante –,
crucifère fréquente sur les talus des chemins de fer, comme
la suivante). Il est sans doute venu, par marchandises, de la
gare de Lyon-Paris, où il foisonne sur les décombres. Avant,
nous ne le connaissions pas pour le département. À côté
s’est également fixé le
Lepidium Draba
(Passerage Drave
– dit
Pain-Blanc –,
autre crucifère relevée aussi en gare
de Vézinnes, Chemilly, selon la
Flore
de Ravin)
que nous rencontrons aujourd’hui dans maints endroits
sur le talus de la voie.
«Dans le canal, nous avons à citer une autre plante
également voyageuse, mais celle-ci par eau. C’est l’
canadensis
(Élodée du Canada [dite
Peste-des-Eaux
orchidée) qui nous vient d’Amérique, du Canada sans doute,
qui a été signalée pour la première fois dans l’Yonne,
à la place où nous étions. C’est une herbe essentiellement
prolifique et qui devient encombrante pour la navigation.
«Les chambres d’emprunt des chemins de fer sont aussi
au bout de quelques années de bonnes stations botaniques.
Celle de Laroche est une des meilleures. Nous y avons
reconnu en passant
Carex paniculata
(Carex paniculé
– dit
Laîche paniculée, faux-souchet,
cypéracées) et
Pseudocyperus, Blysmus compressus,
(Blysme – ou Scirpe –
comprimé, cypéracées),
Epilobium palustre
marais, onagrariées) et plusieurs
Potamogeton,
comme
perfoliatus, pectinatus
lucens
(Potamot perfolié, pectiné,
luisant – dit
Épi-d’Eau luisant
–, potamées).
«Mais l’heure était arrivée de reprendre le train qui nous
déposa bientôt à la gare de Joigny… »
1. « Excursions botaniques en forêt d’Othe »,
Bulletin de la Société
des sciences historiques et naturelles de l’Yonne,
semestre 1903,
Auxerre, pp. 133-137. Les retranscriptions des termes latins comme
des familles renvoient à la troisième et dernière édition de la
Flore
de l’Yonne
de Ravin, parue en 1883.
En gare de
Laroche, entre
les voies du PLM
et de la ligne du
Serein, un îlot de
verdure préservé
par la brigade
des cantonniers?
Des transports
pour
l’Exposition
universelle
de 1900
ÉVÉNEMENT
Juillet 2014
Historail
L
e métro à Paris? Une vieille his-
toire. 50 ans qu’on en parle et
qu’on se déchire pour savoir quel
réseau construire. Depuis 1863, il cir-
cule à Londres en souterrain pour
relier les principales gares de la capi-
tale. À Paris, les grandes compagnies
aimeraient bien prolonger leurs lignes
jusqu’au cœur de la ville. Elles imagi-
nent un chemin de fer desservant les
principaux points de la capitale et
déposant leurs voyageurs au plus près
de leur destination finale. En clair, un
métro au service des compagnies
davantage qu’un moyen de transport
pour les Parisiens. Si cette option est
soutenue par l’État et par l’autorité
militaire qui y voit un moyen d’ache-
miner la troupe, la Ville de Paris en
revanche y est farouchement oppo-
sée. Ce qu’elle désire, c’est un trans-
port de proximité au service des Pari-
siens, avec des stations rapprochées
et des lignes couvrant l’ensemble de la
ville, périphérie comprise. Alors que
le premier projet est présenté en 1845
pour la desserte des Halles, le dossier
va peu à peu s’enliser et, à l’approche
de l’Exposition de 1900, on en est
toujours à se déchirer sur le type de
métro à construire. Les projets se sont
multipliés sans qu’un consensus puisse
se dégager. On s’oppose sur à peu
près tout, le type de métro (pour la
ville ou les grandes compagnies), le
mode de traction (vapeur, électrique,
air comprimé, voire plan incliné), mais
aussi sur la place du métro dans Paris,
(en viaduc ou sous-sol).
La bataille entre la municipalité
d’une part et les grandes compagnies
soutenues par l’État d’autre part, va
se prolonger jusqu’à la toute fin du
XIX
siècle. L’imminence de l’Exposition
va finalement faire céder l’État qui va
se ranger au projet de la Ville de Paris
pour un métro purement municipal.
Craignant malgré tout de voir son
réseau utilisé par les grandes compa-
gnies, la ville va opter pour la circulation
à droite, un gabarit réduit et la voie
étroite. Au final, le métro circulera sur
voie standard, la largeur de ses gale-
ries et son profil interdisant son accès
au grand chemin de fer. La longueur
des quais est fixée à 75m, les stations
sont distantes en moyenne de 500m.
On a retenu la traction électrique de
600 V continu par 3
rail conducteur.
En cette année 1900, Paris s’apprête à devenir pour quelques mois la capitale du
monde. Après l’Exposition universelle de 1889, qui a vu notamment la construction
de la tour Eiffel, cette nouvelle édition de l’événement est prévue plus imposante
encore que la précédente. Devant l’afflux exceptionnel de visiteurs attendus, les
transports vont devoir s’adapter. En projet depuis près de 50 ans, le métro est enfin
mis en service. Les grandes compagnies de chemin de fer vont également prolonger
leurs lignes au cœur de la capitale. De son côté la Petite Ceinture va montrer
son extraordinaire potentiel. Les omnibus et les tramways vont également faire face
en créant de nouvelles lignes et en modernisant leurs modes d’exploitation.
Au cœur même de l’Exposition, un service performant va permettre d’acheminer les
visiteurs sur les différents sites. Tous modes confondus, omnibus, tramways, bateaux,
trains… près de 500millions de voyageurs vont être transportés durant l’événement.
La Ville de Paris remporte la bataille du métro
Page de gauche:
proche de la tour
Eiffel, héritage
de l’Exposition
universelle de 1889,
le Grand Globe
céleste, attraction
inaugurée pour
l’Exposition de 1900
(© Institut national
d’histoire de l’art).
Les principaux
accès du métro
sont dotés
d’édicules Guimard,
comme ici
la station Bastille.
Photorail/SNCF
Juillet 2014
Historail
L
a portée de l’Exposition va conduire
les compagnies à s’adapter pour
faire face à l’afflux exceptionnel de
visiteurs. Des gares sont reconstruites
(comme la gare de Lyon par le PLM)
et de nouvelles entités sont créées
pour être au plus près de l’événement.
Si les grandes compagnies ont perdu
la bataille du métro, elles vont en effet
obtenir de prolonger certaines lignes
vers le cœur de Paris, améliorant ainsi
la desserte de l’Exposition.
La ligne de Sceaux exploitée par le PO
(Paris – Orléans) est la première à être
prolongée vers le centre. Son termi-
nus de Denfert est excentré et la
modernisation engagée sur la ligne,
avec notamment la reprise du tracé
de la branche de Robinson, passe par
une meilleure arrivée dans Paris. Gas-
ton Jacobs dans son livre
La Ligne
de Sceaux
nous donne des détails sur
ce prolongement. Engagés en 1893,
les travaux d’extension vont s’étaler
jusqu’en 1895, date d’ouverture du
terminus de Luxembourg. La nouvelle
ligne prend naissance à Denfert, trans-
formé en gare de passage, file au nord
vers une nouvelle station Port-Royal
réalisée en tranchée, et pousse le long
du boulevard Saint-Michel vers Luxem-
bourg. La station, souterraine, est envi-
sagée comme terminus provisoire en
attendant une extension au nord.
Aucune gare monumentale n’est édi-
fiée, les accès étant discrètement pla-
cés dans un immeuble du boulevard.
On envisage un temps un futur termi-
nus à hauteur du square Cluny avant
que le PO ne retienne le quai d’Orsay
où il construit une nouvelle gare. Dans
ce bâtiment monumental, deux voies
seront réservées pour les trains de la
ligne de Sceaux. Ce projet, on le sait,
ne sera jamais réalisé (notamment en
raison du profil au nord de Luxem-
bourg) et il faudra attendre décem-
bre1977 pour que la ligne arrive à
Châtelet-Les Halles (et même 1988
pour l’ouverture de la station inter-
médiaire de Saint-Michel).
L’autre chantier, c’est cette nouvelle
gare dans Paris pour le PO. La compa-
gnie a en effet obtenu de pouvoir pro-
longer sa tête de réseau de la gare
d’Austerlitz vers la gare d’Orsay (deve-
nue musée en 1986) en longeant les
quais de la Seine. Cette extension qui
permet un rapprochement vers le
cœur de l’Exposition offrira également
Les grandes compagnies de chemin de fer
prolongent leurs lignes dans Paris
La Compagnie
du PO prolongera
sa ligne dans Paris
(le long des quais
de la Seine) en
déplaçant sa tête de
réseau d’Austerlitz
à Orsay (photo).
DR/Photorail
Tirage disponible
cf.
p. 4
Réf. 300231
de Champ-de-Mars (plus au cœur de
l’événement) où la plupart des trains
font terminus.
L’Ouest a également obtenu la
construction d’une nouvelle antenne
depuis la ligne d’Auteuil jusqu’au
Champ-de-Mars. Cet embranche-
ment entre les stations Avenue-du-
Trocadéro (aujourd’hui Avenue-Henri-
Martin) et Champ-de-Mars a nécessité
la mise à quatre voies de Courcelles-
Ceinture à Trocadéro où un saut-de-
mouton permet de rejoindre Champ-
de-Mars grâce à une nouvelle passerelle
sur la Seine. Deux gares intermédiaires
sont édifiées, Boulainvilliers et Quai-
de-Passy. Dès son ouverture le 12avril
1900, le raccordement de Boulain-
villiers est emprunté par six trains par
heure, quatre au départ de Saint-Lazare
et deux de Courcelles-Ceinture.
[ des transports pour l’Exposition universelle de 1900 ]
Ph.-E. Attal
Extrait du Guide Flammarion 1900/Coll. Ph.-E. Attal
DR/Photorail
DR/Photorail
26-
Historail
Juillet 2014
La Petite Ceinture
joue sa plus belle
partition
E
n attendant l’ouverture du métro,
Paris dispose déjà d’un chemin de
fer urbain avec la Petite Ceinture com-
plétée à l’ouest par la ligne d’Auteuil.
La construction du raccordement de
Boulainvilliers va permettre de desser-
vir l’Exposition au plus près. À l‘origine,
la Ceinture n’est pas destinée à assurer
un transport voyageurs de masse, sa
priorité restant aux marchandises. La
nature exceptionnelle de l’événement
va conduire à adapter son offre pour
répondre aux exigences imposées.
Jusqu’alors, les trains circulaient à la
cadence de 10 minutes à la pointe, en
circulaire de Courcelles-Ceinture à
Courcelles-Ceinture
la ligne d’Au-
teuil, et de gare du Nord à Courcelles-
Ceinture
Auteuil-Boulogne. Avec
l’Exposition, la marche des trains va
s’adapter. Une partie du trafic mar-
chandises va être détournée vers la
Grande Ceinture pour permettre
d’augmenter le nombre de circulations.
Bruno Carrière dans son livre
La Petite
Ceinture
nous donne le détail des ser-
vices engagés durant l’Exposition:

Paris-Saint-Lazare – Auteuil – Cour-
celles-Ceinture, deux trains par
heure et par sens;

Paris-Nord – Courcelles-Ceinture –
Paris-Nord, deux trains heure et par
sens;

Courcelles-Ceinture – Auteuil – Parc-
de-Montsouris, deux trains par
heure et par sens;

Courcelles-Ceinture à Champ-de-
Mars
Boulainvilliers, deux trains
par heure et par sens.
On compte également des navettes
de Bel-Air à Champ-de-Mars, deux
par heure et par sens.
Des directs Paris-Nord à Champ-de-
Mars
Courcelles-Ceinture d’un à
deux par heure et par sens.
L’offre est encore renforcée en fin de
semaine.
À ces trains de Ceinture s’ajoutent des
services depuis Saint-Lazare, où deux
trains par heure rejoignent le Champ-
de-Mars
la ligne des Moulineaux.
Les trains de Ceinture gagnent le
Champ-de-Mars par Boulainvilliers
mais aussi par Grenelle depuis Mont-
souris grâce au raccordement de Javel.
La plupart des trains ont Champ-de-
Mars pour terminus où deux gares
sont édifiées, une de passage vers
Invalides et une autre terminus au
pied de la tour Eiffel. Cette dernière,
digne des grandes lignes, dispose
d’une vingtaine de voies à quai tandis
qu’on a installé une dizaine de
kiosques le long de l’avenue de Suf-
fren pour la vente des billets. Pour la
circonstance, on a démonté l’ancienne
gare édifiée pour l’Exposition de 1878
pour l’installer à Bois-Colombes. Pour
la seule durée de l’Exposition d’avril à
novembre1900, la gare de Champ-
de-Mars va ainsi recevoir plus de
10millions de voyageurs. Comme
nous l’apprend Pierre Bouchez dans
son ouvrage
La Ligne des Moulineaux,
la compagnie de l’Ouest va récom-
penser son personnel d’une allocation
spéciale en fin d’année pour ce ser-
vice exceptionnel de l’Exposition.
Trop grande, la gare de Champ-de-
Mars ne survivra pas à la fin de la
manifestation et retrouvera bientôt sa
vocation marchandises, notamment
pour le charbon. Seule subsistera la
halte sur la ligne des Moulineaux
désormais intégrée au RER C.
ÉVÉNEMENT
À droite:
Courcelles-Ceinture,
dans le XII
arrondissement,
va délaisser le trafic
marchandises pour
devenir une gare clé
de la desserte
voyageurs durant
l’Exposition.
En bas: la ligne de
Petite Ceinture au
niveau du boulevard
Pereire (photo prise
depuis l’avenue
des Ternes).
Juillet 2014
Historail
L’autre site de l’Exposition, c’est le bois
de Vincennes. Un nouvel arrêt Claude-
Decaen est ouvert sur la Ceinture pour
desservir l’annexe « automobiles et
cycles ». La nouvelle station va ainsi
recevoir près de 1400000 voyageurs.
Améliorant la desserte du quartier, la
gare sera finalement maintenue après
L’Exposition aura été l’occasion pour
la Ceinture de montrer son réel
potentiel.
En 1900, elle va ainsi atteindre son
record de fréquentation avec plus de
39millions de voyageurs soit environ
9millions de plus que l’année précé-
dente. Mais ce chant du cygne n’em-
pêchera pas la baisse progressive de
sa fréquentation faute de moderni-
sation.
Photos Photorail/SNCF
28-
Historail
Juillet 2014
E
n 1900, une bonne part des trans-
ports parisiens est encore assurée
par les omnibus et les tramways. Si la
CGO (Compagnie générale des omni-
bus) a le monopole des omnibus, l’im-
portant réseau de tramways est réparti
entre la CGO et deux autres compa-
gnies, TPDS (Tramways de Paris et du
département de la Seine) au nord de
Paris et CGPT (Compagnie générale
parisienne de tramways) au sud. À
ces trois exploitants s’ajoute tout un lot
de compagnies plus ou moins impor-
tantes qui exploitent une ou plusieurs
lignes de banlieue qui, pour certaines,
poussent jusqu’au cœur de la capitale.
La perspective de l’Exposition va venir
bousculer l’offre.
Louis Lagarrigue dans
Cent ans de
transports en commun dans la région
parisienne
nous apporte des préci-
sions. Du côté de la CGO, une qua-
rantaine de lignes d’omnibus à trac-
tion hippomobile assurent déjà un
service performant pour l’époque. La
compagnie va tout de même adapter
son offre pour assurer la desserte du
cœur de l’Exposition dans les secteurs
de Concorde, du Champ-de-Mars, et
de l’annexe du bois de Vincennes.
Deux nouvelles lignes sont ainsi créées:

