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Description

www.laviedurail.com/historail
L’espionnage ferroviaire
avant 1914
Des transports pour
l’Exposition de 1937
Dans ce numéro
200

L’espionnage ferroviaire avant 1914
Des transports pour l’Exposition de 1937
Locos de légende
Feuilleton
La Pacific
La boutique
de
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Les Tramways d’hier en France
(1950-1960)
Photos François Fontaine – Élie Mandrillon: Histoire du rail
En vente par correspondance à:
La Vie du Rail
BP 30657 – 59061 ROUBAIX CEDEX 1
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110318
Bon de commande page4
L’ouvrage s’inspire de l’œuvre de François Fontaine pour
qui les tramways et les réseaux secondaires sont une vraie
passion. La photographie lui a permis de constituer
un fonds d’archives dès 1948: ses images transmettent
des scènes vivantes et pleines d’humanité où tout
le monde a sa place. C’est d’ailleurs la singularité
de cet ouvrage: on y découvre des villes en tout genre,
leurs habitants et des coins atypiques à travers les réseaux
de tramway. De Versailles à Perpignan, en passant
par une vingtaine de villes, cet ouvrage permet de partir
à la découverte de ces véhicules dans les années 1950-
1960, véhicules qui ont pour la plupart disparu à la fin
de ces années-là, lors d’une période de transition
avec le bus et le trolleybus. 250 photos inédites.
Format: 24 x 32cm
160 pages
Réf.: 110318
45

NOUVEAUTÉ
Avril 2015
Historail
D
e leur souffle est née la passion ferroviaire. Les locomotives mythiques de la grande
aventure du rail ont fait rêver des millions d’amoureux.
Historail
commence aujourd’hui
un feuilleton dédié à ces divas de la voie ferrée en vous proposant cette évocation en images
et en textes de la plus mythique d’entre toutes: la Pacific, véritable bijou technologique qui fit
carrière en tête des trains les plus nobles sur les cinq continents. Elle a inspiré ingénieurs,
écrivains, artistes et musiciens. Et ses versions françaises ont fortement contribué à la noblesse
de notre paysage ferroviaire.
A
utre thème à vous proposer par ce numéro33 d’
Historail
: l’espionnage ferroviaire cher
à notre agent très secret, Georges Ribeill.
«L’ouverture des archives militaires,
nous raconte ce dernier,
longtemps protégées par
le secret-défense, permet de dévoiler le travail des agents secrets et autres commissaires de
gares, dont l’attention se concentrera tout particulièrement depuis les années 1880 jusqu’en
1914 sur les réseaux et installations ferroviaires de l’ennemi.»
Des plans minutieux des gares d’Alsace et de Lorraine établis par les agents secrets du
Bureau à un «curé-espion» naïf soudoyant le chef de gare d’une petite station provinciale,
voici donc un panorama incomplet mais fort suggestif de l’attention portée à cette nouvelle
«arme ferroviaire».
Bonne lecture.
Vincent Lalu
La Pacific
Nord 231 E 47
du dépôt de Paris-
La Chapelle
qui a remorqué
le train impérial
de Dunkerque
à la bifurcation
des Batignolles
(Petite Ceinture).
(DR/Photorail)
La lettre de l’éditeur
Réseaux français et allemands
avant 1914:
de la géographie militaire
à l’espionnage ferroviaire
La défaite de la guerre de 1870 révéla l’atout allemand que fut un plan de
concentration ferroviaire des armées, alors que son absence, côté français, avait conduit
à un indescriptible «chaos» selon le directeur de la Compagnie de l’Est. Désormais,
les chemins de fer constituent bien une «arme nouvelle». Les géographes militaires
s’y intéressent, mais surtout les services en charge du renseignement: commissaires
spéciaux des gares frontières de l’Est, agents du 2
Bureau… De part et d’autre
de la frontière, préfigurant la stratégie de l’adversaire, les lignes en construction,
la prolifération des quais militaires donnent lieu à de minutieux rapports des agents
secrets. De temps à autre, le camp adverse dévoile l’un de ces «espions», tel en 1888
le commissaire spécial Schnaebelé. Traque dégénérant parfois en «espionnite» aiguë…
Bien entendu, il serait intéressant de connaître la manière dont les services allemands
ont symétriquement espionné nos gares et voies ferrées! Dans ce domaine toutefois,
et c’est trop rare pour ne pas être souligné, l’organisation française des services
de renseignement a plutôt inspiré le modèle allemand!
Sur la frontière
franco-allemande,
la gare d’Igney-Avricourt
en Meurthe-et-Moselle
(Photorail-SNCF ©).
Tirage disponible
cf.
p. 4
Réf. 330061
I
Les chemins de fer
envisagés au point de vue
militaire,
selon Rovel
Joseph Jules Rovel, alors officier d’ar-
tillerie en Algérie, signe en 1874 le
premier ouvrage paru après la défaite
de 1870 et consacré aux rapports
entre chemins de fer et stratégie mili-
taire
. Après avoir rappelé les besoins
logistiques appropriés à la formation
et au transport des armées, au trans-
port du matériel, des munitions
et des vivres, il établit précisé-
ment par de savantes for-
mules mathématiques les
deux facultés fondamen-
tales de toute ligne:
primo,
« puissance
tractive »,
nombre de
tonnes qu’une locomotive
peut traîner en fonction
de sa force, de sa vitesse de
marche et du profil de la voie;
secundo,
son
« régime de circu-
lation »,
nombre de trains que cette
ligne peut organiser et expédier de
manière continue dans un temps
déterminé. C’est en somme calculer
le débit régulier d’écoulement d’une
ligne, sa
« puissance logistique »,
limite son profil comme le matériel
moteur ou remorqué qui lui est
affecté, puissance qui permettra de
planifier la concentration des troupes.
Tout aussi neuve est sa conceptuali-
sation au plan spatial d’un nécessaire
dispositif défensif combinant des
« places centrales »
en retrait à l’inté-
rieur avec des
« pivots stratégiques »
assis sur les voies ferrées,
« places de
concentration »
établies aux embran-
chements principaux entre lignes
rayonnantes et lignes périphériques.
Les conditions fondamentales aux-
quelles doivent correspondre ces
« pivots stratégiques »
en font des
nœuds ferroviaires:
«1°) être assis sur
les grandes voies ferrées rayonnantes
et constituer des postes importants,
soit comme stations à ressources et
embranchements multiples, soit
comme
centres régionaux
; 2°) être
tenus à 50 à 60km en arrière de l’ex-
trême frontière, de manière à pouvoir
la surveiller sans redouter de sou-
daines irruptions; 3°) se relier non seu-
lement à la frontière par une ou plu-
sieurs lignes rayonnantes, mais se
relier entre eux et à toute la région
ambiante par des lignes parallèles ou
circonférencielles. »
Rovel esquisse un
tel système ramifié de lignes articu-
lées autour de sept
« pivots straté-
giques »
, trois voués à la défense de la
frontière nord.
La frontière est s’organiserait sem-
blablement autour de quatre pivots:
« 4) Vesoul, sur la ligne de Paris – Bel-
fort, se reliant à Chalon par Chaumont
et formant pivot pour les Vosges et le
Jura; 5) Besançon, se reliant à Paris par
les deux lignes Paris – Chaumonnt –
Vesoul et Paris – Dijon – Dôle. Cette
place existe déjà on connaît l’impor-
8-
Historail
Avril 2015
GUERRE
Les premières leçons ferroviaires
de la guerre franco-prussienne
de
1870
Le fait fut reconnu:
« Par une fatalité à jamais déplorable, la France n’a eu,
pour la guerre de 1870, aucune organisation sérieuse des transports
militaires, tandis que l’Allemagne en possédait une aussi complète que
possible. »
Ainsi s’exprime de manière très pondérée le directeur de la
Compagnie de l’Est, Jacqmin, reconnaissant en 1872 que
« les chemins
de fer constituent une arme nouvelle aux mains de l’homme de guerre.»
Et d’en appeler à l’étude poussée et anticipée de la question
des transports ferroviaires en temps de guerre
« C’est avec ces études
et cette prévision qu’on gagne aujourd’hui les batailles. »
Moltke bénéficiera
en 1870 d’un plan
ferroviaire
de concentration
de ses armées (DR).
Avril 2015
Historail
tance de sa position; 6) Chalon-sur-
Saône, qui serait le trait d’union entre
Besançon et Lyon; 7) Lyon. »
Ainsi, disposant sur les frontières du
Nord et de l’Est de ces sept places de
concentration et d’un tel réseau,
est aisé de calculer en combien de
temps les troupes pourraient être
concentrées sur l’une ou l’une ou l’au-
tre frontière. »
En estimant à 80 le
nombre de trains nécessaires pour
transporter un corps d’armée, écoulé à
raison de 18 ou 25 trains par jour sur
une ligne à deux voies, il faudrait donc
tabler sur quatre ou cinq jours, et sur
une ligne à une voie n’admettant pas
plus de 12 trains par jour, sur huit jours
environ.