Palais-Royal – École-Militaire;

Porte-Saint-Martin – Concorde.
Côté tramways, la CGO va mettre en
service quatre nouvelles lignes en trac-
tion hippomobile:

Point-du-Jour – Alma;

Gare de l’Est – Concorde;

République – Concorde;

Bastille – Concorde.
Pour l’annexe de Vincennes, elle ouvre
une ligne de Pont-National à Porte-
Reuilly jusqu’au cœur de l’Exposition.
Une autre branche de cette ligne est
au départ de la rue Montempoivre.
Dans le même temps, plusieurs lignes
d’omnibus et de tramways sont modi-
fiées et prolongées.
En parallèle, la CGO va moderniser
les lignes qui desservent l’Exposition.
Elle adopte ainsi la traction par air
comprimé sur cinq lignes:

Montrouge – Gare de l’Est;

Passy – Hôtel-de-Ville;

Auteuil – Boulogne;

La Muette – Taitbout;

Auteuil – Madeleine;
et la vapeur sur Bastille – Rapp.
Ces changements de mode de trac-
tion doivent permettre d’augmenter
la capacité des lignes. Les autres com-
pagnies de tramways vont procéder
pareillement en adaptant leur offre
pour l’événement. Alors qu’on pour-
rait penser le service des tramways
largement suffisant, de nouvelles
compagnies vont voir le jour, alléchées
par la perspective de juteux bénéfices
au vu des millions de visiteurs atten-
dus. Jean Robert dans
Les Tramways
parisiens,
revient en détail sur ces
créations. En plus des neuf compa-
gnies existantes en 1899, six nouvelles
sont formées à l’approche de l’Expo-
sition. Apparaissent ainsi l’Est Parisien,
le Nord Parisien, la Rive Gauche,
l’Ouest Parisien, le Vanves – Champ-
de-Mars et le Chemin de fer du bois
de Boulogne. De son côté, la compa-
gnie des Tramways mécaniques des
environs de Paris jusqu’alors isolée en
banlieue s’installe aux portes de la
capitale. Si certaines de ces compa-
gnies envisagent de construire des
lignes arrivant au plus près de l’Expo-
sition, d’autres se rabattent plus sage-
ment sur le nouveau métro ou les
bateaux parisiens. La plupart de ces
lignes ont été concédées sans vision
globale, destinées à la seule Exposi-
tion avec une rentabilité hypothétique
Omnibus et tramways
au service de l’Exposition
Ci-contre:
le terminus de la
ligne de La Muette
rue de Passy.
Ci-dessous:
en 1900,
les transports
de surface sont
assurés en grande
partie par les
omnibus. Au musée
de l’Amtuir à
Chelles, les visiteurs
ont pu prendre
place à bord d’une
antique voiture
de la CGO
lors des Journées
du patrimoine
(16 sept. 2012).
Photorail/SNCF
Ph.-E. Attal
De gauche à droite:
de cet ensemble de palais émergent les deux cheminées
monumentales des machines motrices de l’Exposition
et la Grande Roue de Paris (© Le Panorama).
Chemin de fer des Invalides: la gare avenue de l’Alma
(© Photorail/SNCF).
Des tramways à vapeur au rond-point de l’Étoile (© Photorail/SNCF).
Ci-dessous: quelques années après l’Exposition, le réseau de métro
s’est bien développé tandis que les tramways et les omnibus
complètent la desserte du transport parisien. Les grandes
compagnies ont prolongé leurs lignes vers le cœur de Paris
à la faveur de l’Exposition et la Petite Ceinture joue encore un rôle
prédominant (Hachette Joanne).
fermeture de l’Exposition, le tout étant
démonté en attendant la construction
du « vrai » métro.
L’autre transport, moins convention-
nel, c’est « la rue de l’avenir », un
trottoir roulant. Installé sur viaduc,
long de 3400m, il est constitué en
fait de trois trottoirs différents. Le pre-
mier, fixe, permet d’en rejoindre un
second à vitesse relativement lente de
3,6km/h. Le visiteur s’engage ensuite
sur un troisième plus rapide (7,2km/h)
qui constitue le véritable transport. Le
passage de l’un à l’autre des trottoirs
devait, si l’on respectait la procédure,
s’effectuer sans dommage, le nom-
bre de chutes restant marginal. Les
trottoirs étaient en fait posés sur roues
montées sur rails, véritables wagons
d’un chemin de fer de plusieurs kilo-
mètres de long. Le parcours s’effec-
tuait en 25 minutes et si l’on compte
quatre voyageurs par m
, sa capacité
sur les 13heures de fonctionnement
était de 850000 voyageurs, soit un
trafic quotidien proche de celui d’une
ligne de métro. Ce trottoir roulant va
bientôt constituer l’une des attractions
à part entière de l’Exposition avant
que ce type de transport ne se bana-
lise dans les métros et les aéroports
d’aujourd’hui.
Philippe-Enrico Attal
34-
Historail
Juillet 2014
ÉVÉNEMENT
Un funiculaire
pour la butte Montmartre
Même si le site de la butte Montmartre ne fait
pas partie de l’Exposition, c’est bien en 1900
qu’a été ouvert le funiculaire qui permet
de s’affranchir de ses nombreux escaliers.
Construit par la société Decauville, la ligne
est longue de 108m et permet de franchir
une dénivellation de 36m sur une rampe
de 350mm/m. Deux cabines circulent
sur une voie à écartement classique au centre
de laquelle est placée une crémaillère pour
le freinage d’urgence. Tractées par câbles, les
cabines qui peuvent transporter 48 voyageurs
fonctionnent par contrepoids d’eau. À cette fin,
deux réservoirs sont édifiés place Saint-Pierre
et à côté du Sacré-Cœur. Il en coûte 10 centimes
pour la montée, 5 pour la descente. Le système
va fonctionner jusqu’en 1931 où le funiculaire
est entièrement reconstruit.
Ci-dessous: les deux cabines du funiculaire se croisent.
Reconstruit en 1991, il n’a plus grand-chose à voir avec
celui ouvert en 1900 (le 28avril 2014).
Photorail/SNCF
Ph.-E. Attal
TÉMOIGNAGE
Les mémoires
de Louis Armand
Quand l’esprit d’équipe faisait
gagner les cheminots
Le jour de son départ en retraite,
Louis Armand est promu chef de gare Renfe
par ses collègues espagnols du binôme
(entre les deux administrations, française et
espagnole) et les autres. Montpellier, 1985.
Juillet 2014
Historail
D
ans mon récit témoignage
Au fil
du rail, un métier vécu,
j’ai dit
avoir découvert, au chemin de fer,
l’équipe, le travail en équipe; ce que
je n’aurais peut-être pas connu dans
d’autres métiers.
J’ai d’ailleurs eu l’occasion de rappeler
ce qu’avait été cette découverte pour
moi, garçon volontiers porté à l’isole-
ment. Plus est, adolescent marqué par
la guerre, la guerre et la France sous
l’Occupation, le régime de Vichy, les
Français jugés sur leurs comporte-
ments peu reluisants, le moins qu’on
puisse dire, j’étais poussé vers une
forme de misanthropie. Au fil du
temps et des relations à autrui nouées
dans ma vie d’adulte, je me suis res-
saisi. Et les équipes dans lesquelles je
me suis trouvé ont dû jouer leur rôle
dans mon cheminement vers une
meilleure, une plus grande sociabilité.
L’équipe, les équipes – pour moi de
préférence moyennes –, au début
donc, je m’y suis inséré plus ou moins
de bon gré. Puis j’ai pris goût à
œuvrer avec elles; puis encore,
devenu leur dirigeant, j’ai pris plaisir
à les animer. Et je pense en ce
moment même que ceux qui ont fait
partie avec moi de ces équipes, par-
tagent cette opinion, ces équipes y
compris celles que j’ai menées.
Autre aspect que je serais tenté d’ac-
corder à l’équipe?
On parle beaucoup actuellement du
stress au travail, mettant à son compte
de nombreux suicides, d’hommes
principalement, mal dans leur peau
parce qu’incités, harcelés dit-on, à être
performants, productifs, obtenir des
résultats.
D’abord des hommes mal dans leur
peau professionnelle ou dans leur
peau tout court? On a noté de tels
suicides parmi les cadres de Renault,
d’EDF, des Télécoms; mais pas à la
SNCF. Au cours de ma carrière j’ai eu
connaissance de deux ou trois décès
de cheminots par suicide. Je ne pense
pas qu’ils aient été liés à la profession.
Le mal-être au travail… Aujourd’hui
plus qu’hier?
J’aurais cette impression, observant
les départs à la retraite. Ils n’ont plus
me semble-t-il le (ou un certain) céré-
monial qui avait cours dans la profes-
sion du rail. On s’en irait plus volon-
tiers, sinon en catimini, du moins dans
une réunion d’adieu en tout petit
comité. Pourquoi?
Quand est venu pour moi le jour de
ce départ – c’était en 1985 –, outre
mes équipes de la division du
Trans-
d’alors, j’ai personnellement
invité à la cérémonie que je voulais
donner à ce départ, non seulement
les collègues languedociens que je
quittais, mais aussi mes anciens
coéquipiers – j’insiste sur ce mot – de
Marseille en particulier, fréquentés il
est vrai dix ans et plus. Je suis même
allé chercher les plus anciens, ceux de
mes temps d’auxiliaire au Thor dès
1944. Et ils étaient venus, en force,
et parmi eux
« un vénérable vieillard »
termes du correspondant de
La Vie
du Rail
dans son compte rendu. Et
tous étaient heureux. Et moi aussi.
Le stress, j’y reviens.
Pourraient être considérées comme
stressantes certaines études à mener
rapidement à bien et dans un contexte
difficile – ce n’a pas été mon cas –,
stressants certains moments pénibles
sur le terrain – ceux-là je les vécus, en
ai vécu, quelques-uns du moins.
Je pense à des formations de convois
de marchandises, laborieuses au pos-
sible. C’est la guigne. Sous la pluie,
dans le froid, des anicroches malen-
contreuses s’acharnent contre nous:
wagons dévoyés à aller repêcher,
essieu « dans le sable » à remettre
par nos propres moyens, c’est la nuit,
sur les rails… Avoir tout de même
ces convois prêts à leur heure de
départ, se démener pour y parvenir.
Réduire la durée du casse-croûte
rituel dans le régime du trois-huit?
Un peu peut-être, difficile, il est sacré.
Plutôt laisser tomber quelques
wagons qui prendront du retard.
Mais faire l’heure, objectif sacro-saint
au chemin de fer, celui que je prati-
quais.
Cheminot homonyme du grand dirigeant de la SNCF, Louis Armand
accomplit une belle carrière à l’Exploitation en région Sud-Est.
C’est une certaine idée de l’homme au travail qu’il développe dans
ce beau texte autobiographique où il est question de l’esprit d’équipe,
du plaisir de réussir ensemble, où le mot solidarité n’est pas un vain mot.
L. Armand
Un pot ordinaire
à la permanence
du PC de Marseille
dans les années
1960: une occasion
de renforcer l’esprit
d’équipe.
voyageurs, des chantiers de triage de
Sète-Ville et de Sète-Méditerranée de
l’époque, 1954-1957. Avec les « cam-
potiers » cela en faisait douze. Je ne
me suis véritablement senti proche
que d’agents isolés, exécution et maî-
trise; dont un aiguilleur avec qui
j’avais sympathisé. Nous avions fait
équipe un assez long temps, moi
censé le surveiller dans son poste
désenclenché pour travaux.
Quant à Montpellier, si je m’y suis
considéré aussi sûr de moi qu’à Mar-
seille, je ne sais trop pourquoi, à me
remémorer ces deux résidences, je
donne la préférence à Marseille, au
Marseille que j’ai connu.
D’abord à Montpellier, il se créait
de toutes pièces, c’était en 1972, une
direction régionale
dans des structures
sérieusement rema-
niées. Sur place il
n’y avait rien, ni le
personnel néces-
saire, ni le bâtiment
pour le loger. Les
nouveaux venus
ont vécu une
période difficile: se
connaître entre eux,
pour beaucoup,
découvrir un terri-
toire inconnu et se faire à des fonc-
tions différentes de celles pratiquées
jusque-là. J’étais de ces nouveaux.
Avec, en outre pour moi, un ressenti,
une impression désagréable, qui ne
m’a plus guère quitté, de moindre
rigueur dans la maison. Non pas réel
laisser-aller mais attitudes moins exi-
geantes, dans une sorte de flotte-
ment, car beaucoup se cherchaient.
Si à Valence, à Marseille (et ailleurs)
j’avais vécu des moments à qualifier de
bon temps, je n’avais jamais perdu de
vue la discipline inhérente à mes
métiers du rail dans le
mouvement,
renforcée par la notion de service
public, attachée alors à l’entreprise
ferroviaire.
Ainsi à Marseillefaire face en tout
temps aux trafics plus ou moins en
dents de scie des primeurs, des fleurs
de l’ensemble de l’
arrondissement,
des produits pétroliers des raffineries
de l’étang de Berre, des marchandises
diverses du port de la cité pho-
céenne…, ainsi qu’aux pointes voya-
geurs; s’en sentir requis. Une exigence
et un point d’honneur: assurer tous
les trains nécessaires à ces trafics, en
surveiller les circulations au respect
de leurs horaires. Et ça marchait, ça
suivait, partout, à tous les niveaux.
Dans mes premières années mont-
pelliéraines ma fonction s’exerçait sur
l’organisation-gestion du personnel
notamment des gares: adaptation
des moyens aux besoins, je n’ose dire
stricts, aux vrais besoins à quelque
chose près. Études qu’on n’avait
jamais menées de cette façon-là,
méthodique. Et ça, c’était moins bien
accepté, ça passait moins bien sur le
terrain en particulier. Mon équipe et
moi-même avons été parfois affublés
de qualificatifs peu amènes. Personne
pourtant n’était brutalement mis à la
porte. Pour tout emploi supprimé il
en était proposé un autre sur place
ou le même ailleurs sur la région, ou
alors c’était l’attente, la libération d’un
poste adéquat par promotion, départ
à la retraite, longue maladie…
Peut-être aussi ai-je un peu trop mar-
qué ma déconvenue quant à un cer-
tain relâchement que je constatais,
sur la rigueur propre au chemin de
fer, que j’avais faite mienne. Ce qui
m’a valu non pas des inimitiés mais
quelque défiance.
Pourtant comme à Marseille, j’ai tra-
vaillé dans des équipes, plusieurs et
de tailles moyennes (ainsi je les pré-
fère), et dans la bonne entente, et
dans la satisfaction d’œuvrer effica-
cement, obtenir des résultats. La
bonne entente: pour preuve certaines
réunions festives un samedi, un
dimanche en pique-nique…
Comme à Marseille j’ai noué des rela-
tions, amicales même, avec nombre
de ces compagnons de travail mont-
pelliérains.
Et dans mes années de fin de carrière
j’ai retrouvé des attributions qui m’al-
laient comme un gant: responsabilité
des horaires et des plans de transport,
voyageurs et marchandises. Et d’au-
tres qui m’allaient aussi: sécurité des
convois, surveillance de l’application
des règles en la matière (une certaine
rigueur retrouvée
là?), études diverses
dont une, prise vrai-
ment à cœur: dans
un binôme franco-
espagnol où je
représentais la SNCF,
recherche de solu-
tions pour faciliter le
passage des mar-
chandises au point
frontière de Cer-
bère-Port-Bou,face
à un trafic alors en
croissance continue, avec le handicap
de la différence d’écartement des
essieux entre Renfe et SNCF; une
équipe supplémentaire, cette fois avec
des Espagnols.
Néanmoins, hormis les plaisanteries
d’usage, les réunions joyeuses dans
un cercle d’une douzaine de collabo-
rateurs, je n’ai pas de véritables canu-
lars, genre ceux que j’ai cités plus
haut, à rapporter de ma période
montpelliéraine. Moins de plaisantins,
de boute-en-train? (Je n’irais pas bien
sûr mettre en cause l’austérité hugue-
note cévenole d’un côté, cathare
audoise de l’autre, ou encore la viru-
lence de certains indépendantistes
catalans, ça ne tiendrait vraiment pas
debout).
Moi-même, atteint par la cinquan-
taine, plus soucieux, moins enclin aux
40-
Historail
Juillet 2014
TÉMOIGNAGE
L. Armand
Inauguration
des locaux rénovés
du PC de Marseille
dans les années
42-
Historail
Juillet 2014
GUERRE
Ascq, nuit du 1
er
au 2avril 1944…
« Oradour ferroviaire »
Extrait du
Martyre d’Ascq/R. Buffet/Dessin de Cartault
Illustration extraite
du «Martyre
d’Ascq. Village de
France», brochure
à destination
de la jeunesse
(décembre1947) de
la Collection Patrie
éditée par Rouff.
Il y a 70 ans, un groupe de résistants d’Ascq, dont cinq cheminots,
effectue un sabotage visant un train de marchandises mais c’est un
train de
Waffen-SS
qui en subit les conséquences. Malgré l’absence
de blessés et des dégâts matériels peu importants, les représailles,
instantanées, seront terribles, 86 villageois exécutés; peu après,
quatre des cinq cheminots saboteurs sont arrêtés puis fusillés.
L’ampleur de l’émotion immédiate contraste avec ce qui apparaît
avec du recul comme une sorte de double peine appliquée aux
cheminots responsables: après leur exécution, leur oubli corporatif.
Juillet 2014
Historail
Les antécédents
À 8 kilomètres de Lille, sur la route
nationale qui rejoint cette ville à Tournai,
Ascq est un gros bourg
où la guerre
sévit comme ailleurs. Sa gare se situe
sur un axe stratégique, la ligne reliant
Lille à Bruxelles
Tournai, à proximité
de la gare frontière française de Bai-
sieux. Un aiguillage commande les voies
d’Orchies et de Tourcoing.
Nombreux sont les cheminots résidant
à Ascq, employés de la gare mais aussi
travaillant dans les ateliers voisins d’Hel-
lemmes ou à Lille. Comme l’expliquera
le tribunal allemand fort bien informé
qui condamnera les saboteurs
, cette
région abrite divers mouvements de
résistance, portés à l’action.
« Depuis 1941, se sont formés en
France plusieurs mouvements de
résistance qui, en substance, se sont
constitués selon les anciens partis poli-
tiques, et qui procédèrent à la consti-
tution de cette organisation dans les
deux départements du Nord de la
France. Ce sont l’Organisation civile
et militaire (OCM), la tendance natio-
nale et de gaulliste; la « Libération »,
de tendance socialiste; et la FN avec la
sous-organisation FTP, de tendance
communiste. À côté de celles-ci, se
forma, en 1942, autour du journal
paraissant clandestinement
La Voix du
Nord,
un mouvement de résistance
du même nom, qui, toutefois, se limi-
tait aux deux départements du Nord.
Le chef de ce mouvement était le
nommé Pauwels arrêté entre-temps.
(…) Tous ces mouvements s’efforcent
avec succès de recruter des membres
notamment parmi les cheminots, et
de former des groupes qui doivent
servir comme points d’appui dans le
système si important des communi-
cations. (…) »
Ainsi, « d‘après les déclarations des
accusés, environ 100 hommes de la
population, se chiffrant à environ
3000 personnes, firent partie des
divers mouvements de résistance. Au
début de novembre 1943, eut lieu
sous la présidence du dénommé
Michel, une conférence entre les accu-
sés Delécluse, Mangé et Gallois,
appartenant déjà au mouvement de
résistance La Voix du Nord, et un cer-
tain Deconninck, au cours de laquelle
la formation d’un groupe de sabotage
au sein de La Voix du Nord, et l’ap-
provisionnement en armes, notam-
ment en pistolets-mitrailleurs et
explosifs, furent décidés et discutés. »
Ainsi, « pendant la période du
2novembre 1943 au 1
avril, les atten-
tats ci-après énumérés furent exécutés
à Ascq et dans les environs:
1.
Le 9 novembre 1943, à environ
21h20, deux wagons du train D 48
en direction de Lille déraillèrent, étant
donné qu’à la suite d’une explosion
au km 10,8, environ un mètre du rail
intérieur fut arraché.
2.
Le 13 janvier 1944, à 20h45, un
wagon chargé de lin stationnant à la
gare d’Ascq et chargé peu de temps
avant, fut incendié. Tout le charge-
ment fut détruit et le wagon endom-
magé.
3.
Le soir du 25 mars 1944, une
explosion des rails à Ascq en direction
de Baisieux, km 7,4, eut lieu; par cette
explosion, le cœur de l’aiguillage de
la ligne en direction de Baisieux fut
arraché.
[ Ascq, nuit du 1
er
au 2avril 1944… « Oradour ferroviaire »]
Après des années de
recherches, Jacqueline
Duhem vient de
consacrer un
important livre
particulier totalement
inédit, concernant
le jugement
de neuf des anciens SS
présents dans
le convoi, retrouvés
après guerre et plus
ou moins impliqués
dans cette « affaire
franco-allemande ».
Agrégée d’histoire et ancien professeur au lycée
Faidherbe de Lille, Jacqueline Duhem, encouragée par
l’éditeur lillois Frédéric Lépinay, se lance dans la quête
de documents et d’archives, poussant plus loin les
recherches du docteur Mocq, notamment en consultant
les archives de la justice militaire française.
« Un travail
très long, mais ô combien passionnant »,
avoue-t-elle,
conduisant à remettre en cause certaines idées reçues:
telle, par exemple, celle des
Waffen-SS
arrivant
directement du front russe. Un chapitre entièrement
inédit traite de l’histoire de la recherche après guerre
des auteurs du massacre. Retraçant le souvenir
de la tragédie à travers les travaux d’historiens locaux
et le rituel des commémorations, elle a ainsi constaté
la question des responsabilités du massacre
demeure une « plaie à vif » entre les familles
des saboteurs et des massacrés.
Ascq 1944. Un massacre dans le Nord. Une affaire franco-
allemande,
Les Lumières de Lille, 2014, 272 pp.
; commande: www.leslumieresdelille.com)
Extrait de L. Jacob,
Crimes hitlériens
avec laquelle il avait été traité. » Le
massacre va durer environ une heure
et demie. Parmi les 86 victimes, on
comptera 22 cheminots actifs massa-
crés
(voir tableau page précédente)
ainsi qu’un retraité, Apollinaire Hen-
nin, âgé de 70 ans.
Le point de vue allemand
Dans la perspective de prochains
déplacements massifs de convois tra-
versant des zones où la résistance
était reconnue particulièrement
active, le General-Feldmarchal Sperrle,
commandant en chef des Forces de
l’Ouest, considérant que « ç’en est
fini des simples rapports », qu’il faut
agir contre les « terroristes », dans
une ordonnance secrète du 3février
1944
, avait dicté les consignes à tenir
en cas d’attaque:
1.
Il faut riposter de suite avec les
armes à feu; s’il arrive que soient frap-
pés des innocents, le fait est regret-
table mais il n’est imputable qu’aux
terroristes.
2.
Cerner immédiatement le lieu de
l’attentat et contrôler tous les civils se
trouvant dans les parages sans dis-
tinction de la personne et du rang.
3.
Incendier immédiatement les mai-
sons d’où sont partis les coups de feu.
Seulement après l’exécution de ces
mesures ou de mesures semblables
immédiates, un rapport sera transmis
au commandant militaire et aux ser-
vices de sécurité qui doivent continuer
l‘affaire avec la même sévérité.
4.
La décision et la rapidité avec
laquelle agira le chef de troupe sont
de toute première importance. S’il agit
avec mollesse, cette décision sera
punie très sévèrement parce qu’il met
en danger la sécurité des troupes
placées sous ses ordres ainsi que le
respect dû à l’armée du Reich.
5.
En raison de la situation actuelle,
des mesures trop rigoureuses ne peu-
vent être soumises à sanction.»
Alors que le chef de convoi Hauck
plaidera plus tard pour sa clémence
relative – « J’ai décidé de ne pas
incendier le village car, à mon avis, les
résultats obtenus par les commandos
de nettoyage étaient suffisants» –, le
lendemain du massacre, le général
Bertram, commandant l’Oberfelkom-
mandantur de Lille, publiait un com-
muniqué dans la presse locale: « La
population doit savoir qu’il sera
répondu à tout attentat contre les uni-
tés de l’armée allemande ou de mili-
taires isolés par tous les moyens que
les circonstances exigent. Que l’exem-
ple de la commune d’Ascq serve de
leçon. Il est, par la nature même des
choses, inévitable que lors d’événe-
ments semblables, des personnes
innocentes aient à souffrir. La respon-
sabilité en incombe aux criminels qui
sont les auteurs de ces attentats. »
Des coupables
promptement retrouvés,
jugés et exécutés
Alors que l’un des responsables du
groupe avait pris la fuite, que l’aiguil-
leur complice Ollivier avait été exécuté,
bien informés grâce à un mouchard
infiltré dans leur mouvement, les Alle-
mands procèdent raidement à l’arres-
tation de six hommes et de deux
femmes. Le tribunal militaire de la
Feldkommandantur
de Lille rend son
jugement le 30 mai 1944: « Sont
condamnés à mort: 1°) Delécluse,
Mangé, Gallois, Marga, Monnet et
Depriester, pour avoir favorisé l’ennemi
en procédant à des actes de sabotage
et pour crime contre la loi relative aux
explosifs; en outre, en ce qui concerne
Delécluse et Mangé, en plus pour
détention d’armes et d’explosifs; en
ce qui concerne Gallois, Monnet et
Depriester, pour n’avoir pas dénoncé la
détention d’armes et d’explosifs.
2°) La dame Cools, pour avoir favorisé
l’ennemi et détention d’armes et d’ex-
plosifs et crime prévu par la loi relative
aux explosifs. L’accusée Raymonde
Delécluse est acquittée. Les armes et
explosifs pris sont confisqués. »
Suit un bref cursus. Collectif d’abord:
« Tous les accusés sont de nationalité
française, et soi-disant sans passé judi-
ciaire, à l’exception de Mangé qui fut
condamné par un tribunal belge pour
faux à une amende minime. Mangé
habite La Madeleine, Monnet à
Lezennes, les autres à Ascq. Tous les
condamnés ont fait leur service mili-
taire actif.
Puis individuel: «Delécluse apparte-
nait depuis 1936 jusqu’au début de
la guerre au Parti socialiste; Mangé,
depuis 1934 jusqu’au début de la
guerre au Parti social de France du
colonel de la Rocque. Les autres
inculpés prétendent n’avoir jamais
appartenu à aucun parti politique.»
«L’accusé
Delécluse
est âgé de 34 ans,
employé de chemin de
fer, père de deux
enfants, de 6 et 13 ans.
Après avoir fréquenté l’école primaire,
il travailla longtemps comme ouvrier
d’usine et est occupé comme tour-
neur à la SNCF depuis 1937.» Ouvrier
tourneur aux ateliers d’Hellemmes,
militant socialiste et syndicaliste, il
rejoint le réseau de renseignement
Alliance
en décembre 1940, puis s’en-
gage en décembre 1943 dans le mou-
vement
Voix du Nord
en relation avec
le BCRA de Londres, échangeant
informations contre instructions.
46-
Historail
Juillet 2014
GUERRE
Coll. Cercle généalogique des Cheminots
Une stèle
dans les ateliers
d’Hellemmes rend
hommage
aux 12 massacrés
et quatre fusillés
d’Ascq.
Juillet 2014
Historail
Rail
au RéMut, le Réseau des
musées techniques de France
(http://www.remut.fr/) regroupés à
l’initiative du musée des Arts &
Métiers du Centre national des Arts
& Métiers à Paris, HistoRail
a initié
la création en janvier2014 d’un
réseau régional dénommé RhisTIL
pour Réseau de l’histoire des tech-
niques de l’industrialisation limou-
sine. Invité le 4juin par le Club de
la Presse du Limousin, le RhisTIL a
présenté ses objectifs. L’un de ceux-
ci est de regrouper les musées et
sites qui démontrent l’industrialisa-
tion du Limousin à partir de l’arrivée
du chemin de fer. En l’occurrence,
en amont du musée HistoRail
représentant le chemin de fer, deux
musées: le musée de la Mine de
charbon de Bosmoreau et celui de
l’Électrification de Bourganeuf. En
aval, un musée du Four à porcelaine
qui a utilisé le charbon et la Manu-
facture de porcelaine « Royale-
Limoges », la plus ancienne (créée
vers 1810). Le RhisTIL prépare d’ores
et déjà l’Année européenne du patri-
moine technique et industriel de
2015. Nous informerons la revue
Historail
de l’avancée de ce projet.
Jacques Ragon,
président d’HistoRail
musée du Chemin de fer,
18, rue de Beaufort
87400 Saint-Léonard-de-Noblat
Historail
, musée du Chemin de fer
Horaires d’ouverture
Le
dimanche 29juin
de 14h30 à 18h00 pour
nos traditionnelles portes ouvertes gratuites.
À partir
du lundi 30juin et jusqu’au vendredi
29août:
ouverture estivale de 10h30 à 12h00
et de 14h00 à 18h00. Fermé les samedis,
dimanches et jours fériés.
Le
dimanche 21septembre
pour la Journée du
patrimoine de 14h30 à 18h00. Entrée gratuite.
Au mois de
novembre
pour la Fête du train
miniature, les 8, 9, 10, 11 de 14h30 à 18h00.
Des dates supplémentaires peuvent être
proposées; nous vous invitons vous rendre sur
notre site www.historail.com, notre blog
http://boutdrail.blogspot.com/, sur Facebook
et Twitter.
Juillet 2014
Historail
vage, d’un don de 6000francs pour
former le premier fonds de roulement.
Peut en faire partie tout agent actif,
acquéreur d’une action de 25fr.
Flanqué de deux commissaires aux
comptes, le conseil d’administration
de sept membres détermine les prix
de vente: prix d’achat majoré des frais
de vente et d’un petit bénéfice pour
constituer un fonds de réserve. Réunis
en assemblée générale le dernier
dimanche d’avril, les sociétaires, por-
teurs d’un livret, voient leurs achats
soldés en fin du mois, parfois
quelques difficultés »
, note Jacqmin
qui suggère l’idée d’une possible rete-
nue automatique des impayés sur
la solde des agents. Bien entendu,
comme dans toutes les autres coopé-
ratives, il est interdit au sociétaire de
faire du commerce avec les denrées
provenant des magasins de la société.
Ces magasins proposent des denrées
d’épicerie – légumes secs, pâtes, huile,
sucre, etc. –, mais aussi du jambon,
du lard, des conserves, des liqueurs et
même de la parfumerie! Vin et char-
bon de bois destiné aux fourneaux
des ménagères font l’objet d’un trafic
important. La livraison à domicile par
camionnage est assurée une fois par
semaine.
« Cette société fonctionne
tout tranquillement comme un maga-
DR/Coll. Ch. Pora
Lieu très animé,
la coopérative de
Laroche, implantée
au cœur de la Cité
PLM sur le territoire
de Migennes,