« Avec un tel système, et à la condi-
tion bien entendu que toutes les
mesures d’organisation soient prises
et constamment entretenues pendant
la paix, la France se trouverait en l’état
de jeter sur la frontière en moins de
25 jours, des armées de 200000
hommes fortement constituées, pour-
vues de tout et prêtes à manœuvrer
dès le lendemain de leur concentra-
tion. C’est ici qu’apparaît dans toute
son ampleur le rôle immense dévolu
aux voies ferrées et que son impor-
tance se révèle, non plus avec le carac-
tère d‘un simple élément auxiliaire,
mais bien d’un élément vital de l’or-
ganisation militaire des États. »
À son système tout théorique, Rovel
oppose l’efficacité du dispositif alle-
mand de
« six grandes lignes ferrées
rayonnantes »
propres à jeter ses
troupes sur notre frontière nord-est
un réseau
« formidable »
, établi depuis
de longues années, rien n’ayant été
négligé pour initier les états-majors et
l’armée à la pratique courante des
voies ferrées, pour préparer
« tous les
rouages de la puissante machine au
fonctionnement le plus immédiat et le
plus rapide. »
Et de rendre hommage
au
« tour de force »
du général de
Moltkeréussissant à concentrer sou-
dainement sur notre frontière 10 corps
d’armée en moins de 15 jours, plus lar-
gement au génie prussien, car
« le véri-
table tour de force consiste tout entier
dans cette admirable et incessante pré-
voyance, dont la Prusse s’est fait depuis
des années une règle absolue »
. De
quoi conférer à cette puissance, face
« l’inconcevable légèreté de ses voi-
sins, tout le prestige d’un génie mili-
taire irrésistible »
génie
consistant
« dans l’étude sérieuse des sciences et
des arts modernes, dans leur judicieuse
application, dans
l’instruction solide
en un mot »
, auquel Rovel veut appor-
ter sa pierre avec son livre.
L’intégration nécessaire
des chemins de fer dans
la stratégie militaire
selon Niox
En février 1873, le capitaine d’état-
major Niox (1840-1921), saint-cyrien
de la promotion 1856-58, publie dans
N°Pivot stratégique
Observations
Lignes
Arras
Ce point stratégique est à signaler par les propriétés suivantes:
rayonnantesvers l’intérieur
grande ligne d’Amiens
couvrant la Picardie, plusieurs lignes latérales aboutissent à la mer et lui donnent ainsi
à Paris (210km)
la ligne de la
un appui exceptionnel
(ligne de Calais, ligne d’Amiens – Abbeville).
vers la frontière
NO Saint-Omer – Calais (110km)
Somme à Paris
Toute la région ambiante, composée en majeure partie du département
NO Douai – Lille (70km)
du Nord, est remarquable aux points de vue de la richesse agricole et
NE Douai – Valenciennes (60km)
industrielle et de la densité de la population. La contrée serait d’ailleurs
particulièrement exposée aux tentatives d’invasion dans le cas où la
neutralité de la Belgique serait violée, car elle a en face d’elle le réseau
serré des voies ferrées belges, qui s’appuie sur les trois grandes bases
Gand, Bruxelles, Namur,
toutes situées à une moyenne de 60km
de la frontière française. (Distance moyenne de la frontière par marches
d’étapes: 50km).
La Fère
Position stratégique importante; surveille et commande les routes
rayonnantesvers l’intérieur
grande ligne de Compiègne
couvrant l’Oise,
débouchant des Ardennes; se relie, par son flanc droit, au centre
à Paris (150km)
la Champagne
militaire de Châlons. (Distance moyenne de la frontière par marches
vers la frontière
lignes de St-Quentin, de Cambrai
et Paris
d’étapes: 70 à 80km).
et de Valenciennes (110km)
lignes de St-Quentin – Maubeuge
(100km)
parallèle
Reims – Châlons (130km)
Châlons-sur-
Cette position est capitale; elle couvre les vastes plaines de la
rayonnantesvers l’intérieur
ligne sur Paris par Épernay
Marne
Champagne et commande les marches des Ardennes, de la Meuse
(160km)
couvrant la
et de la Lorraine. Elle ferme, en outre, le point de jonction du
réseau
par Reims – Soissons (220km)
Champagne
Nord
avec le
réseau Est
et représente en quelque sorte le bastion avancé
vers la frontière
N, Reims – Rethel – Mézières(130km)
et Paris
de notre système. Cette position est d’autant plus favorable qu’elle est
NE, Verdun – Metz (150km)
à proximité d’un grand nombre d’embranchements reliant la grande
E, Toul – Nancy (170km)
ligne de l’Est, soit à la ligne du Nord, soit aux lignes de
parallèles
sur la Fère (150km)
Paris-Lyon-Méditerranée. Enfin elle couvre Paris.
sur Chaumont par Blesmes
(Distance moyenne de la frontière par marches d’étapes: 120 à 140km).
(140km)
L’ébauche d’un réseau de lignes de concentration par Rovel
Journal des sciences militaires
important article intitulé « De l’em-
ploi des chemins de fer dans les mou-
vements stratégiques ». Il y révélait
comment le retard de l’état-major
français par rapport aux conceptions
allemandes en matière de préparatifs
à la guerre avait été déterminant dans
la victoire prussienne, empruntant cer-
tains faits à l’ouvrage déjà cité de
Jacqmin, précieux témoignage vécu
du directeur de la compagnie la plus
concernée par le conflit, la plus expo-
sée aux
« véritables fautes »
du com-
mandement.
Il est vrai qu’auparavant, ce n’est
qu’une seule fois, en 1859, que les
chemins de fer français avaient été
mobilisés: sans interrompre pour cela le
service commercial, la Compagnie du
PLM avait alors transporté dans 30
trains 22 bataillons et 655 chevaux,
destinés à l’armée d’Italie. Le succès de
cette opération attira l’attention des
autorités prussiennes sur tout le parti
qu’on pouvait tirer de ce nouvel ins-
trument de guerre qu’était le chemin
de fer. Une commission instituée à Ber-
lin fut chargée d’élaborer une doctrine
de la mobilisation et, en janvier 1864,
le transport d’une partie de l’armée
austro-prussienne sur la frontière
danoise en constitua le premier test
pratique. À nouveau en mai 1866, la
Prusse allait concentrer ainsi rapide-
ment son armée le long de la frontière
autrichienne, organisant dans un
second temps la mobilisation de ses
troupes de réserve
(Landwher)
. Autant
de campagnes variées permettant
d’améliorer les dispositifs coordonnés
et enchaînés de la mobilisation puis de
la concentration des troupes, en consti-
tuant ainsi un
plan ferroviaire,
modèle
à venir des futurs plans français. Du
côté français, à l’inverse, rien n’avait
été aussi bien réfléchi et anticipé.
D’où le cri d’alarme poussé par Niox.
Si l’on ne veut pas être encore battu
lors d’une probable nouvelle guerre
franco-allemande, il est temps que
l’état-major français tire des leçons
concrètes de ces récentes guerres:
développement que prend la construc-
tion des voies ferrées paraît devoir
amener des modifications de plus en
plus importantes dans les anciennes
règles stratégiques. »
Avant l’existence
des chemins de fer, en effet, plusieurs
mois de marche étaient nécessaires
avant que ne produise le choc des
grandes armées, se déroulant dans
certaines régions que l’on pouvait
considérer comme les « champs-clos
des peuples », soit le plus souvent les
plaines basses des vallées où
« l‘armée
offensive débouchait par le chemin
naturel que les affluents des fleuves
tracent depuis les crêtes de la ceinture
orographique de leur bassin [les mas-
sifs encadrants], tandis que l’adversaire
s’apprêtait à soutenir son attaque dans
quelques positions défensives avanta-
geuses. »
Pour la prise en
considération de la
« puissance de chemin
de fer »
I
Selon Niox, les généraux devront être
amenés à lier de plus en plus intime-
ment leurs plans stratégiques à la
direction des chemins de fer traver-
sant le théâtre de leurs opérations,
tâche impliquant des préparatifs
minutieux quant à la
« puissance de
chemin de fer »,
c’est-à-dire le débit
possible maximum qu’autorise une
ligne de chemin de fer à une ou deux
voies et d’écartement normal.
Ainsi aurait-on pu éviter des erreurs
grossières de prévision: début janvier
1871, l’ordre donné au PLM de trans-
porter le 15
corps d’armée, soit
35000 hommes et 18 batteries d’ar-
tillerie, de Vierzon à Clerval, station
de la ligne à voie unique de Besan-
çon à Belfort: pour accomplir ces
450km, on avait tablé sur un temps
de parcours de 36heures; il n’en fut
pas moins de 12 jours!
Autre déconvenue:
« Le jour de la
bataille duMans [11 janvier 1871],
1450 wagons étaient entassés dans
la gare ou sur les voies aboutissantes
(sic)
.Quelle que fût l’action déployée
par les agents, il fut impossible de les
sauver tous; six machines et 212
wagons chargés de vivres tombèrent
dans les mains de l’ennemi; les autres
allèrent encombrer la gare de Laval,
puis celle de Rennes. La confusion
dépassa bientôt tout ce qu’on peut
imaginer. Tandis que les trains qui
fuyaient devant l’ennemi arrivaient
par Laval, un autre courant en sens
contraire, portant des troupes de ren-
forts, se formait de Redon vers
Rennes. Les trains étaient obligés de
s’arrêter sur les voies, les machines
devaient jeter leur feu, et tout cet
immense matériel s’immobilisait suc-
cessivement comme des êtres vivants
que le froid avait raidis. »
Parmi les mécomptes possibles, l’igno-
rance de la question complexe de
l’embarquement des troupes d’artille-
rie:
« Ce serait tomber dans une grave
erreur si l’on pensait pouvoir compter
sur un chemin de fer pour transpor-
ter des troupes avec artillerie, chevaux
et voitures, sur un point quelconque
de son tracé. Les gares pourvues de
rampes, de quais, de voies de déga-
gement conviennent seules aux
embarquements et aux débarque-
10-
Historail
Avril 2015
GUERRE
provenance du nord, trois en prove-
nance du sud, notées de 1 à 3, plus
quatre lignes auxiliaires de rabatte-
ment sur ces artères principales des
corps stationnés dans les provinces
éloignées.