compte 380
sociétaires en 1910.
60-
Historail
Juillet 2014
SOCIAL
À plusieurs reprises, les marchands de vin ont adressé
en haut lieu des pétitions pour dénoncer la concurrence
déloyale que leur causeraient les coopératives d’agents
de chemins de fer. Ainsi, le
Syndicat général du commerce
en gros des vins et spiritueux de France
adresse au ministère
des Travaux publics le 9 octobre 1890 une pétition votée
à l’unanimité par ses membres qui dénonce les avantages
dont profitent abusivement
« les sociétés dites
de consommation des chemins de fer »
implantées sur
le réseau de l’Est*. Non seulement ces sociétés ne paient pas
de patente, mais elles jouissent encore en matière
d’approvisionnement en vin d’un tarif spécial d’abonnement
à l’hectolitre.
« À leur création, ces sociétés avaient un but
humanitaire, celui de procurer à leurs employés et
aux ouvriers des denrées meilleur marché que le commerce
ne pouvait fournir (…). Mais aujourd’hui elles procurent
à des rentiers ou à des personnes indépendantes ces mêmes
denrées. »
La concurrence que ces sociétés coopératives font
au commerce est énorme, qu’illustrent deux cas:
« Dans la
petite ville de Mohon, le chiffre d’affaires est de 300 000 fr.
À Épernay où il y a près de 2000 ouvriers employés
au dépôt, le chiffre d’affaires dépasse 1000000francs »
Ainsi il est demandé au ministre des Travaux publics
d’intervenir pour que la patente s’applique à ces sociétés
coopératives, pour obtenir aussi des compagnies l’assurance
de ne plus leur faire de remise de transport, voire même
de contingenter ce que chaque membre peut s’y procurer
chaque mois. La plainte est retransmise le 25octobre
au directeur de la Compagnie de l’Est, Barabant, conduit
à s’expliquer ainsi auprès de sa tutelle, le 18décembre.
D’abord, sa compagnie se défend d’intervenir dans
la gestion des coopératives, qu’il s’agisse de la rédaction de
leurs statuts, de la nomination des membres de leur conseil
d’administration ou de la réglementation de leur
fonctionnement; ensuite il conteste les allégations des
pétitionnaires: les 15 coopératives ne bénéficient de la part
de la régie des contributions indirectes d’aucun tarif spécial
d’abonnement à l’hectolitre; elles n’admettent que
des agents
« en activité, en retraite ou en réforme »
, sauf
à Is-sur-Tille et à Vesoul, gares frontières avec le PLM dont
les agents sont aussi admis; les livrets remis aux agents sont
absolument personnels et tout associé convaincu de fournir
d’autres personnes que ceux vivant sous son toit et à sa
charge, est puni d’exclusion; les gérants des coopératives
ne sont pas des négociants cherchant à réaliser de grands
bénéfices par des spéculations,
« ce sont des mandataires
gratuits »
. Le chiffre d’affaires réalisé par la Société
d’Épernay atteint non pas
« un million »
mais 550 000 fr.,
un montant certes élevé mais qui
« n’a rien qui puisse
surprendre, pas plus que celui de 300 000 fr. pour le centre
industriel très important de Mohon, si l’on veut bien
considérer que les sociétés admettent indistinctement tous
agents de l’Est (employés et ouvriers de tous grades)
et qu’elles ne leur fournissent pas seulement les boissons et
denrées alimentaires, mais encore tous les objets nécessaires
à la vie matérielle: vêtements, chaussures, quincaillerie,
mobilier, lingerie, etc. »
Et de s’opposer donc aux prétentions des pétitionnaires en
matière de fiscalité comme en matière de contingentement
de la consommation de chaque employé.
« Assujettir
les sociétés coopératives à la contribution des patentes
méconnaîtrait gravement le caractère de leurs opérations et
ne manquerait pas de soulever dans la classe laborieuse des
protestations beaucoup plus nombreuses, plus intéressantes
et plus légitimes que les réclamations actuelles. »
Tous calculs faits, la subvention indirecte de la Compagnie
par sociétaire et par an s’évalue entre 7 et 11 fr., soit
« un minime supplément de traitement accordé par
un patron à ses employés. »
Le Comité de l’exploitation technique des chemins de fer,
consulté à son tour, reprend les arguments des compagnies
s’agissant de leurs coopératives comme de leurs économats,
accusés des mêmes vices. À sa suite, le Comité consultatif des
chemins de fer examine le problème, rend un long rapport
signé de Cotelle le 28 janvier 1893, rallié aux points de vue
précédents. Les tarifs privilégiés dont bénéficient
les transports effectués par les compagnies pour le compte
exclusif de leurs employés et ouvriers et
« dans le but
unique de leur venir en aide »
, ne revêtent pas un caractère
commercial appelant un contrôle. Plus généralement,
ces mesures adoptées par des compagnies en charge
d’un service public
« n’ont pas seulement un caractère
philanthropique, elles ont aussi un caractère pratique,
en ce sens qu’elles facilitent le recrutement d’un personnel
dévoué. Elles concourent ainsi à la bonne marche du service
et par suite le public y a un intérêt direct. »
D’ailleurs, les
compagnies transportent soit gratuitement soit à des prix
très réduits
« ceux de leurs agents qui veulent résider
dans la banlieue des grandes villes »
« On n’a jamais songé
cependant à élever de ce chef la moindre réclamation et
à crier à l’inégalité. Or, si le transport gratuit des personnes
n’a donné lieu à aucune réclamation, pourquoi le transport
des aliments et des objets nécessaires à la vie,
dans des conditions sensiblement analogues, soulèverait-il
plus de plaintes? Qui ne sent qu’il ne s’agit là que
d’un léger manque à gagner sans importance aucune au
point de vue des recettes des compagnies, et, au contraire,
d’une mesure d’un effet moral excellent au point de vue
des liens qui doivent unir les directeurs et les ouvriers
de la plus grande de nos industries? »
Trois ans après donc son envoi, la pétition des marchands
de vin était ainsi définitivement refoulée. Ce n’était ni la
première ni la dernière dans ce domaine, qui se heurtèrent
toutes à une solide opposition…
* ANF, 19800434/2.
1890: le vain combat des marchands grossistes de vin
contre les coopératives de l’Est
compagnies, a toute raison, en effet,
d’aider ces tentatives, soit par des
conseils, soit par des subventions équi-
valentes à une partie des frais de
transport acquittés sur leur réseau. »
Mais il existe une autre option, plus
simple à gérer: le groupement des
agents
« en
unions libres
dont les
administrateurs n’ont d’autre mission
que de rechercher et de faire connaî-
tre à leurs camarades les prix les plus
bas auxquels certains fournisseurs
désignés consentent à livrer en gare
les objets nécessaires à la vie, objets
dont le paiement se fait directement
au comptant par le consommateur. »
Si
« au point de vue moral, elle déve-
loppe l’initiative individuelle »
comme
dans une coopérative, faute de déga-
ger un bénéfice annuel redistribué à
chacun des participants et donc
convertissable en épargne,
moins digne, moins susceptible d’être
encouragée par les compagnies. »
Trois unions de ce genre seront fon-
dées: la plus importante et durable à
Paris en 1886, l’
Union des employés
des chemins de fer PLM (voir page
,un impressionnant réseau de
magasins implantés naturellement
principalement autour de la gare de
Lyon, puis à Lyon où elle compte en
1889 12000 adhérents en relation
avec 250 fournisseurs, à Dijonenfin.
1885, un plaidoyer
de la coopérative de Saint-
Germain-des-Fossés
85 sociétés de consommation parti-
cipent au premier congrès des sociétés
coopératives de consommation de
France, tenu à Paris du 26 au 28 juil-
let 1885, à la mairie du IV
arrondis-
sement. Trois coopératives du PLM y
sont représentées, Paris, Nevers et
Saint-Germain-des-Fossés, ainsi que
l’Épicerie coopérative des chemins de
fer de l’État à Saintes. Le représentant
de Saint-Germain-des-Fossés y expose
deux critiques: d’une part, il dénonce
la loi
« si obscure de 1867 »
pour la
constitution des sociétés coopératives,
dont les formalités à remplir et les
frais qu’elles entraînent entravent la
formation des petits groupes; d’au-
tre part, à l’adresse des
« petites
bourses »
, la coopérative souhaitait
débiter du vin au litre, mais les
« indi-
rectes »
ont élevé
« la prétention exor-
bitante de lui faire payer non seule-
ment une licence de débitant, mais
encore le droit de détail, soit 12,50%
de la valeur du vin distribué »
. Autre-
ment dit,
« au lieu de ne voir dans les
coopératives que l’association de
pères de famille se groupant pour
acheter et consommer du vin, elle les
assimile à des cabarets. »
Ainsi, tenues
à pratiquer et respecter leurs opéra-
tions,
« elles ne peuvent, comme les
exploitants ordinaires, récupérer les
droits fiscaux en mettant de l’eau
dans le vin distribué aux sociétaires,
ou voler l’État par de fausses caves
et de fausses déclarations. La régie
fait donc aux sociétés une situation
économique inacceptable »
, et une
réforme s’impose de la part des pou-
voirs publics. Il convient que chaque
société s’adresse et réclame à cet
égard l’appui des représentations
législatives et sénatoriales de son
département.
Tant qu’il n’y aura pas libre-échange,
et surtout tant qu’il existera parmi les
peuples dits civilisés des traités de
commerce imposés les armes à la
main, le devoir des sociétés coopéra-
tives sera de protéger, par tous les
moyens possibles, l’industrie nationale
et, par suite, d’adopter comme règle
absolue de n’admettre dans leurs
magasins que des produits indigènes
ou coloniaux d’origine française à
l’exclusion de tous autres.»
1889, étape décisive:
la fondation
Fédécoopérail
I
L’idée de fédérer toutes les coopéra-
tives du PLM et de l’Est, en escomp-
Juillet 2014
Historail
[ des coopératives de consommation pour les cheminots de l’Est et du PLM]
DR/Coll. G. Ribeill
La coopérative PLM
de Saint-Germain-des-
Fossés, route de Souillet,
compte 512 sociétaires
en 1910.
64-
Historail
Juillet 2014
Réseau
commune
département
effectif
chiffre
appellation, adresse en 1910
marchand.
fondation
d’affaires
Ambérieu
287 400montée de la Croze
diverses
Bellegarde
213 100rue de la République
diverses
Arles
Bouches-du-Rhône288
40 000La Fraternelle PLM; 28, rond-point des Arènes
pain
Nevers
Nièvre
5, rue Saint-Didier; La Pacific, rue de Verpré
Chagny
Saône-et-Loire
90 000rue de l’Artichaut
diverses
St-Germain-des-FossésAllier
369 000route de Souillet
toutes
Besançon
Doubs
259 00050, rue de Belfort
diverses
6, rue Suard
Montchanin
Saône-et-Loire
16 000rue de la Gare
pain
Avignon
Vaucluse
30 500La Locomotive, quartier Saint-Roff
diverses
Dôle
200 000rue Antoine-Brun
diverses
Lons-le-Saulnier
136 80027, rue Perrin; 17, rue Jean-Jaurès
diverses
Marseille (dépôt)
Bouches-du-Rhône150
6 0003, rue Peautrier
charbon
Tarascon
Bouches-du-Rhône175
18 000L’Économique PLM; 31, place du Marché
pain
Dijon
Côte-d’Or
500 00097, rue Berbizey; rue des Corroyeurs
diverses
Gard
160 00029, rue de l’Abbaye; La Ruche, 7, r. Jules-Carnot
diverses
Montargis
Loiret
132 60010, rue Coligny
diverses
Chambéry
Savoie
220 000avenue de Volney
toutes
Migennes
Yonne
232 000la Cité
diverses
Montpellier
Hérault
20 0006
bis
, rue de Strasbourg
diverses
Grenoble
Isère
600 0005, avenue de Vizille; 39, avenue de Vizille
diverses
Roanne
Loire
200 0005, cours de la République
diverses
36, rue Émile-Noirot
Saint-Étienne
Loire
600 000avenue Denfert-Rochereau, La Locomotive
diverses
Modane
Savoie
72 000Modane-Gare
diverses
Annemasse
Haute-Savoie
108 000quartier de la Gare; avenue des Alpes
diverses
La Voulte
Ardèche
81 000avenue de Valence
diverses
Tarascon (Syndicat
Bouches-du-Rhône
2 10057, rue Blanqui
charbon
des agents PLM)
Pontarlier
Doubs
37 00021, rue Sainte-Anne
diverses
Le Teil
Ardèche
250 000rue Kléber; place du Sablon
diverses
Valence
Drôme
162000Le Sémaphore, 25, rue Chevandier
diverses
Clermont-Ferrand
Puy-de-Dôme
110 00033, rue Delarbre; 25, rue Delarbre
toutes
Lyon (II
2 200 145 00022, rue du Bélier; 12, rue du Bélier
diverses
Lyon (II
31 000La Vigie, 7, quai Perrache
épicerie
Autun
Saône-et-Loire
19 00020, rue de la Grille
épicerie
Miramas
Bouches-du-Rhône128
60 000route de Salon; rue Audibert
diverses
Paray-le-Monial
Saône-et-Loire
32 000Grande-Levée du Canal
pain
Cercy-la-Tour
Nièvre
diverses
Sète
Hérault
La Prévoyante, 23 rue Lazare-Carnot;
16, rue du 14-Juillet
Alpes-Maritimes
3 85014, rue Reine-Jeanne; 134, route de Turin
diverses
Grigny-Givors-Chasse
101 00046, rue de Boutellier
diverses
Orange
Vaucluse
gare
épicerie
134 0005 rue de la Liberté
diverses
Gannat
35 000rue Notre-Dame
diverses
Givors-Canal
48 500Le Sémaphore, 9, passage du Château-d’Eau
pain
Clamecy
Nièvre
24 0006, rue Claude-Tillier
diverses
Moulins-sur-Yzeure
30 000Les Bataillots
diverses
Les Laumes
Côte-d’Or
pain
Langeac
Haute-Loire
68 000rue Jules-Ferry
diverses
Cluny
Saône-et-Loire
60 000avenue de la Gare
diverses
Montélimar
Drôme
2 00040, avenue Saint-Didier
diverses
Mâcon
Saône-et-Loire
240 00024, rue Lacretelle
diverses
Oullins
250 000La Renaissance, 8, rue Parmentier;
diverses
10, rue Orsel
Un état des lieux d’après l’
Almanach de la coopération française et suisse
(1910)
Page de droite: l’implantation des coopératives du PLM
et de l’Est à la veille de la Grande Guerre.
Source : ANF, 19800434/2
70-
Historail
Juillet 2014
SOCIAL
Le copieux catalogue de l’Union
1906-1907-1908 (192 pages), qui
sera tiré à 20000 exemplaires, com-
munique les listes de fournisseurs
avec leurs publicités attenantes, plus
ou moins alléchantes. Fait à souligner,
plusieurs marques concurrentes d’un
même produit sont proposées au
choix des clients. Trois listes sont dis-
tinguées. En premier lieu, les fournis-
seurs dont les produits sont débités
et vendus à prix de gros au magasin
de l’Union, 13, rue Parrot, tous les
jours ouvrables de la semaine, de 9
à 11h et de 13 à 19h. Avec livraisons
à domicile ; les mardi et samedi de
chaque semaine dans le XII
arron-
dissement, les premier et troisième
jeudi de chaque mois dans les autres
arrondissements. Tels sont le café tor-
réfié vendu en sachets « Union
PLM », les chocolats Debauve et Gal-
lais ou Salavin, les conserves nantaises
Saupiquet, la moutarde Bornibus ou
les vins variés de l’Union PLM, livrés à
domicile en fûts de 55 litres…
Puis en second lieu, la liste des mai-
sons consentant sur leurs factures un
escompte par l’intermédiaire des
délégués de l’Union: La Belle Jardi-
nière, l’orfèvrerie Christofle, la ving-
taine de magasins des Chaussures
Raoul, « les meilleures, les moins
chères ». Enfin les très nombreux
fournisseurs consentant une remise
au moment du paiement des achats
sur la présentation de la carte de
l’Union PLM: pendules et régulateurs
de la Maison Dubois, bijouterie Au
Cadran de Bercy, machines à coudre
New Home ou Peugeot…
Les services à la personne, coiffeurs,
établissements de bains, jusqu’à l’en-
treprise générale de pompes funè-
bres de J. Pacotte, rappelant qu’an-
cien employé du PLM, il fut aussi l’un
des fondateurs de l’Association fra-
ternelle des employés et ouvriers des
chemins de fer français!
Dans le catalogue 1929-1930-1931
(184 pages), on note la présence des
Meubles Crozatier, qui,
« grâce à l’im-
portance de [leur] clientèle de che-
minots »
, peuvent pratiquent une
remise de 10% aux membres de
l’Union. Si c’est
« la Maison préférée
des cheminots »
, elle bénéficie sur-
tout de sa proximité avec le quartier
de la gare, 10, rue Crozatier.
Dans le catalogue 1935-1936-1937
(200 pages), au-delà des coutumiers
produits alimentaires ou de ménage,
de l’habillement ou de l’ameuble-
ment (avec l’apparition durable de
Levitan), les services à la personne
prennent une place croissante : phar-
macies, soins dentaires, optique
médicale, comme les articles de loi-
sirs, chasse et pêche. Alors que la
Société de lunetterie de Paris reven-
dique son titre de
« fournisseur du
PLM, du Métro »
, Radio PLM, 52, rue
de Chalon, propose des remises de
20 à 40% selon les marques.
G. R.
1. Jacques Pierret,
La Défense du salaire:
« L’Union des employés des chemins
de fer PLM », société coopérative
de consommation à capital et personnel
variables
(thèse d’économie politique,
École libre des sciences politiques, 1937,
113 pp.)
DR/Coll. G. Ribeill
Quelques publicités
du Catalogue
1935-1936-1937.
Le catalogue de l’Union PLM communique les listes
de fournisseurs avec les publicités attenantes.
Juillet 2014
Historail
[ des coopératives de consommation pour les cheminots de l’Est et du PLM]
E
n 1919-1920, le dépôt des
machines des Laumes est en
construction en rase campagne, au
pied du mont Auxois, à l’extérieur du
village des Laumes et du quartier de la
gare. Dans le même temps, un village
provisoire voit le jour, implanté à proxi-
mité, enclavé entre la ligne de Paris –
Lyon et la ligne d’Épinac. Le quartier
des Cités formait un village à lui tout
seul. Ses habitants pouvaient y vivre
en autarcie. Créer une cité ouvrière à
proximité du dépôt n’était pas sim-
plement une œuvre philanthropique.
C’était avant tout un calcul de renta-
bilité du travail. Elle permettait de gar-
der sur le lieu de l’emploi une main-
d’œuvre généralement très qualifiée.
C’était un territoire privé à l’emplace-
ment des cités actuelles. Les gen-
darmes ne pouvaient se rendre dans
les différentes rues sans l’autorisation
du chef de dépôt jusqu’en 1936, de
l’ingénieur chef de section jusqu’en
Pour la Compagnie PLM, il s’agissait
de prendre en charge chaque instant
de la vie de ses agents pour assurer
leur bien-être et celui de leurs familles,
mais c’était aussi un moyen de
contrôler son personnel en orientant
totalement celui-ci dans et hors du
dépôt et des différents services. Ce
village provisoire est constitué de mai-
sonnettes en bois, les cabanes Driant,
du nom de leur concepteur. Une coo-
pérative provisoire, en bois également,
est montée à l’emplacement du futur
centre d’œuvres. Le hangar sera
démoli lorsque la coopérative en dur
sera installée à son emplacement
actuel, après la construction des pre-
mières cités. Peu de magasins aux
Laumes pour accueillir ce surcroît de
population. 450 cheminots travail-
laient au dépôt. La coopérative avait
sa raison d’être.
Au rez-de-chaussée: le magasin avec
un grand comptoir qui occupait deux
côtés de la vaste pièce; à gauche,
l’habillement; au centre, l’épicerie; à
droite, la boucherie dans un local
séparé auquel on pouvait accéder par
le magasin ou par extérieur. La comp-
table, dans une cage en verre, sur-
plombait la boutique. Aussi à l’inté-
rieur, devant les vitrines donnant côté
rue, une rangée de bancs. À l’arrière
du bâtiment, des réserves.
On pouvait y acheter de tout, même
des meubles sur catalogue, de l’ha-
billement, des chaussures, du linge de
maison (pour le trousseau des jeunes
filles), de la vaisselle et bien sûr de l’ali-
mentation. Le tout, réputé de bonne
qualité. C’était un supermarché en
avance sur son temps. Le charbon, les
pommes de terre se commandaient
en grande quantité une fois par an et
arrivaient par wagons pour être redis-
tribués ensuite. C’est un transporteur
de Pouillenay qui effectuait la livrai-
son de charbon chez les différents
bénéficiaires.
C’était les dames qui faisaient les
courses, peu travaillaient à l’époque.
Pas de passe-droit pour passer avant
sa voisine en arrivant. Il fallait déposer
son carnet avec sa liste de commis-
sions dans une boîte prévue à cet
effet et aller s’asseoir. Les vendeurs
appelaient les clientes selon leur ordre
d’arrivée. On pouvait payer au jour le
jour ou faire retenir sur la feuille de
paie à la fin du mois. En fin d’année,
les sommes dépensées étaient comp-
tabilisées et donnaient droit à des ris-
tournes qui permettaient aux ména-
gères de s’équiper en vaisselle « de
luxe »: services en porcelaine à
Aux Laumes: de la «coop» du PLM
à l’économat SNCF
Au cœur de la Cité des Laumes, le magasin en diverses époques.
DR/Coll. N. Simon
72-
Historail
Juillet 2014
SOCIAL
L
Société anonyme coopérative
de consommation des employés
du PLM de Laroche,
implantée au
cœur de la Cité sur la commune de
Migennes-Yonne, fut fondée le 22jan-
vier 1888, par sept agents: Alexandre
Blanchard, mécanicien retraité; André
Lepoint, contremaître aux ateliers;
Théophile Ménière, chef d’équipe;
Pierre Léger, ajusteur-mécanicien; Jules
Vionnet, pointeur; Félix Duport, méca-
nicien; enfin Antoine Joseph Paulard,
l’instituteur et directeur de l’école de la
Cité. La coopérative regroupait à ses
débuts une cinquantaine de familles.
Elle acceptait les retraités ainsi que
leurs veuves
« qui n’auront pas
contracté mariage avec des personnes
ne pouvant participer à la coopéra-
tive »
; à l’agent révoqué, elle rem-
bourse les actions possédées. Règle
commune:
« Aucun membre ne
pourra continuer de faire partie de
la société s’il se livre à un commerce
de gros ou de détail de marchandises
de la nature de celles vendues par la
société »
« s’il se sert de son carnet
pour livrer des marchandises à un
ménage étranger à la société. »
Aux
agents
« frappés d’accidents graves »
ou malades pendant trois mois, aux
veuves d’agents tués en service, la
coopérative offre des aides.
Au sociétaire, détenteur d’une ou
plusieurs actions de 50francs qui ne
donne droit qu’à une voix, un place-
ment productif est proposé:
« Chaque
sociétaire aura le droit de laisser capi-
taliser les sommes qui lui sont dues
par la Société, jusqu’à concurrence de
200francs par action de 50francs
possédée»
, rémunérées à 4%.
La coopérative n’est à l’origine qu’un
simple baraquement en bois, avant
d’être de devoir être agrandie, bâtie
en dur rue Maurice-Berteaux, avec
l’aide de la compagnie. Eugène Ger-
vois qui succédera à Paulard à la direc-
tion des écoles de la Cité, lui succé-
dera aussi comme président de 1920
à 1951. Haut lieu de la vie sociale de
la Cité, la coopérative est aussi un
employeur important: comptant envi-
ron 600 membres durant les années
1930, la coopérative occupe alors huit
à 10 employés.
G. R.
La coop de Laroche, au cœur de la Cité PLM
gâteaux, à café… ou autres. On les
reconnaît encore aujourd’hui dans les
vieilles familles cheminotes car ils
avaient un décor particulier.
Au sous-sol, les réserves et les caves
avec les cuves à vin. Le vin du Midi
arrivait par wagons sur la voie en face
du bâtiment. Une canalisation passait
sous la route et permettait de trans-
vaser directement dans les cuves sans
autre manipulation.
À l’étage, le logement du gérant, avec
tout le confort de l’époque.
Pendant la guerre de 1939-1945, la
coopérative, malgré les restrictions,
assura le ravitaillement minimum de
la population cheminote. Un jour, l’ar-
mée d’occupation réquisitionna la
viande. Les mécanos refusèrent de
monter dans leur machine la gamelle
vide. Le chef du dépôt, le maire inter-
vinrent. Au cours des jours qui suivi-
rent, la coop reçut une livraison de
dépannage.
Lors des années 1950, la famille
Lecouteux et leurs deux filles s’instal-
lent comme gérant de l’établissement.
C’est une famille avenante et com-
merçante. Le magasin fonctionne bien.
Monsieur Lecouteux fait les livraisons à
domicile avec un triporteur.
Au fil des ans, la ville de Venarey se
développa grâce aux chemins de fer
et aux industries qui s’y implantèrent.
Des magasins s’installèrent. La coo-
pérative deviendra l’économat, qui
fermera à son tour en 1983, et sera
remplacé par le wagon-économat qui
passait tous les mois. En fait, trois
wagons stationnaient sur les voies
de service à proximité de la Section
de l’Équipement et «du poste des
laveurs» pour y disposer des bran-
chements d’eau et électricité: le
wagon-magasin, un wagon servant
de logement au personnel, un autre
de réserve. Après la fermeture de
l’économat, le rez-de-chaussée du
bâtiment fut transformé en biblio-
thèque SNCF où les cheminots étaient
accueillis moyennant une adhésion,
et l’étage dévolu aux leçons de cui-
sine et de couture pour les filles et
épouses d’agents. Après la fusion de
la bibliothèque avec la bibliothèque
municipale et son déménagement au
centre-ville, les locaux abritent les
associations de l’UAICF et deux salles
de réunion.
Nicole Simon
Un modeste
bâtiment abritait
la coopérative
de Laroche,
face aux pavillons
caractéristiques de
la Cité, en partie
bien conservés
jusqu’à nos jours,
alors que
la coopérative
ne résistera pas aux
bombardements
de 1944.
Dix-sept locomotives
au fond de la mer
Juillet 2014
Historail
E
n 1945-46, la SNCF a commandé
à trois firmes américaines, Bald-
win, Lima et American Locomotive,
1340 machines avec leurs tenders.
Le problème du transport qui se posait
alors n’était pas des moindres. Il fut
résolu ainsi: la France importait en cet
immédiat après-guerre de grandes
quantités de charbon qui étaient
transportées par des Liberty Ships de
10000t. Il fut donc décidé de charger
en pontée sur chaque navire cinq
locomotives et leur tender. Par ailleurs,
un contrat d’affrètement fut conclu
avec un armement norvégien, la Bels-
hips Company, qui possédait des
navires spécialisés dans le transport
des colis lourds et encombrants: le
Belpareil
qui pouvait charger 40 loco-
motives et le
Belpamela
qui ne pou-
vait en charger que 17.
Je travaillais à cette époque à l’agence
de Cherbourg du service des Impor-
tations et des Exportations (Impex)
du ministère de l’Économie nationale,
et j’ai pu suivre de près ce trafic
puisqu’environ 70% des locomotives
furent déchargées à Cherbourg, le
solde étant débarqué à Marseille.
Pour ce faire, l’armée américaine avait
cédé gracieusement aux autorités
portuaires une grue flottante de 100
tonnes de capacité baptisée Dravo.
En février1947, le
Belpamela
chargea
17 locomotives et tenders. À Baltimore,
je crois. Il fit route vers Cherbourg. Il
n’arriva jamais. Le navire fut perdu corps
et biens. Il avait rencontré une violente
tempête dans le sud de Terre-Neuve,
où elles sont fréquentes en cette sai-
son. On suppose qu’une locomotive
se désarrima, entraînant à sa suite d’au-
tres machines qui enfoncèrent le bordé,
provoquant une entrée d’eau massive
et la perte rapide du navire.
Je me rappelle très bien avoir ouvert
un dossier contentieux que je trans-
mis à la direction générale de l’Impex
à Paris, rue de Bassano.
Les choses en restèrent là car, d’une
part, la SNCF était son propre assu-
reur et, d’autre part, la perte du navire
était due à «la fortune de mer»,
donc à la force majeure.
Rappelons qu’à la même époque,
la SNCF commanda aux États-Unis
5000 wagons tombereaux K.D. Gon-
dola (K.D. pour
«knock-down»
démonté). Ces wagons, eux, furent
transportés du port vers les anciennes
usines d’aviation Amiot qui les remon-
tèrent pour livraison à la SNCF.
Roland Hautefeuille
1.
Les 141R, ces braves américaines
,
publié aux Éditions
La Vie du Rail
.
Débarquée en grande cérémonie à Marseille,
la Mikado Libération 141 R 466, première
à toucher les rails de France, symbolisait
la coopération franco-américaine (Photorail/DR).
Roland Hautefeuille nous rappelle ici un épisode
de l’acheminement vers la France des 141 R tout
de suite après la fin de la Seconde Guerre
mondiale. Un naufrage envoya par le fond 17
des 1340 vapeurs américaines destinées à remettre
en marche le réseau français. Elles y dorment
toujours. Pour compléter ces souvenirs, voici ensuite
comment Bernard Collardey et André Rasserie
racontent en détail, dans un ouvrage épuisé
à ce jour
, la logistique exceptionnelle mise en
place pour faire débarquer en France ces fameuses
machines de l’après-guerre baptisées «Libération».
Tirage disponible
cf.
p. 4
Réf. 310781
80-
Historail
Juillet 2014
UN ENGIN, UNE HISTOIRE
On parle souvent de
«pont aérien» pour
acheminer dans des cir-
constances exception-
nelles des masses considérables de
matériel, mais le «pont maritime»
mis en place pour le transport des
141R avec une flotte disparate,
mal adaptée et épuisée par l’effort
de guerre a été une réussite.
Treize cent quarante ensembles de
145 tonnes, auxquels on doit ajouter un stock de pièces déta-
chées, cela fait plus de 200000t à transporter sur près de
6000km dans un temps qu’il importait de réduire au maxi-
mum. Sur demande du ministère de la Marine marchande,
l’organisation de l’opération fut confiée à l’United Maritime
Authority (UMA), vaste pool interallié contrôlant la majeure
partie des tonnages mondiaux et auquel toutes les nations
alliées avaient adhéré.
Divers bâtiments furent utilisés pour ces acheminements
lourds, sujets aux coups de tangage. Ce sont par ordre d’im-
portance:

Texas
et le
Lakehurst,
de 141m de long, 19m de large,
et 8000 ch, filant 16 nœuds, appartenant à une compagnie
de navigation américaine, la Sea Train Line Company, déjà
utilisés par l’armée US pour le
transport de tanks et de
pièces d’artillerie, se sont vus
affectés à la liaison New
York- Marseille. Leur agence-
ment remarquable compor-
tait trois niveaux (cale, entre-
pont, pont principal) avec
quatre tronçons de voie tota-
lisant 978m, permettant de charger 38 141R +30R. Malheu-
reusement, la puissance de leurs mâts de charge n’excédant
pas 80t, on fut obligés de recourir à des grues portuaires ou
à des pontons-grues flottants;

des navires du type «Bel», de caractéristiques éprouvées,
conçus avant guerre par l’armement norvégien Belships Com-
pany, et dont l’amirauté britannique s’était inspirée pour en
construire un certain nombre, disposant notamment de mâts
de charge à commande électrique de 120t, leur conférant
une autonomie de manœuvre appréciable. Trois d’entre eux,
les norvégiens
Belpamela, Belpareil
de 4500 et 10250t et
L’Empire-Wallace
de 10300t, battant pavillon britannique,
très ballastés, d’une parfaite stabilité, et dont les cales
étaient munies de rails et de dispositifs de saisie empêchant
par gros temps le désarrimage des cargaisons, participèrent
aux navettes, emmenant respectivement 17, 40 et 23 ensem-
bles de locomotives et tenders.