Ainsi, lorsque l‘ordre de mobilisation
(Mobilmachung)
fut donné dans la
nuit du 15 au 16 juillet pour la Prusse
et les États de la Confédération du
Nord, le 16 pour la Bavière et le
Duché de Bade, le 19 pour le Wur-
temberg, tous les détails avaient été
« si parfaitement réglés, que l’ordre
télégraphique émané du cabinet du
roi pourrait, à proprement parler, être
considéré simplement comme l’em-
brayage instantané d’un vaste méca-
nisme parfaitement engrené et prêt
à fonctionner
Si ce plan de transport pouvait sem-
bler en apparence très compliqué, les
troupes des diverses armées emprun-
tant partiellement les mêmes lignes
ferrées et points de débarquement,
ce n’était qu’un ballet ferroviaire dont
la partition avait parfaitement été exé-
cutée, le tout planifié et parfaitement
tenu secret. Si bien que l‘état-major
allemand réalisera alors que la mobi-
lisation trop lente de l’armée française
allait retarder son offensive attendue:
une avance profitable aux troupes
allemandes toutes prêtes à franchir le
Rhin; d’où le changement de straté-
gie, avec le passage à l’offensive et
donc à l’invasion. En 1872 ce disposi-
tif allemand sera encore modifié en
profondeur avec la création d’un ser-
vice des chemins de fer en charge des
lignes ne se trouvant pas exposées sur
le théâtre des opérations, des stations
de transition
(Ubergangs-Station)
séparant l’exploitation de ces lignes
de l’intérieur de celle du théâtre des
opérations.
Les leçons comparées
de la mobilisation, de part
et d’autre du Rhin
En matière de mobilisation, à l’inverse,
côté français, la confusion l’avait
emporté. Le 15juillet 1870, les com-
pagnies de l’Est, du Nord et du PLM
étaient requises pour se mettre à la
disposition du ministre de la Guerre,
celles de l’Ouest et du PO invitées seu-
lement à prêter leur matériel aux trois
autres compagnies. Mais contraire-
ment à ce qui se passait en Alle-
magne, les points de concentration
des corps d’armée se confondaient
avec ceux de leur formation, de leur
mobilisation comme diraient les Alle-
mands: états-majors, troupes, services
administratifs, voitures et même les
réserves allaient tenter de rejoindre la
frontière, chacun étant transporté iso-
lément et comme il pouvait!
Pour ce faire, cinq lignes principales
de chemins de fer requises avaient été
ainsi utilisées: lignes du Nord abou-
tissant à Mézières et à Thionville; ligne
de Paris à Soissons, Reims, Charleville
et Thionville; ligne de Paris à Stras-
bourg, avec l’embranchement de
Frouard à Metz; ligne de Paris à Mul-
house, Colmar et Strasbourg; ligne
de la Méditerranée à Lyon et Belfort.
En charge naturellement des trans-
ports les plus importants, la Compa-
gnie de l’Est avait vu ses trois gares
parisiennes d’embarquement encom-
brées à l’excès: gare de l’Est, gare des
marchandises de la Villette, gare de
Pantin affectée à l’artillerie et à la
cavalerie. Encombrements que l’on
aurait sans doute pu éviter
« en utili-
sant les autres grandes gares des dif-
férentes compagnies, reliées toutes
ensemble par le chemin de fer de
ceinture »
, relevait Niox.
Si le trajet vers le front en lui-même
n’avait guère offert de difficulté, par
contre,
« aux gares d’arrivée, l’en-
combrement était encore pire qu’à
celles du départ, à Metz surtout où
se trouvait la plus grande aggloméra-
tion de troupes. » « Chaos parfait »
que Jacqmin attribuait à un défaut
d’unité dans le commandement
« Depuis le chef d’état-major géné-
ral,
dit-il,
jusqu’au sous-officier qui
vient chercher les bagages de son
bataillon, depuis l’intendant général
jusqu’au dernier garde-magasin, cha-
cun se croit le droit de donner des
ordres dans les gares. Un intendant
expédie sans savoir si un autre peut
recevoir; un officier d’administration
vient chercher des farines, celui-ci
réclame des effets de cantonnement,
et chacun affirme que ses ordres sont
de la plus grande extrême urgence.
L’intendance prétend convertir les
gares en magasins, l’artillerie veut en
faire des arsenaux. Le débarquement
aux gares d’arrivée offrait l’image la
plus parfaite du chaos. »
Ainsi, du 16 au 26 juillet, la Compa-
gnie de l’Est avait réussi à acheminer
tout de même 594 trains militaires
convoyant à la frontière 186600
hommes, 32400 chevaux, 3162
canons ou voitures et 925 wagons de
munitions. En ajoutant les troupes
venues des lignes du Nord et de Lyon,
l’effectif au total ainsi rassemblé était
plus nombreux que celui des corps
prussiens déboulant à la même date
sur le Rhin. Mais
«alors qu’une vigou-
reuse offensive vers Maxau [sur le
Rhin, possible lieu de franchissement
des armées françaises sur l’autre rive
du Rhin] était peut-être encore pos-
sible »
, les troupes françaises étaient
dépourvues de la plus grande partie
de leur outillage de guerre, tandis que
les Allemands, arrivés en formations
compactes, étaient prêts à entrer
en opération.
« Il dut y avoir à ce
moment d’amères déceptions au
grand quartier général français,
sou-
ligne Niox.
Loin de pouvoir prendre
l’offensive, l’armée française se trouva
bientôt attaquée elle-même sur le sol
national, et les batailles du 6août, à
Forbach et à Reichshoffen, furent
comme le premier glas funèbre qui
annonçait les malheurs de la patrie
À l’arrière et peu après, si des renforts
sont mobilisés,
« les commandants de
l’armée se virent obligés d’abandon-
ner aux agents des chemins de fer le
soin de régler et de diriger le trans-
port des troupes. Le sort de divisions
entières était entre les mains des chefs
de gare et des inspecteurs de lignes;
c’étaient eux qui se tenaient au cou-
rant des progrès de l’ennemi et déci-
daient s’il était possible d’expédier tel
12-
Historail
Avril 2015
GUERRE
Avril 2015
Historail
train dans telle direction. Les gares et
les points d’embranchement étaient
d’ailleurs laissés sans protection, et il
suffit de quelques coureurs ennemis
pour occuper la station de Frouard et
interrompre le transport du 6
corps
d’armée qui se rendait de Châlons à
Metz. »
Niox reconnaissait toutefois un avan-
tage comparatif à la France en matière
d’organisation des chemins de fer alle-
mands, c’était
« l’organisation puis-
samment centralisée »
de ses six
grandes compagnies plus faciles à
coordonner et à diriger depuis leurs
sommets, contrastant avec la diversité
des nombreuxréseaux allemands
autonomes mais entremêlés, privés ou
d’État. Le centralisme des compagnies
françaises avait pu partiellement sup-
pléer ainsi les défauts de notre orga-
nisation militaire. Et de recommander
ainsi finalement que ne soit pas favo-
risée en France l’éclosion de réseaux
d’intérêt local venant s’enchevêtrer
dans les grands réseaux,
« en rompre
l’unité »
par leurs écartements variés,
et dont les tracés arbitraires ne pou-
vaient que porter préjudice à la
défense nationale… Soucieux ainsi de
voir se réaliser une certaine harmonie
entre géographie ferroviaire et intérêt
militaire, Niox oubliait de considérer
que les nombreux réseaux allemands
relevaient de l’
Union des administra-
tions des chemins de fer allemands
[Vereins Deutscher Eisenbahn-Verwal-
tungen],
fondée en 1846 et connue
sous le nom abrégé de
Verein
structure où, depuis 1850, une éma-
nation d’ingénieurs des réseaux mem-
bres élabore des
conventions tech-
niques relatives à la construction et
l’exploitation des chemins de fer,
normes facilitant notamment leur
interpénétration, normes d’interopé-
rabilité dirait-on aujourd’hui…
Georges Ribeill
[ les premières leçons ferroviaires de la guerre franco-prussienne de 1870]
1. François Jacqmin,
Les Chemins de fer pendant la guerre de 1870-1871. Leçons faites en 1872 à l’École
des Ponts et Chaussées,
2
e
éd., Hachette, 1874, « Observations préliminaires. »
2. Joseph Jules Rovel,
Étude sur les chemins de fer envisagés au point de vue militaire,
Constantine, Marle;
Paris, Gauthier Villars, 1874.
3. Minden – Dusseldorf (230km); Cassel – Coblentz (220km); Erfurt – Francfort – Mayence (260km);
Bamberg – Wurtzbourg – Darmstadt – Mayence (210km); Mannheim – Wurtzbourg (140km); Carslruhe –
Stuttgard (60km). Rovel signale en outre les projets avancés de deux lignes reliant la place de Neuf-Brisach
aux grandes places de l’intérieur, Stuttgard, Ulm et Munich: lignes de Saint-Louis à Geisingen (120km)
et de Neuf-Brisach à Donaueschingen par Fribourg (180km).
4. Niox,
De l’emploi des chemins de fer dans les mouvements stratégiques,
brochure extraite du
Journal
des sciences militaires,
1873, p.17.
5. Jacqmin,
op. cit.
, p.119 et sq.
6. Niox,
op. cit.,
p.30.
7. On a déjà souligné à plusieurs reprises l’importance stratégique délibérée de ce
Verein
regroupant en
1909 40 réseaux allemands, 15 austro-hongrois et huit autres dans les Pays-Bas, le Luxembourg, la Belgique,
la Pologne russe et la Roumanie. Sur les options en matière de locomotives, voir « Les progrès de la traction
fin
XIX
e
-début
e
siècles: escalade des puissances et course de vitesse internationale »,
Historail
n°26, juillet
2013. Sur la culture normalisatrice promue par le
Verein,
voir la série d’articles intitulée « Vers une Europe
ferroviaire sans frontières techniques », parue dans
Chemins de fer
(« Des origines à 1885 », n°495,
décembre2005; « L’Unité technique des chemins de fer en marche [1886-1908] », n°496, février2006;
« Les relations ferroviaires internationales à la veille de la Grande Guerre: entre émulation technique et
compétition politique », n°497, avril 2006).
Au nombre des
lignes articulées
autour des «pivots
stratégiques»
imaginés par Rovel,
la ligne en direction
de la frontière
allemande:
Verdun- Metz
(ci-contre, la gare
de Metz).
Photorail-SNCF ©
Le plan de mobilisation
des armées allemandes
en 1870, publié par Niox
en 1873: une organisation
inconnue côté français!
(DR/Coll. G. R.)
Avril 2015
Historail
Chemins de fer et théâtre
des opérations militaires,
d’étroits liens
Il convient de citer en premier lieu le
capitaine au 67
de ligne Alphée
Pichat (1838-1897) qui, dans ses
conférences en 1875 à la Réunion des
officiers, traite exclusivement de la
région rhénane,
« ce théâtre de
guerre qui s’imposera nécessairement
un jour à nos armées »
. Il innove en
consacrant des descriptions complètes
et fort précises aux réseaux ferroviaires
de part et d’autre de la nouvelle fron-
tière, ainsi justifiées dans son intro-
duction:
« En raison de la grande
importance des chemins de fer, j’ai
réuni tous ceux de la région gallo-ger-
manique dans une série de tableaux,
présentant le nombre de voies et les
travaux d’art principaux, travaux d’art
si utiles à connaître, soit pour s’en
assurer la possession, soit pour les
détruire et annihiler ainsi une ligne
d’opérations de l’ennemi. Pendant
l’occupation de notre pays, les Alle-
mands ont déjà recueilli tous ces ren-
seignements avec soin; nous n’avons
rien à leur apprendre sous ce rapport;
toutefois je crois convenable de ne
pas parler de la nature de travaux
défensifs exécutés sur notre fron-
tière. »
Pichat s’attache à une lecture toute
stratégique des réseaux et nœuds fer-
roviaires qu’illustre, à titre suggestif,
sa description de Luxembourg: ce
« point de convergence de neuf
routes et de quatre lignes ferrées à
une seule voie »
vers Liège, Arlon,
Thionville et Trèves, est situé sur
ligne d’opérations la plus courte de
France à la Roër [Ruhr] et réciproque-
ment de Coblentz à Paris »
, ligne
d’une importance considérable car
« elle menace ou flanque les opéra-
tions par la Meuse et surtout par la
Moselle. »
Il est évidemment attentif
aux 10 futures voies ferrées qui
devront assurer la concentration des
troupes à l’Est: de Calais à Montmédy,
duHavre à Verdun, de Cherbourg à
Verdun, de Brest à Nancy, de Nantes à
Nancy, de Bayonne à Neufchâteau,
de Tarbes à Langres, de Foix à Ram-
bervilliers, de Perpignan à Vesoul et
enfin de Saint-Jean-de-Maurienne à
Belfort. Si nombre de tronçons ne
comportent qu’une voie, certains en
seront bientôt dotés d’une seconde,
opération prioritaire selon Pichat sur
la construction de lignes nouvelles;
toutes lignes devant être organisées
« en vue d’embarquements rapides
et considérables, c’est-à-dire avec de
grandes gares militaires et des stations
de ravitaillement de toutes sortes. »
Et d’opposer à ce réseau les 11 lignes
allemandes, réalisées ou projetées, qui
se grefferont bientôt aux lignes de la
rive droite du Rhin, en regroupant les
troupes sur quatre points de concen-
tration: Thionville-Metz, Sarregue-
mines, Saverne, Mulhouse.
À noter que dans ses considérations
stratégiques sur
« l’échiquier nord »
l’accès militaire entre France et Alle-
magne
la Belgique est évoqué,
mais dans la seule perspective d’une
offensive de l’armée française
! Niox
porte son attention sur l’organisation
rapide et très soignée du
« système
défensif de la région germanique, en
prévision d’une invasion française »
car, dit M. de Moltke,
« l’Allemagne
peut avoir à faire face de deux côtés à
la fois. »
Ainsi Niox évoque le perfec-
tionnement de son réseau straté-
gique:
« des centres de ravitaillement,
des grandes gares militaires, sont
créés et le matériel roulant augmenté;
de plus on fortifie les nœuds de che-
mins de fer, notamment au passage
des fleuves, afin non seulement de
protéger ces lignes contre les parti-
sans ennemis, mais encore pour
appuyer au besoin l’aile d’une armée,
au jour du combat. »
Les plans au
1/80000 de ces sites combinant
forteresses et nœuds ferroviaires
(Mayence, Coblentz, Rastadt, Toul,
Cologne, Metz, Thionville et Verdun)
sont reproduits.
Le chapitre final de l’ouvrage,
« Che-
mins de fer de la région gallo-germa-
nique du bassin du Rhin »,
est un
inventaire complet des 21 lignes rele-
vant de la « région gauloise » (rive
gauche) et des 32 autres relevant de la
rive droite. Chacune de ces 53 lignes
donne lieu à une description précise:
gares importantes, distance kilomé-
trique depuis l’origine, nombre de
voies, principaux ouvrages d’art et
embranchements… L’intérêt et la faci-
lité qu’offrent certains d’entre eux en
tant que cibles possibles étant suggé-
rés: longueur et consistance des
Page de gauche:
sur la ligne à deux
voies de Mézières
à la frontière belge,
le tunnel de Givet
que domine le fort
de Charlemont
(Photorail-SNCF ©).
Décidé par une
convention en 1857
entre le Grand-
duché de Bade et
la France, inauguré
le 11mai 1861,
l’ouvrage à deux
voies, long
de 253m,
se composait d’un
treillis de 177m
complété à chacune
de ses extrémités
par un pont
tournant de 26m
pouvant empêcher
le franchissement
du Rhin à l’initiative
de l’un ou l’autre
des deux États
riverains. Lors de
la guerre de 1870,
le pont tournant
de la rive est (Kehl)
fut dynamité.
DR/Photorail
Un « service de l’Est »
bien organisé
Créée par décret du 22février 1855,
la police spéciale des chemins de fer
était une structure originale aux effec-
tifs encore modestes mais aux attri-
butions déjà très étendues. Ses mis-
sions relevaient autant de la police
judiciaire que de la police administra-
tive et de la sûreté intérieure et exté-
rieure de l’État. Les employés, agents
d’information des préfets et du minis-
tère de l’Intérieur, renseignaient sur la
situation politique, économique et
sociale de leur secteur. Compétents
en matière de contre-espionnage, ils
participaient dans les gares et leurs
alentours immédiats à la surveillance
et au contrôle des voyageurs et des
étrangers. Mais l’originalité et la sin-
gularité de la police spéciale de la
frontière franco-allemande après
1871 renvoyaient à « un secret », à
une mission plus ambitieuse encore, la
possibilité de se livrer au renseigne-
ment extérieur sur l’Empire allemand,
à l’instar des officiers de renseigne-
ment du ministère de la Guerre.
En effet, l’organisation d’une police
avec un but spécial le long de la fron-
tière de l’Est fut instituée début 1873
et centralisée à Paris, au sein même
de la direction de la Sûreté générale,
sous l’impulsion d’un policier de
valeur, le commissaire spécial de la
gare de l’Est à Paris Charles-Édouard
Hirschauer.Les commissaires spéciaux
de cette frontière furent expressément
chargés de
« recueillir au profit du
gouvernement tous les renseigne-
ments »
sur ce qui se passait en Alle-
magne et
« particulièrement les ren-
seignements utiles »
au ministère de
la Guerre. Ils devinrent de ce fait très
rapidement la principale source d’in-
formations du ministère de l’Intérieur
sur l’Empire allemand.
« L’œuvre hautement utile »
service de l’Est rendit également
« immenses services »
au ministère
de la Guerre. C’était même en
quelque sorte sa raison première et
l’origine de son développement, la
collaboration étroite entre Intérieur et
Guerre n’étant pas exempte de fluc-
tuations et de rivalités organisation-
nelles. Fin 1884, le ministère de la
Guerre obtint
« de communiquer
directement avec les commissaires de
frontière, de leur donner des instruc-
tions et d’en recevoir des rapports »
Les renseignements recueillis furent
des plus précieux et le service de l’Est
s’occupa aussi de la création de
« cor-
respondants »
en Alsace-Lorraine.