des Liberty Ships ou Victory, dont la vitesse de propulsion
n’est que de dix nœuds et ne disposant que d’un gréement,
au point de vue mâts de charge, limité à 40t. Nombre d’en-
tre eux, choisis parmi la flottille des «charbonniers», purent
être utilisés pour le transport en pontée de cinq locomotives
et tenders reposant sur un épontillage spécial fait de
madriers et de rails soudés.

des cargos à cales de grande ouverture et à pontée déga-
gée, appartenant à l’armement danois Reimann. Deux d’en-
tre eux de 7000t de port en lourd, les
Vedby
et
Tureby,
trans-
portèrent une douzaine de 141 R et tenders, leur chargement
étant complété par des marchandises diverses de moindre
volume arrimées sur le pont et l’entrepont.
Au port de New York, où s’effectua l’embarquement de la
grande majorité des machines sortant des usines américaines,
le chargement des locomotives se fit par l’intermédiaire
d’une grue flottante et d’une grue sur rails pour les tenders.
Pour les machines canadiennes, le départ eut lieu des appon-
tements du port de Montréal-Est sur le Saint-Laurent, pen-
dant la période de navigabilité du fleuve.
L’état des ports français et le volume des trafics de toute
nature à traiter au lendemain de la guerre ont sérieusement
influencé les modalités de déchargement des 141R. Plusieurs
d’entre eux avaient leurs bassins et leurs moyens de levage
hors d’usage. Certains, comme Saint-Nazaire et Dunkerque,
ne pouvaient prêter au début leurs installations, leur accès
étant interdit par la présence de champs de mines. C’est, du
reste, la raison du détournement sur Anvers de deux navires,
au tout début, obligeant les vingt-cinq machines, après
déchargement, à transiter par les voies de la SNCB pour
rejoindre la France. D’autres,
comme Bordeaux, avaient des
voies de raccordement d’un
trop faible rayon. En défini-
tive, trois ports seulement dis-
posant de quais bordant des
bassins ayant un tirant d’eau
suffisant et des grues permet-
tant de soulever en toute
sécurité une masse de 108t (105 pour la locomotive et 3t
pour la poutre spéciale de levage) furent sélectionnés et
abondamment utilisés. Il s’agit de Marseille, Cherbourg et
Saint-Nazaire.
À Marseille, on employa la grue flottante Goliath de 150t,
propriété de la chambre de commerce; à Saint-Nazaire, les
grues fixes d’armement des Chantiers de Penhoët et des
Chantiers de la Loire, ayant une force de 150 et 180t; et, à
Cherbourg, on eut recours à un ponton-grue de l’armée amé-
ricaine venant s’intercaler entre le quai et le navire. Malgré
l’absence momentanée de moyens de levage puissants, le
port duHavre fut lui aussi mis à contribution, mais seulement
pour accueillir des bateaux porteurs de mâts de charge, en
l’occurrence les navires type Bel.
Dans tous les cas, les locomotives ont été soulevées d’une
seule pièce à l’aide d’une poutre spéciale d’équilibrage, dont
une extrémité était boulonnée sur le dôme de prise de
vapeur (correspondant au centre de gravité) et l’autre, fixée
par quelques boulons sur une ferrure disposée sur la plaque
avant de la porte de la boîte à fumée. Quant aux tenders,
leur transport s’effectuait après élingage au travers des
bogies et ceinturage.
Au port de New York, une grue
�ottante fut mise en place pour
assurer le chargement des machines
sortant des usines américaines
Un pont maritime sur l’Atlantique pour le débarquement
«
Juillet 2014
Historail
[ dix-sept locomotives au fond de la mer]
La première machine, déchargée à Marseille, au bassin du
Président-Wilson, a pris contact avec les rails français le
17novembre 1945. Son arrivée donna lieu à une réception
officielle à laquelle participèrent de nombreuses personnali-
tés, dont M.Goursat, directeur général de la SNCF par
intérim, et le colonel Stoddard, représentant le service des
chemins de fer de l’armée américaine en Europe. Somptueu-
sement pavoisée, la Mikado 141R 466 livrée par Baldwin,
et baptisée comme toute la série «Libération», fut le point
de mire de cette cérémonie mémorable, symbolisant toute
la coopération technique franco-américaine.
Au 1
mars 1946, 260 locomotives et tenders étaient débar-
qués; fin 1946, il y en avait 950 et le 5septembre 1947, soit
moins de deux ans après, 1323 ensembles étaient arrivés à
destination. La rotation de ces transports maritimes specta-
culaires durait en moyenne deux mois entre chaque escale en
France. Cherbourg s’est placé en tête des ports réception-
naires avec 793 machines et tenders. Marseille s’inscrivant
avec 276, Saint-Nazaire 139 et LeHavre 90. Quatre cent onze
groupes avaient été amenés par les Liberty Ships, le reste aux
moyens de navires spécialisés. Malheureusement, 17
machines et tenders, les 141R et 30R 1220 à 1235 et 1241
avaient fini le 13avril 1947 au fond de l’Atlantique
Nord, dans le naufrage du navire norvégien
Belpa-
mela
pris dans une violente tempête au large de
Terre-Neuve.
Extrait de
s 141 R, ces braves américaines
de Bernard Collardey
des machines «Libération»
»
Ci-dessus à gauche et à droite: les locos étaient été soulevées à l’aide
d’une poutre d’équilibrage boulonnée sur le dôme de prise de vapeur
et sur la porte de la boîte à fumée.
Ci-contre: en 1945-46, la SNCF commanda aux firmes américaines Baldwin,
Lima (photo) et American Locomotive 1340 machines avec leurs tenders.
Photos Photorail/DR
Juillet 2014
Historail
toutes les gares. Pour réaliser ce pro-
gramme, il installe à droite et à
gauche de la voie deux nouveaux
rails destinés à une gare mobile qui
sera entraînée par le train à son pas-
sage devant la station. Ces deux rails
servent de chemin de roulement à
une charpente métallique sous
laquelle vient s’engager le train en
vitesse et qui est muni d’un petit
bâtiment faisant corps avec elle. À la
partie supérieure de cette charpente,
on a installé des galets très larges
destinés à faire circuler momentané-
ment le système sur une paire de rails
fixés sur les toits des différentes voi-
tures dont se compose le train.
À l’endroit de la station, les deux rails
situés sur le sol de la gare mobile
sont surélevés, de sorte que, lorsque
le train en marche passera sous la
charpente métallique, il pourra
entraîner le système, tout en le lais-
sant circuler sur son chemin de rou-
lement; mais à partir de quelques
mètres du point de rencontre, la voie
de la gare mobile s’infléchit, si bien
qu’au bout d’un petit parcours, cette
gare viendra reposer sur les rails fixés
aux toits des voitures. À l’endroit de
l’arrêt, les voies de la gare mobile
reprennent petit à petit leur niveau
supérieur; un certain moment elle se
sera donc reposée sur les rails des
wagons pour ne plus circuler que sur
les rails du sol. En faisant réagir les
freins de la gare mobile, on pourra
fixer celle-ci sur le train en mouve-
ment, ou s’en débarrasser suivant les
besoins. On conçoit que pendant le
temps où les deux systèmes (train et
gare) sont solidaires, on puisse faci-
lement effectuer le changement des
voyageurs et des bagages
(figure1)
Pour pouvoir rendre ce procédé
absolument efficace, il faut s’arran-
ger de façon à ce qu’il n’y ait aucun
arrêt du train sur tout le parcours du
réseau; or, on sait qu’on est obligé
toutes les sections de 200 ou
300km, de changer de locomotives,
autant pour ménager celles-ci que
pour donner un peu de répit aux
mécaniciens. Il fallait donc trouver
un moyen pour pouvoir opérer le
changement de locomotives sans
arrêt du train. L’auteur a indiqué un
dispositif qui permet à la locomotive
de se détacher des voitures qui la
suivent; arrivée à proximité de l’en-
droit de changement des machines,
celle qui tire le train en question se
détache, file à l’avant et s’engage sur
une voie de garage. Le train conti-
nue à marcher en raison de la vitesse
acquise et en vertu d’un plan incliné
sur lequel il roule. À une certaine
distance devant lui se trouve une
nouvelle locomotive qui marche à
une vitesse inférieure à celle du
train; celui-ci vient buter contre elle;
l’amarrage se fait automatiquement
et le train tout entier reprend son
allure jusqu’au poste de changement
suivant.
Ce petit projet est admirable sur le
papier, mais est-il réalisable? N’y
aurait-il pas des effets désastreux
provenant du cueillage en route de
la gare mobile et de son soutien sur
le faîte des voitures? D’autre part,
le système doit être fertile en en
accidents; en effet, si quelque
organe vient à clocher, le train peut
être entraîné à sa perte. L’idée émise
par l’ingénieur américain n’en est
pas moins intéressante et neuve; elle
aurait pourtant besoin d’être mise
en pratique pour qu’on sache si elle
est vraiment de l’emploi facile et non
dangereux.
Arrosage des voies
ferrées par le pétrole
Les avantages résultant de l’arro-
sage des voies par le pétrole sont
tels qu’ils procurent souvent une
Figures2 et3:
aspect d’une voie
au moment du
passage d’un train,
avant et après
les opérations
d’arrosage par
le pétrole d’après
des photographies.
Extrait du
Répertoire général des fournisseurs de l’Armée, de la Marine et des Travaux publics
/Coll. G. R.
… abolir complètement les arrêts aux stations,
tout en permettant aux voyageurs de descendre
ou de monter en voiture à toutes les gares…
économie aux compagnies de che-
mins de fer qui font usage de ce
procédé, malgré le prix élevé de
l’opération. Grâce à celle-ci, on évite
d’abord les nuages de poussière
soulevés par le passage des trains
(voir les figures2 et3)
; en certains
cas, ceux-ci deviennent une cause
de dépense élevée, en raison des
nettoyages longs et minutieux du
matériel auxquels on était obligé de
procéder. D’autre part, on constate
une réduction des frais de l’entre-
tien des voies arrosées par le
pétrole; la durée du ballast est pro-
longée. En effet, l’huile de pétrole
détruit toutes les végétations et
forme une croûte imperméable qui
empêche les infiltrations de l’eau et
évite par conséquent les ravine-
ments, les déchaussements des
traverses et tous les accidents de
même genre.
La dépense due à l’arrosage des
voies par le pétrole est très variable
et dépend naturellement de l’endroit
où l’on se trouve. Il est certain qu’en
France le procédé ne serait guère
pratique à cause de la cherté de ce
liquide; mais en Amérique où l’on
n’a pas les frais de droit et de trans-
port à payer, la question peut être
envisagée avec plus d’à-propos. On
a calculé que la dépense provenant
d’un premier arrosage varie de 750
à 1125francs par mille [mile améri-
cain terrestre =1609,347 m] et que
l’entretien des voies ainsi préservées
n’est que de 400francs par an et
par mille.
Pour procéder à l’opération de l’ar-
rosage des voies, on se sert d’un train
spécialement affecté à cet usage. Il
se compose d’une locomotive mar-
chant à raison de 6 milles à l’heure,
d’un ou deux wagons-citernes conte-
nant chacun 38m³ de pétrole et de
wagons plates-formes pour la
manœuvre des appareils.
Le pétrole est seulement réservé aux
parties du sol qui les accompagnent
et comme les rails ne doivent pas en
recevoir, on établit de chaque côté
un masque de 60 centimètres de
longueur qui empêche le liquide de
toucher le métal.
Le pétrole contenu dans les citernes
est distribué par une canalisation qui
communique avec trois tuyaux de
5cm de diamètre; un pour chaque
côté de la voie et le troisième pour la
partie comprise entre les deux rails.
84-
Historail
Juillet 2014
CURIOSITÉ
Figure 4:
train pour
l’arrosage des voies
de chemin de fer
par le pétrole.
Le pétrole est spécialement préparé de façon
à ne plus dégager aucune odeur au bout
de deux ou trois jours…
Extrait du
Répertoire général des fournisseurs de l’Armée, de la Marine et des Travaux publics
/Coll. G. R.
Juillet 2014
Historail
Les tuyaux relatifs aux parties latérales
sont mobiles autour d’une genouil-
lère et peuvent être déplacés à l’aide
d’une corde manœuvrée par un
homme monté sur la plate-forme
(figure4)
Cette disposition est fort
utile, car elle permet d’arroser non
seulement les portions horizontales
de la voie, mais encore les talus. Ce
tuyau métallique est percé d’une série
d’ouvertures par lesquelles s’échappe
le pétrole.
Le pétrole qui sert à l’arrosage des
voies est spécialement préparé de
façon à ne plus dégager aucune
odeur au bout de deux ou trois jours.
Il paraît qu’il y a avantage à employer
le pétrole chauffé à 90°; il est alors
mieux imprégné dans le sol et s’y fixe
plus solidement.
À cet effet, il est fourni chaud par les
raffineries et utilisé immédiatement.
On ne saurait en effet établir un sys-
tème de chauffage en route sans
s’engager dans des dépenses très
élevées.
Une voiture pour
les excursions nocturnes
Les Américains, qui savaient si bien
en certaines circonstances à joindre
l’utile au pittoresque, viennent de
construire un genre de voitures de
chemin de fer spécialement destiné
aux promenades du soir après les
journées de forte chaleur. Ils ont
donné à ces voitures le nom de
Moonlight
Clair de lune.
Nous ne
doutons pas que ces véhicules aient
beaucoup de succès de l’autre côté
de l’Océan; chez nous, ils n’en
auraient aucun.
Cette voiture qui peut parcourir la
voie soit isolément, soit accrochée
à un train, est composée d’une
plate-forme montée sur deux bogies
à quatre roues; la plate-forme sur
laquelle se trouvent des sièges pou-
vant donner 90 places assises; une
légère barrière mobile placée contre
les banquettes contribue à éviter les
accidents pendant la marche. La voi-
ture est complètement découverte
et dégagée
(figure5)
. Un petit toit
situé à l’avant sert à protéger les
appareils de manœuvre et à l’at-
tache du conducteur du trolley.
Les appareils d’éclairage sont dissi-
mulés de façon à ne pas éblouir le
regard ni distraire les excursionnistes
dans leurs méditations nocturnes; on
a placé les lanternes en contrebas
des sièges avec des réflecteurs qui
envoient les rayons lumineux vers
le sol.
Georges Ribeill
1. Outre un annuaire commercial très
complet des fournisseurs français, dans
une première partie, ce
Répertoire
présentait des innovations apparues
durant «l’année technique 1901-1902»
dans une série d’articles où les chemins
de fer, tramways, cycles et automobiles
occupent une large place.
2. Qui connaît cet ingénieur Jenkins,
aussi ingénieux… ?
[ folies ferroviaires ]
Figure 5:
voiture
«Moonlight» pour
les excursions
nocturnes, en usage
aux États-Unis.
Extrait du
Répertoire général des fournisseurs de l’Armée, de la Marine et des Travaux publics
/Coll. G. R.
86-
Historail
Juillet 2014
LIVRE
Un cheminot de Tourcoing
organise une filière d’évasion
pour les prisonniers
de guerre français
Pendant deux ans, de 1942 à 1944, Louis Saint-Ghislain,
cheminot à Tourcoing et sa famille ont aidé une centaine
de prisonniers évadés d’Allemagne, cachés dans
des wagons de marchandises à retrouver leur liberté.
Photos, archives, anecdotes se lisent au fil des pages
écrites par sa petite fille Marie-Pierre Haem-Leclercq,
professeur d’histoire.
Coll. M.-P. Haem
enfin, il fallait parcourir les planèzes et construire des lignes de pla-
teaux. Ces trois types de tracés se retrouvent si fréquemment qu’ils
font du chemin de fer cantalien une sorte d’archétype de la construc-
tion ferroviaire.
Mais les contraintes d’exploitation de ces lignes liées à la topologie et
aux conditions climatiques se révélèrent difficiles. Très rapidement, les
trafics importants ont contourné le Cantal et, plus généralement, le
Massif central, où le rail n’a jamais joué le grand rôle que certains pro-
moteurs lui dessinaient. Malgré tout, le chemin de fer a permis
d’irriguer le département convenablement, permettant son déve-
loppement économique et régional tout autant qu’un exode rural
dont il paye encore aujourd’hui le prix fort. Avec une des plus faibles
densités de population de France, le Cantal peut s’estimer bien mal
récompensé d’avoir donné à Paris des générations de bougnats et de
patrons de bistrots. Aujourd’hui, dans le désert du centre de la France,
les «petites lignes» qui n’étaient que trop peu fréquentées n’ont pas
survécu, quand d’autres continuent d’assurer leur rôle de service
public et d’aménagement du territoire.
Le présent livre est une rétrospective du rail cantalien depuis 1950.
Cette date marque la fin de la construction du barrage de Bort-les-
Orgues sur la Dordogne, ouvrage qui causera l’asphyxie des deux
lignes d’Aurillac et de Neussargues. En les privant de débouché vers
le nord, cet événement modifiera en profondeur l’exploitation fer-
roviaire dans le Cantal.
Nous étudierons, en premier lieu, les lignes affluentes des deux étoiles
ferroviaires centrées sur Aurillac et sur Neussargues: leur histoire,
leur description géographique et l’exploitation des services voya-
geurs et marchandises.
Juillet 2014
Historail
Un ouvrage de 208 pages au format 24 cm x 32 cm.
En vente à la librairie de
La Vie du Rail
(gare Saint-Lazare,
13, rue d’Amsterdam, 75008 Paris) ou par correspondance
(La Vie du Rail, BP 30657, 59061 Roubaix Cedex 1) ou sur
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Réf.: 110 303. Prix: 55
La gare de Thiézac offre l’un des plus
beaux panoramas sur la vallée
de la Cère. En tête d’une longue file
de wagons, une 141 TA démarre
vers Aurillac, entraînant le convoi vers
la pente… coups de sifflets, les bielles
tournent, les wagons s’entrechoquent…
tel était le spectacle quotidien en
juin1960. (L. Pilloux/Photorail – SNCF ©)
Sous le regard médusé de jeunes voyageurs,
l’agent d’Aurillac manœuvre l’un des 15 leviers
équipant le poste unifié de type 1950. Adossé
au bâtiment voyageurs, ce poste installé
en 1955 gérait les convergences vers la voie
unique et les sorties du dépôt côté
Neussargues. Septembre 1958.
(O. Perrelle/Photorail – SNCF ©)
92-
Historail
Juillet 2014
BONNES FEUILLES
Le chapitre suivant sera consacré aux dépôts et aux différents modes
de traction, mettant en valeur la variété du matériel moteur qui par-
courut les lignes et le service auquel il était alloué.
Le rail cantalien ne peut être évoqué sans aborder le thème de l’ex-
ploitation en période hivernale, où, malgré les précautions prises dès
la conception du tracé, l’enneigement important nécessitait l’emploi
d’un matériel spécifique. La continuité du service était essentielle pour
satisfaire un tourisme hivernal, pour lequel le rail jouait le rôle de
transporteur principal et permit à la gare du Lioran d’écrire les plus
belles pages du rail cantalien. C’est l’objet du quatrième chapitre.
Enfin le dernier point de cet ouvrage présentera les «grands» trains
ayant assuré un service voyageurs, marchandises ou touristiques:
trains express en direction de la capitale, trains de la transhumance,
sans oublier les trains spéciaux des célèbres «tours du Cantal».
Pierre-Louis Espinasse
(Extraits de l’introduction)
Le 20juillet 1986,
la campagne s’éveille
paisiblement au
sifflement de la 141 R 420
en tête d’un «Tour
du Cantal» traversant
le viaduc de Calcal situé
entre les souterrains
de Junsac et de Ferluc.
Son architecture massive,
sa courbure et l’accès ne
sont pas sans rappeler le
viaduc de Saint-Saturnin.
(Y. Allain)
Ci-dessous: le 12mars
2005, après avoir déversé
son flot de voyageurs
en gare du Lioran, le train
de skieurs en provenance
de Brive poursuit vers
Neussargues laissant
derrière lui la ville
de Murat dominée par les
monts du Cantal encore
enneigés. (P. Mirmand)
À gauche: en mai1982, un court train de marchandises Aurillac – Mauriac,
composé d’une BB 66000 tractant trois wagons à bestiaux, franchit le viaduc
de la cascade de Salins. (L. Pilloux/Photorail – SNCF ©)
Page de droite de haut en bas:
le 19juillet 1992, l’autorail «Picasso» X 4039 affrété par l’ABFC (Association
des autorails Bourgogne Franche-Comté) s’offre une balade jusqu’à Bort-les-
Orgues. Il entame une remarquable succession d’ouvrages d’art: celle des viaducs
de la Maronne, d’Espont (vu dans l’axe de la voie) et de Salesse (au loin).
Le barrage d’Enchanet a grossi la Maronne et noyé la vallée. (D. Vuagnoux)
L’ascension de la rampe de 25 ‰ située dans les gorges de la Maronne est
ponctuée d’innombrables tunnels. Dans ce site pittoresque, aujourd’hui envahi par
les herbes folles, l’ADP va gagner la pénombre du souterrain de Saint-Christophe.
Les versants de la vallée sur laquelle veille Notre-Dame-du-Château, le château
de Branzac, font chambre d’écho au ronronnement de l’autorail.
(L.-M. Vilain/Photorail – SNCF ©)
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régulières, des documents,
des bibliographies, les richesses
du patrimoine ferroviaire…