L’importance des commissariats
spéciaux de frontière comme leurs
directions de recherche dépendaient
largement de leur situation géogra-
phique. Ainsi, en 1886, le poste de
Pagny-sur-Moselle, le plus important
de toute la frontière comprise entre
Longwy et Delle, situé sur la ligne de
Paris à Metz, allait orienter ses inves-
tigations en direction de cette der-
nière ville et d’une grande partie de
la Lorraine annexée. Son premier titu-
laire de 1871 à 1887 ne fut autre que
le commissaire spécial Guillaume
Schnaebelé, qui laissa son nom dans
l’Histoire. Son arrestation par les Alle-
mands en avril1887 faillit en effet
déclencher une guerre entre la France
et l’Allemagne.
De même, le commissariat d’Igney-
Avricourt, à 58km à l’est de Nancy
sur la ligne de Paris à Strasbourg et
principal point de passage entre les
deux pays, visait directement la capi-
tale alsacienne. Enfin, les postes de
Longwy, Batilly et Moncel-sur-Seille
s’intéressaient à Thionville et à Metz,
tandis que Saint-Dié et Belfort s’oc-
cupaient plutôt de Strasbourg et de
Neuf-Brisach.
Évolutions et
réorganisation du Service
de renseignement
L’affaire Schnaebelé ne modifia pas
en profondeur cette façon de pro-
céder. Les autorités allemandes se
rendirent bien vite compte que le sys-
tème d’espionnage français continuait
à fonctionner
« comme par le
passé ».
En fait, la conséquence la plus
importante fut la mise en place à
Nancy d’une nouvelle structure char-
gée de centraliser le renseignement
de tous les commissariats spéciaux de
Meurthe-et-Moselle. Elle fut l’œuvre
d’un autre policier d’exception, Albert
Gerber. Attaché au cabinet du préfet
et nommé à la tête du commissariat
spécial de Nancy au rétablissement en
1889 de ce poste fermé en 1874, il
possédait deux bureaux, l’un à la gare,
où il n’effectuait qu’un service très
restreint et l’autre à la préfecture de
Meurthe-et-Moselle. Là, Gerber cen-
tralisait tous les rapports des autres
commissariats du département. Orga-
nisation qui s’avéra efficace: lors des
années 1890, Gerber opéra cinq
arrestations d’espions allemands;
autant d’affaires d’espionnage
défrayant la chronique, révélant un
espionnage allemand pratiqué avec
assiduité et méthode, à Nancy en par-
ticulier. Organisation centralisée qui
fit école, adoptée progressivement par
toutes les préfectures.
À la suite de l’affaire Dreyfus, l’appa-
reil de renseignement français se
restructura, un rééquilibrage s’opé-
24-
Historail
Avril 2015
Portrait de
Guillaume
Schnaebelé,
commissaire spécial
de Pagny-sur-
Moselle de 1871
à 1887 (DR).
Rappels sur
l’affaire Schnaebelé
(du point de vue politique)
L’affaire Schnaebelé fut un grave
incident de frontière franco-allemand.
Le 20avril 1887, le commissaire spécial de police
de Pagny-sur-Moselle Guillaume Schnaebelé
fut arrêté à la frontière par deux policiers
allemands sous l’inculpation d’espionnage,
à la suite d’une violation de territoire et d’un
guet-apens. L’émotion publique fut très forte
en France. Au conseil des ministres du 23, le
président du Conseil René Goblet et le ministre
de la Guerre le général Boulanger réclamèrent
ultimatum
, que refusèrent le président
de la République Jules Grévy et le ministre
des Affaires étrangères Flourens. Le règlement
diplomatique avec le chancelier Bismarck
aboutit à la libération du commissaire le
30avril. Un mois plus tard, le général Boulanger
était écarté du gouvernement mais l’affaire
contribua beaucoup à l’essor du boulangisme.
GUERRE
rant entre le Service de renseignement
(SR) de la Guerre et la Sûreté géné-
rale. À partir du 1
mai 1899, cette
dernière se vit attribuer exclusivement
la mission du contre-espionnage. En
matière de renseignement extérieur,
les relations entre les officiers de ren-
seignement des postes frontières et
les commissaires spéciaux furent
réglées par diverses instructions
secrètes. Ainsi, l’officier chargé du SR
à Nancy s’assura la collaboration de
la police spéciale des chemins de fer
de Meurthe-et-Moselle, des Vosges
et du Territoire de Belfort. Cette coo-
pération se révéla fructueuse, surtout
avec certains commissaires spéciaux
de frontière. En 1912, les postes de
Meurthe-et-Moselle fournirent ainsi
420 rapports de renseignements mili-
taires et signalèrent 622 affaires. Le
poste de Pagny-sur-Mosellefut le plus
prolifique avec 157 rapports (plus du
tiers du total) et 182 affaires signa-
lées. Des rapports tous considérés
comme
« très intéressants et impor-
tants ».
En notable augmentation, leur
nombre fit plus que doubler en deux
ans. Très actif aussi le poste de
Longwy,avec 99 rapports et 172
affaires signalées. Par contre, les com-
missariats rattachés à des postes inté-
rieurs comme Saint-Nicolas-de-Port
ou Toul donnèrent moins de résultats.
Le second volet de la réorganisation
de 1899 concerna le contre-espion-
nage. Désormais exclusivité de l’Inté-
rieur, son dispositif de surveillance des
frontières terrestres, maritimes et des
établissements militaires fut modifié
en profondeur. Dans chaque dépar-
tement, il fut créé un vaste réseau de
surveillance, composé de petits fonc-
tionnaires – gardes champêtres,
gardes forestiers, douaniers, facteurs
ruraux, cantonniers, éclusiers et
gardes de la navigation fluviale –, uti-
lisés à titre de simples
informateurs
sans pouvoirs de répression
. Le terri-
toire français fut divisé en 122 sec-
teurs: à leur tête, des commissaires
spéciaux, chefs de secteurs, centrali-
saient toutes les informations en pro-
venance de ces nouveaux auxiliaires.
En 1914, la surveillance de la frontière
franco-allemande était ainsi direc-
tement assurée par 17 commissariats
spéciaux de police. 11 postes étaient
présents dans les gares en Meurthe-
et-Moselle (Audun-le-Roman, Briey,
Conflans-Jarny, Avricourt, Longwy,
Moncel-sur-Seille, Nancy, Pagny-sur-
Moselle, Villerupt, Toul, Saint-Nicolas-
de-Port),quatre dans les Vosges
(Épinal, Saint-Dié, Remiremont, Neuf-
château) et un seul dans le « Haut-
Rhin » (Belfort).À chacun d’eux reve-
nait une zone de surveillance. Le
secteur de Nancy couvrait 116 com-
munes et deux forts de 1
Frouard et Pont-Saint-Vincent. Il fal-
lait surveiller de nombreux ouvrages
d’art, le centre d’aviation de Villers-
lès-Nancy,
« plusieurs syndicats
révolutionnaires »
et de nombreux
établissements
« interlopes »
fré-
quentés par les militaires. 80 indivi-
dus étaient inscrits au Carnet B
200 autres déclarés suspects au point
de vue national. 37820 étrangers
figuraient sur des listes nominatives.
La recherche privilégiée
des renseignements
ferroviaires
Le renseignement touchant les ques-
tions militaires et politiques était la
priorité de recherche des agents fran-
çais. Selon une
Instruction sur le ser-
vice des renseignements à la frontière
novembre 1912, étaient visés
les emplacements, le tracé et les
armements des ouvrages de fortifica-
tion; tous les réseaux de communi-
cations, routiers, ferroviaires, fluviaux,
télégraphiques et téléphoniques; les
mouvements de troupes, les manœu-
vres de garnison, les alarmes, les
appels de réservistes; les achats extra-
ordinaires ou les réquisitions de che-
vaux; les modifications à l’armement
et à l’équipement; les violations de
frontière, les indices de mobilisation
et l’état d’esprit des populations. La
26-
Historail
Avril 2015
GUERRE
Le commissariat
spécial
d’Igney-Avricourt fut
la source, en 1888,
de renseignements
«complets et
précis» sur l’état
des chemins de fer
en Alsace-Lorraine.
Photorail-SNCF ©
« un officier de réserve français »
parcourut en chemin de fer la ligne
Bouzonville à Dillingen en Lorraine
annexée. Ces dimensions lui ayant
paru
« très exagérées»
, il les fit alors
vérifier par un chef tâcheron alsacien-
lorrain travaillant aux travaux de la
ligne de chemin de fer.
De même, surprendre l’adversaire
potentiel dans ce type d’exploration
pouvait
a contrario
renseigner sur
quelques-unes de ses intentions
cachées. Ainsi, en 1910, le commis-
saire spécial de Pagny-sur-Moselle
Venner put révéler que les militaires
allemands avaient chargé un photo-
graphe à leur solde de prendre des
clichés des différentes voies ferrées de
la Belgique,
« principalement dans la
région frontière franco-belge », « dans
le but de violer en cas de guerre la
neutralité du territoire belge ».
Au début du
siècle, les commis-
saires spéciaux des gares frontières
fournirent l’essentiel des renseigne-
ments ponctuels sur les voies ferrées
allemandes dans les rapports mensuels
adressés au 2
Bureau de l’état-major
de l’armée. Les cartes des quais mili-
taires allemands se firent également
plus précises comme en témoigne
l’exemple de la petite station de Peltre
sur la ligne de Metz à Sarrebourg en
Lorraine annexée
L’idée germa également de dérégler
le mécanisme d’horlogerie de la
mobilisation générale allemande au
moyen de sabotages, qui, opérés de
manière simultanée, seraient capa-
bles d’embouteiller les différentes
lignes de transport de troupes. Des
agents secrets cherchèrent alors à
localiser tous les ouvrages d’art stra-
tégiques (ponts, tunnels, etc.) sus-
ceptibles d’être détruits. À la veille de
[ quand la police spéciale des chemins de fer… (1871-1914)]
En 1888, les
Allemands installent
dans certaines
gares – comme
Altmünsterol
(Montreux-Vieux)
en Haute-Alsace –
des commissaires
de police
de frontière
aux prérogatives
analogues à celles
de leurs
homologues
français.
(Photorail-SNCF ©)
Avril 2015
Historail
d’Igney-Avricourt Fischer furent très
éclairants sur les relations franco-alle-
mandes: ainsi un « correspondant »
industriel strasbourgeois entretenant
des relations suivies avec des notables
politiques allemands, expliquait les
causes du
« profond ressentiment »
de l’Allemagne à l’égard de la France,
et pourquoi le gouvernement alle-
mand avait
« le plus grand intérêt »
à profiter de l’affaiblissement momen-
tané de la puissance russe pour se
livrer à des procédés d’intimidation et
tenter de rompre le rapprochement
entre la France et la Grande-Bretagne.
Un modèle français
efficace copié
par les Allemands!
Preuve de sa réussite, la police spéciale
de la frontière de l’Est servit même de
modèle à la constitution, à partir de
1887, d’un Service de renseignement
allemand propre à l’Alsace-Lorraine,
Zentralpolizeistelle
de Strasbourg.
L’affaire Schnaebelé fut, en effet, l’oc-
casion pour les autorités allemandes
de prendre conscience de la forte
pénétration du renseignement fran-
çais dans le
Reichsland.
Le chancelier
Bismarck estima nécessaire d’y déve-
lopper la police politique. L’organisa-
tion française de la police spéciale ins-
pira beaucoup cette nouvelle structure
allemande, chargée de recueillir et de
centraliser, à l’échelle de l’Alsace-Lor-
raine, tous les renseignements poli-
tiques et militaires concernant la
France. L’imitation du modèle français
se poursuivit au printemps 1888 par
la création dans certaines gares alle-
mandes de commissaires de police de
frontière
(Grenzpolizeikommissäre),
auxiliaires principaux du service stras-
bourgeois et dont les prérogatives en
matière de surveillance de la frontière
et de contre-espionnage s’apparen-
taient encore à celles de leurs homo-
logues français. De tels commissaires
furent installés aux gares frontières
allemandes deNovéant-sur-Moselle,
de Deutsch-Avricourt, de Fontoy, de
Chambrey et d’Amanvillers en Lorraine
annexée ainsi qu’à la gare d’Altmüns-
terol (Montreux-Vieux) en Haute-
Tirant les leçons de la guerre de 1870,
la France construisit entre 1871 et
1914 un appareil moderne de rensei-
gnement dans lequel la police spé-
ciale des chemins de fer de la fron-
tière de l’Est occupa une place de
choix. D’un effectif modeste mais
homogène par son recrutement majo-
ritairement alsacien et lorrain, par ses
valeurs partagées et son patriotisme
affirmé, cette police contribua à sa
manière à l’invention d’un modèle
français de renseignement, appelé
même à être imité par son rival alle-
mand. La Grande Guerre montra
toute l’importance de la Sûreté géné-
rale aux armées dont les cadres furent
issus pour la plupart de l’ancienne
police des frontières. Et au milieu des
années 1930, certains commissaires
spéciaux de frontière avec l’Allemagne
furent encore parties prenantes de
cette nouvelle organisation de la direc-
tion de la Sûreté nationale, le contrôle
général des services de surveillance
du territoire, service de police auto-
nome, disposant de ses propres
moyens, embryon de la future DST de
Gérald Sawicki, professeur agrégé et
docteur en histoire contemporaine,
chercheur associé au CRULH
de l’université de Lorraine.
1. René Goblet, « Souvenirs de ma vie
politique: L’affaire Schnaebelé (avril-
mai1887) »,
Revue politique et
parlementaire,
tome 137, 10 novembre
1928, pp. 179-180.
2. Archives départementales du Territoire
de Belfort, 1M385, Président du conseil
à préfets, 1
er
mai 1899.
3. Créé en 1886, le Carnet B recensait
tous les individus à arrêter en cas
de guerre. À l’origine dirigé contre
les suspects d’espionnage,
il fut progressivement étendu aux
antimilitaristes susceptibles de troubler
la mobilisation.
4. Hélène Barbey-Say,
Le Voyage de
France en Allemagne de 1871 à 1914,
Nancy, PUN, 1994, pp. 184-186
et 372-373.
5. SHD/DAT, 7N658, Ligne de Metz à
Saarburg, Station de Peltre (document
de 1908).
6. Général de réserve Rodolphe von
Borries, « L’espionnage allemand d’avant
guerre à l’ouest »,
L’Espionnage et
le contre-espionnage pendant la guerre
mondiale d’après les archives militaires
du Reich,
tomeI, Paris, Payot, 1934,
pp. 20-21.
7. Gérald Sawicki, « Aux origines
lointaines du “service action”. Sabotages
et opérations spéciales en cas de
mobilisation et de guerre, 1871-1914 »,
Revue historique des armées,
n°268,
3
e
trimestre 2012, pp. 12-22.
[ quand la police spéciale des chemins de fer… (1871-1914)]
Photorail-SNCF ©
Tirage disponible
cf.
p. 4
Réf. 330311
Un réseau ferré
à la hauteur des ambitions
du Grand état-major
de Berlin
Le réseau militaire germanique est
passé de 42116km en 1890 à
50961km dix ans plus tard, grâce au
prolongement des lignes ayant fait
leurs preuves en 1870; six lignes de
concentration au nord du Main et
trois autres au sud de l’Allemagne
avaient alors transporté 13 corps d’ar-
mée (CA) à la frontière française en
10 jours. Dès 1871, ce réseau a fait
l’objet d’améliorations et d’extensions
(nouvelles voies de la Kyll et de Ber-
lin). Les dispositions des plans Schlief-
fen puis Moltke ont encore permis de
le développer à des fins spécifique-
ment militaires. En 1888, l’armée alle-
mande dispose de sept voies ferrées
stratégiques; certaines relient Cologne
et Düsseldorf à Aix-la-Chapelle, puis
convergent vers Liège; de là, la ligne
reliant Berlin, Düsseldorf et Aix-la-
Chapelle devient la ligne Namur –
Maubeuge – La Fère – Paris. Celle de
droite aboutit à Metz, celle de gauche
à Molsheim, et toutes avaient leur ter-
minus relié par la transversale Metz –
Strasbourg, parallèle à la frontière
dont elle n’était distante que de
quelques kilomètres.
Après 1900, les travaux se poursuivent
plus au nord comme si, en cas de
nouvelle guerre contre la France, les
Allemands envisageaient de violer la
neutralité belge, puis de faire conver-
ger leurs forces par la rive nord de la
Meuse. Le 18juillet 1903, l’attaché
militaire français à Berlin a prévenu
Paris que les Allemands entendaient
construire, en coopération avec les
Belges, deux lignes ferroviaires reliant
Aix-la-Chapelle à Louvain et Malmédy
à Stavelot; le projet est à l’époque
d’ordre « commercial », mais rien ne
garantit qu’il le reste. Cinq lignes, dites
« d’invasion », vont de Wœrth à Lem-
bach, de Bischwiller à Oberhofen, de
Lauterbourg à Wissembourg, de Bus-
sendorff à Bellingen, et de Bollwiller à
Ensisheim et Colmar. La zone s’éten-
dant de Malmédy jusqu’à Krefeld, en
passant par Aix-la-Chapelle et Juliers
permet de concentrer neufCA en pré-
vision d’un envahissement de la Bel-
gique. Au commencement de 1905,
les travaux autorisant la concentration
des troupes (c’est-à-dire les quais
d’embarquement, les garages pour les
locomotives, les doublements de voies)
sont tous exécutés ou en passe de
l’être. Ces chantiers complètent les 10
lignes stratégiques déjà répertoriées
et qui convergent de toutes les régions
d’Allemagne vers le Rhin, entre Wesel
et Bâle, dont quatre d’entre elles à
deux voies. Schlieffen a fait entamer
d’autres travaux ambitieux, visant à se
32-
Historail
Avril 2015
GUERRE
De l’étude du réseau stratégique
allemand aux plans de guerre
français
Affecté au Centre des études stratégiques de l’armée de terre,
chercheur associé au Centre de recherches des écoles de Saint-
Cyr-Coëtquidan, le lieutenant-colonel Olivier Lahaie est l’auteur
d’une thèse vouée à l’histoire des services de renseignements
en France pendant la guerre de 1914-1918; il évoque ici
comment la connaissance combinée des voies ferrées et des
armées allemandes devait orienter dès avant 1914 les scénarios
stratégiques de l’état-major français, non sans
a priori
risqués
et paris perdus
Avril 2015
Historail
garder d’une attaque française en
Lorraine: prolongement de la ligne
Cologne – Duren jusqu’à Malmédy,
construction d’une ligne traversant
l’Eiffel de Remagen à Saint-Vith,
construction de trois ponts sur le Rhin
(Kempten, Andernach, Remagen),
doublement de certaines voies paral-
lèles au Rhin pour déplacer rapide-
ment les armées du nord au sud. Dans
le courant de l’année, l’état-major alle-
mand décide d’accroître le maillage
des voies ferrées entre la Meuse et le
Rhin, de Düsseldorf et de Coblence à
Liège et à Trèves pour permettre l’exé-
cution de ces déplacements straté-
giques. La densification du réseau ferré
est extrême dans la région d’Aix-la-
Chapelle, ce qui laisse augurer une
attaque par la Belgique. Le lieutenant-
colonel Dupont, chef du Service de
renseignements français (SR), est
même persuadé que les deux gares
d’Eupen et Malmédy ont été
construites dans le but de favoriser
une attaque contre la France qui pas-
serait au préalable par le territoire
belge. Le 21décembre 1912, l’atta-
ché militaire français à Bruxelles
rend compte à Poincaré de l’accéléra-
tion des chantiers autour d’Aix-la-
Chapelle, ce qui lui semble révélateur
de la volonté allemande de concen-
trer des forces puissantes devant Liège.