Livres
’auteur propose une
monographie fort bienve-
nue, consacrée à l’une des
plus anciennes concessions
d’intérêt général, l’une des
exploitations aussi les moins
connues: qui connaît Paul
Castiau, le directeur des tra-
vaux du jour à la Compagnie
d’Anzin à l’initiative de sa
desserte ferroviaire, dont un
buste éloquent orne la tombe
(p.4)
Si la ligne concédée en 1835
à la riche Compagnie d’Anzin
et exploitée depuis 1838 a
pour vocation le transport des
houilles, elle assurera aussi les
migrations quotidiennes des
travailleurs des mines et
usines de la région, un trafic
qui ne sera arrêté qu’en
1963! Après 150 ans d’ex-
ploitation par la Compagnie
des Mines d’Anzin passée en
1946 aux Houillères natio-
nales du Nord et Pas-de-
Calais, c’est l’arrêt total,
conséquence de la fermeture
de sa dernière fosse le
31décembre 1988.
En plusieurs étapes, la
Compagnie a construit un
réseau de 37km sur le terri-
toire de ses cinq concessions
houillères. À la ligne de
Somain à Anzin (19km),
ouverte par étapes entre
1838 et1848, succédera celle
d’Anzin à la frontière belge
(18km), ouverte en 1874,
raccordée au Nord en 1875.
La compagnie assure donc
un trafic déséquilibré mais
efficient: en 1868, outre
767000fr. de recettes en
transports de charbon pour
son propre compte, elle per-
çoit respectivement 112700fr.
en recettes voyageurs et GV,
et 174 800 fr. en trafic PV.
Une chronologie fine détaille
les temps forts de l’exploita-
tion
, ouverte par
l’inauguration en grande
pompe de la première ligne
bien modeste de Saint-Vaast
à Denain
(p.6)
, pointant
l’épisode singulier de deux
occupations allemandes! Les
nombreux raccordements et
embranchements sont énu-
mérés en 1935, 1970 et
1980. Les accidents majeurs
survenus de 1844 à 1956,
des extraits du « cahier des
punitions » depuis 1948, un
inventaire des vestiges
actuels du chemin de fer, des
témoignages des derniers
voyageurs familiers de la
ligne comme des cheminots
d’Anzin apportent de la
saveur à cette épopée de
houillères et chemins de fer
liés dans un commun destin.
Très appréciable, le chapitre
consacré aux « cheminots »
d’Anzin, à la croisée de deux
corpotations: un effectif évo-
lutif (une centaine d’agents
en 1847, jusqu’à 1961 en
1937, mais tombé à 115 en
1988), mais aussi un éclairage
précieux sur le statut de ces
agents: dotés à l’instar des
agents des grands réseaux de
leurs propres mutuelles, une
Société de prévoyance des
mécaniciens
(1881) et une
Fraternelle des ouvriers
(1882), ils revendiquent en
vain leur assimilation en 1931
aux cheminots des grands
réseaux, ne bénéficiant
même pas de la loi du 22juil-
let 1922 qui instaure les
retraites des « petits chemi-
nots » (agents des réseaux
secondaires et d’intérêt local),
affiliés plutôt à la Caisse auto-
nome des ouvriers mineurs.
Et en 1937, selon la conven-
tion collective que signe le
« Syndicat unifié des chemi-
nots d’Anzin », le personnel
est affilié au régime des
ouvriers de surface de la mine
avec lesquels d’ailleurs
leur cursus professionnel
se confond parfois. Un
reproche: une seule et fort
médiocre carte à disposition
du lecteur, en page de dos!
oici donc un livre
« record », à la mesure
du sujet dont il traite, une
histoire et un bilan très
détaillé de la manière dont la
« grande vitesse ferroviaire »
a bousculé les traditionnels
réseaux ferrés. Naturellement
largement dévolu à l’histoire
des TGV en France, l’ouvrage
traite de manière exhaustive
et très détaillée l’ensemble
des réalisations et projets en
cours dans le monde entier,
un état des lieux à jour quasi-
ment fin 2013! Bien
entendu, président du
Inter
City and High Speed
Committee
de l’UIC, l’auteur,
un ingénieur qui, au sein de
la SNCF, a accompli
« une car-
rière passionnante »
et a
trempé dans de nombreuses
études, projets et bilans,
connaît bien son sujet!
Livre-objet de près de 4cm
d’épaisseur, élégamment et
minutieusement
conçu,
jouant sur les coloris variés
de sa typographie, avec de
magnifiques cartes iso-
chrones comparant l’accessi-
bilité du territoire français à
partir de Paris et 10 villes de
province en 1980 et 2012.
Livre apparenté à une sorte
de
« manuel avec un rappel
didactique des concepts fon-
damentaux et des recherches
académiques »,
c’est une
véritable encyclopédie de ce
que l’auteur désigne par
l’acronyme GVF, « grande
vitesse ferroviaire », dont
chaque chapitre peut être lu
indépendamment des autres.
Soit 12 chapitres, largement
dévolus aux aspects écono-
miques et financiers: 1) Le
système de la grande vitesse
ferroviaire; 2)Rentabilité
socio-économique; 3) Impact
de la GVF sur l’aménagement
et la compétitivité des terri-
toires; 4)Financement des
investissements; 5)Tarification
de l’usage de l’infrastructure;
6)Prévision de trafic;
7)Modèle économique;
8)Énergie et vitesse opti-
male; 9)La grande vitesse
ferroviaire en France; 10)La
grande vitesse en Ile-de-
France; 11)Le réseau euro-
péen à grande vitesse; 12)La
grande vitesse ferroviaire
dans le reste du monde.
Juillet 2014
Historail
GABRIEL GRÉPIER
Le Chemin de fer
d’Anzin (1838-2013)
Association généalogique
Flandre-Hainaut et Cercle
d’études ferroviaires Nord, 2014,
cahier de 110 pages A4;
illustrations en couleurs et N&B.
FP, à l’ordre
du CERFNORD, 6, chemin
du Moulin, 59144 Jenlain).
LIVRES
MICHEL LEBŒUF
Grande Vitesse
ferroviaire
Cherche-Midi, 2013, 853 pp.,
170mm x 225mm, nombreuses
illustrations, cartes et graphiques,
. LVDR Réf.: 121 274.
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, paru en 2010 et
épuisé,
La Vie du Rail
réédite cet ouvrage incontournable
dédié à une gare prestigieuse. Cette nouvelle édition
remaniée reprend une partie de la précédente, donc
épuisée, tout en s’augmentant de l’histoire et des
photographies de la gare Saint-Lazare actuelle et des
travaux qui y conduisirent. Avec près de 450000
voyageurs quotidiens, Paris-Saint-Lazare est de nos jours
l’une des plus grandes gares de la banlieue parisienne.
Cette vocation est héritée de l’administration du réseau
de l’État qui l’exploita à partir de 1909 et veilla
particulièrement à développer le trafic de banlieue,
moins favorisé par les autres compagnies. L’impulsion
de son célèbre directeur Raoul Dautry en fera une gare
à la pointe du progrès, conçue pour transporter
les «Français du métro».
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29

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Atmosphères
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La France des Trente Glorieuses
Photos François Fontaine
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s’enrichit d’un nouvel album de photographies ferroviaires
consacré à l’œuvre de François Fontaine. Passionné par le monde
ferroviaire, cet excellent photographe sillonna la France en train
et à vélo, en partant de la région parisienne et en prenant toutes
les lignes secondaires, pouvant aller jusqu’à Montpellier. Un rituel
immuable chaque fin de semaine, de 1947 à 1968, qui permit
d’illustrer la vie ferroviaire mais aussi quotidienne d’une époque où
le chemin de fer rassemblait famille et amis sur les quais des gares.
Photographe talentueux et précurseur, François Fontaine ne se
contenta pas de capter des instantanés de qualité du matériel
ferroviaire, mais offrit en noir et blanc et en couleurs une vision
humaine et personnelle de la vie de ces hommes et femmes
rassemblés sur les quais, des prises de vue exceptionnelles
réalisées le temps d’un court arrêt d’une ou deux minutes.
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