En 1913-1914, le réseau ferré alle-
mand atteint 60000km. Le Grand
état-major peut désormais compter
sur 17 voies ferrées stratégiques;
quant au matériel roulant, il est
innombrable: il faut dire qu’alors, il
fallait 145 trains pour transporter un
seul CA… Dès les premiers jours de
la Grande Guerre, ce réseau sera bien
entendu complété par les portions de
réseaux luxembourgeois, belges et
français conquis
Interrogations françaises
sur les intentions
allemandes
Le réseau d’outre-Rhin est donc
devenu si touffu et redondant qu’il
rend les officiers du 2
Bureau (Ren-
seignement) de l’état-major de l’ar-
mée française perplexes quant
aux objectifs ennemis. Puisqu’on
redoute une attaque « brusquée », il
faut absolument recueillir des rensei-
gnements fiables sur les intentions
adverses afin de choisir une stratégie
de résistance adaptée.
Le 3janvier 1914, le 2
Bureau remet
à Joffre un état des effectifs d’active et
de réserve allemands prévus pour
attaquer à l’ouest, ainsi que le plan
de mobilisation ennemi prévoyant que
«les troupes de réserve seront
employées comme les troupes d’ac-
tive sous condition que l’on y puisse
verser un nombre important d’offi-
ciers de valeur en temps de paix »
En Allemagne, les énormes effectifs
de jeunes réservistes bien instruits,
équipés et surtout bien encadrés,
capables de se substituer aux soldats
d’active, vont donc pouvoir jouer dès
les premières heures du conflit, et
notamment grâce à des transports
ferroviaires à grande échelle. Pourtant,
Joffre ne croit pas à leur emploi en
première ligne; il sous-estime donc le
volume des forces prévues pour atta-
quer la Belgique, le Luxembourg et
la France
. Pour lui, la manœuvre
adverse manquera d’effectifs et, par
contrecoup, d’ambition et d’ampli-
tude.
Outre le problème quantitatif, reste à
déterminer sur quel axe Berlin a prévu
d’attaquer l’armée française. En fonc-
tion de la situation géostratégique à
l’ouest, trois hypothèses sont étudiées
par le 2
Bureau. La première est un
passage par la Suisse. Selon le SR, un
tel plan, échafaudé de longue date,
prévoyait que trois CA, débouchant
de la Haute-Alsace entre Delémont et
Porrentruy, marcheraient sur Vesoul
et Montbéliard, pour tourner Belfort.
Paris ignorait que le
Kaiser
renoncé à ce plan lorsqu’il avait vu,
en 1913, manœuvrer la petite armée
suisse à Kirchberg. Il avait estimé que
celle-ci pouvait résister avec succès à
une attaque allemande. Le SR acquit
progressivement la certitude que l’Al-
lemagne n’envahirait pas cet État neu-
tre, même pour attaquer la France par
surprise. Guillaume II, d’accord avec
ses généraux, préféra effectivement
abandonner cette idée.
Seconde hypothèse, une attaque par
l’est. Mais, face à cette direction, une
série de forts Séré de Rivières joue un
rôle dissuasif. Par ailleurs, le 2
Bureau
sait depuis 1905 qu’Alfred von Schlief-
fen, chef du Grand état-major, désire
tourner le dispositif français plutôt que
de l’attaquer de front, étant entendu
que la masse principale de nos armées
est déployée entre Verdun, Toul,
Épinal et Belfort et que le dévelop-
pement des armements modernes
rend improbable la rupture d’un front
défensif. Son successeur Helmuth von
Moltke ne remettra pas en cause ses
idées.
Enfin, troisième hypothèse, une
attaque par la Belgique neutre, solu-
Le général Joffre,
qui fut nommé chef
d’état-major général
de l’armée en 1911.
En 1914, le réseau ferré allemand atteint 60000km
[…]; quant au matériel roulant, il est innombrable…
Avril 2015
Historail
leur aile droite, dite « marchante »,
et développer son extension. Ainsi,
alors que Dupont prévoyait logique-
ment un passage en force très au
nord, Joffre estimait que l’aile droite
ennemie se contenterait de longer
la Meuse. Dupont s’efforça de le
convaincre que les corps de réservistes
allemands étaient très bien entraînés,
équipés et encadrés et qu’ils rece-
vraient donc les mêmes missions que
les corps d’active; dès lors, disposant
des effectifs suffisants, Moltke n’aurait
aucun mal à envahir la majeure partie
de la Belgique. En pure perte toujours,
comme Joffre l’avouera dans ses
Mémoires
« Nous en discutâmes lon-
guement avec de Castelnau. Nous
admettions que les Allemands n’utili-
seraient pas leurs corps de réserve en
première ligne. Dès lors, disait Castel-
nau, à moins d’étendre dangereuse-
ment leur front et de lui donner une
densité insuffisante, ils seraient dans
l’impossibilité de dépasser la ligne
Liège – Namur »
Le plan XVII français:
trop éloigné des réalités!
Pour remplacer le plan XVI
, Joffre
avait confié l’étude du plan XVII au
général Berthelot qui s’inspira des
principes offensifs développés par le
bureau opérations de l’EMA. Deux
impératifs étaient à respecter: ne pas
faire pénétrer de troupes françaises
en Belgique (condition pour obtenir
l’aide militaire britannique) et veiller à
ce que la communauté internationale
considère que c’était bien « l’Alle-
mand » l’agresseur.
On prévoyait de déployer les 2/3 des
troupes franco-britanniques face au
nord-est pour prévenir une attaque
par la Belgique. Las, malgré ses nom-
breuses tentatives, Dupont n’avait pu
convaincre Joffre que ses certitudes
sur les effectifs et les intentions alle-
mands étaient coupées des réalités.
Or les conséquences étaient graves
pour le corps expéditionnaire britan-
nique et la V
armée, placés sur l’aile
gauche du dispositif; dès la prise de
contact, elles risquaient de se retrou-
ver en infériorité numérique marquée
et en grand danger d’enveloppe-
ment.
Le plan XVII était un plan de concen-
tration et de couverture, complété par
un plan d’opérations. Il s’appuyait sur
la mise en place d’un dispositif de cou-
verture flexible, pouvant être orienté
par l’utilisation des 11 voies ferrées
stratégiques françaises en fonction de
l’axe de progression allemand. Le plan
de concentration positionnait les III
et V
armées françaises selon l’hy-
Plan XVII. Carte
extraite de l’ouvrage
officiel «Les
Armées françaises
dans la Grande
Guerre»
tomeI,
vol. I, chapitreII.
(© Bibliothèque
du SHD)
Archive SHD (série 7 N)
23mai
J’ai l’honneur de vous adresser les ren-
seignements que j’ai pu recueillir dans
mon premier voyage. Veuillez bien, je
vous prie, me faire savoir si c’est à peu
près cela que vous désirez.
Tous les quais militaires sont en bon
état et complètement libres; c’est-à-
dire ne sont en aucune façon utilisés
actuellement. Il y a des poteaux porte-
lanternes presque partout en fonte,
à raison d’un poteau par 20 mètres.
Les chemins d’accès y sont bons. À
Sarreguemines, la sortie est en forte
rampe et très étroite, à cause des mai-
sons qui se trouvent à côté. J’aurais
voulu savoir où sont placés les ponts
volants et les lanternes, mais il ne m’a
pas été possible d’avoir ces rensei-
gnements. À Sarreguemines, par
exemple, il existe bien des construc-
tions appartenant au chemin de fer,
tout le long du quai militaire, mais
aucune inscription n’est relative à ces
objets.
À Saint-Avold, où le quai est très long,
aucun abri n’existe sur le quai.
Chez nous, dans les gares où il y a
deux quais, les ponts et les lanternes
sont, en principe, dans un bâtiment
spécial sur les quais mêmes. Dans les
gares à un quai, les ponts et les lan-
ternes sont, en principe, dans les halls
aux marchandises. Je pensais trouver
à peu près le même état de choses
chez nos voisins.
À première vue, il me semble qu’il n’y
a pas abondance d’eau. Ainsi, dans
une gare comme Béning, il n’existe
qu’un réservoir de 100m
. Il y en a
peut-être davantage sur les autres
lignes.
Sur l’Est, les aiguilles prises en pointe
sur les voies principales, en dehors
des bifurcations, sont très rares, et
elles sont toujours protégées au
moyen d’un signal carré d’arrêt
absolu. En Alsace-Lorraine, le cas se
présente fréquemment, et aucune
protection spéciale n’existe. J’ai cru
remarquer que les appareils sont sim-
plement cadenassés. En principe,
toutes les gares et stations me parais-
sent parfaitement outillées, et tous
mouvements m’y semblent faciles.
Les voies principales sont reliées entre
elles à chaque extrémité, au moyen
d’une jonction ordinaire ou d’un
appareil anglais.
Sur la carte que vous m’avez confiée,
il y a deux quais pour Saint-Avold et
deux pour Sarreguemines, sans doute
en raison des grandes dimensions de
ces quais. On peut, en effet, placer
deux trains à chacun, surtout à celui
de Saint-Avold, qui a 1100 mètres.
Sur cette même carte figurent égale-
ment deux quais pour Courcelles.
Comme cette gare ne doit pas être
visitée par moi, je n’y suis pas des-
cendu, mais je crois pouvoir dire que
je n’ai remarqué, en passant, qu’il
n’existe qu’un quai. C’est à examiner.
Mon voyage s’est effectué sans inci-
dent. J’ai été retardé malheureuse-
Les nombreux rapports des agents de renseignement du 2
Bureau conservés par le
Service historique de la Défense sont très instructifs sur les cibles privilégiées comme
sur les méthodes employées pour passer inaperçus dans leurs délicates missions
d’espionnage. Dans le domaine ferroviaire, avant 1914, le 2
Bureau cherche à mettre
à jour sa connaissance du réseau des lignes allemandes, à disposer des schémas
de voies des gares proches de la frontière, à établir une « statistique des ressources
des gares » élaborée: réservoirs d’eau, garages, quais militaires dont l’allongement
présage de leur vocation militaire. On comprend ainsi comment ont pu être élaborées
au sein du 2
Bureau les informations ferroviaires si précises publiées dans la
Notice
descriptive et statistique
propre à la Lorraine (1907) puis à l’Alsace (1914).
Nous reproduisons ci-dessous quelques extraits des lettres de l’agent Klein, envoyé en
1905 en mission de reconnaissance sur certaines voies ferrées de l’Alsace-Lorraine
lettres complétées des croquis des gares visitées.
40-
Historail
Avril 2015
GUERRE
Des agents du 2
e
Bureau
en mission d’espionnage
ferroviaire
Avril 2015
Historail
ment par la pluie. Je n’ai pas pu aller
aussi vite que j’aurais voulu. Il faut le
beau temps pour voyager en touriste,
surtout pour flâner dans les environs
des gares. À Sarreguemines, j’ai assisté
en partie à l’embarquement d’un
escadron de dragons qui venait de la
revue de Morhange. Je vous parlerai
de cela à notre première entrevue.
4juillet
J’ai l’honneur de vous adresser les
renseignements que j’ai recueillis dans
mon dernier voyage. Veuillez remar-
quer que, sur le croquis de la station
de Folperswiller, j’ai également fait
figurer les voies principales de la gare
de Sarreguemines afin que vous puis-
siez vous rendre compte, à peu près,
de la situation de cette gare, notam-
ment pour l’entrée et la sortie des
trains du côté Est: Hombourg-Hague-
nau et Sarrebourg.
J’ai fait pour le mieux. Il est très diffi-
cile d’approcher du point considéré;
Gare de
Sarreguemines: l’un
des innombrables
croquis de gares
établis par l’agent
Klein.
Docs MINDEF, Service historique de la Défense-Vincennes, GR 7 N 658
Lors de chaque
mission de
reconnaissance,
l’agent de
renseignement
devait remplir
cet imprimé.
Avril 2015
Historail
il est constamment parcouru par des
agents de tous les services. Bien que
je n’aie pas mission de visiter les gares
de Téterchen et Hargarten, je suis
descendu à ces deux gares, en raison
des travaux importants qu’on est en
train d’y exécuter actuellement. Il est
plus que probable que vous avez déjà
été mis au courant de cet état de
choses, mais à toute éventualité, je
vous dis en deux mots ce que j’ai vu:
on construit deux nouvelles voies
entre Téterchen et Hargarten; 5km
environ; c’est-à-dire: on prolonge la
ligne de Thionville – Téterchen jusqu’à
Hargarten
(voir le petit croquis ci-
joint)
. Il y aura donc, par le fait, qua-
tre voies entre Téterchen et Hargar-
ten. La plate-forme est à peu près
terminée, et il y a quatre chantiers
qui fonctionnent pour percer deux
nouveaux tunnels à côté des deux
tunnels qui existent déjà, et qui ont à
peine 300 à 400m chacun.
J’ai pu causer avec un agent qui m’a
dit qu’on espérait que les travaux
seraient terminés vers la fin de l’an-
née prochaine. On a aussi construit
un raccordement militaire entre les
deux lignes de Thionville – Sarregue-
mines et de Metz – Sarrelouis. Je fais
figurer ce raccordement à l’encre
rouge sur la carte au 320 000
, avec
les autres modifications que j’aurai à
faire sur cette carte.
Pont-à-Mousson, 25août
J‘ai l’honneur de vous faire parvenir
sous ce pli les renseignements que j’ai
pu recueillir dans mon dernier voyage
(28 croquis et un état récapitulatif).
(…) J’ai encore été à Sarreguemines
et j’ai constaté de nouveau que la sor-
tie côté est se fait comme je l’ai indi-
qué avec mon dernier croquis. Quant
au quai militaire qui existe à cette
gare, je l’ai arpenté derechef en pas-
sant, pour finir, par la petite porte que
vous savez. J’ai trouvé 700 pas d’en-
viron 75cm, soit donc 500m et non
pas 700m. J’aurais pris les pas pour
des mètres; c’est donc vous qui avez
raison. Je vous prie d’excuser mon
étourderie. (…) À Adamswiller, on n’a
pu me fournir aucun renseignement
précis au sujet de la ligne projetée vers
Réding et dont vous m’avez parlé. On
en cause par ci, par là; mais pour le
moment, il n’en existe aucune trace
dans les environs d’Adamswiller. La
même réponse m’a été faite à Die-
meringen, station voisine.
À Bitche, j’ai eu l’occasion d’entrer en
conversation avec un sous-officier
d’infanterie qui m’a dit qu’on est en
train de créer un nouveau camp, entre
Bitche et Bannstein, à environ deux
kilomètres de Bitche, en pleine forêt,
que son régiment, le 147
, y est déjà
installé depuis quelques jours et que le
régiment qui fait brigade avec le 147
doit venir occuper les autres bara-
quements dès qu’ils seront terminés.
J’ai, en effet, remarqué en passant
dans le train qu’il existe une grande
quantité de matériaux, notamment
des planches à l’endroit désigné et
qu’un grand nombre d’ouvriers
étaient occupés à faire des construc-
tions (ceci à titre de simple indice.)
(…)
PS:
Je vous envoie un nouveau cro-
quis pour la sortie est de la gare de
Sarreguemines.
1. Archives SHD, 7 N 658:
Renseignements sur les voies ferrées
et les gares en Allemagne, en Alsace-
Lorraine, en Belgique et au Luxembourg
(1905); Rapports du 2
e
Bureau (1905,
1908); Chemins de fer et quais militaires
allemands en 1914; Historique des
travaux exécutés à l’Ouest du Rhin,
depuis 1904, année par année; etc.
[ des agents du 2
e
Bureau en mission d’espionnage ferroviaire]
Historique des travaux exécutés à l’ouest du Rhin, depuis 1904, année par année (SHD, 7 N 658).
Cette liste chronologique et rétrospective des travaux effectués dans les gares allemandes, quais, doublements,
raccordements, etc., et dont sont extraites ici les premières et dernière lignes, témoigne du souci de pouvoir
en extrapoler les orientations stratégiques.
Page de gauche:
carte des quais
de débarquement.
Les trois couleurs
utilisées pour
pointer sur cette
carte la chronologie
de la construction
des quais militaires
dans les gares
(avant 1887,
jusqu’en 1895, puis
jusqu’en 1905)
permettent d’en
tirer des indications
sur les orientations
stratégiques.
MINDEF, Service historique de la Défense-Vincennes, GR 7 N 658
44-
Historail
Avril 2015
GUERRE
Quoiqu’ignorées des historiens des services
de renseignement ou de la géographie militaire, une série
de monographies départementales dans le cas français,
régionales dans le cas des pays étrangers, furent publiées
avant 1914, fournissant des informations très détaillées
sur les territoires susceptibles de devenir des champs
de bataille. Publications émanant de deux services
rattachés à l’état-major, Service géographique
des armées pour les départements français,
Bureau (Renseignement) pour les pays étrangers,
ciblé principalement sur l’Allemagne occidentale.
Des installations ferroviaires
allemandes
décrites
par le menu détail dans
des ouvrages confidentiels
Coll. G. R.
A
insi, connaît-on une déclinaison
de cette
Notice descriptive et sta-
tistique sur le département de X…,
parue dans un apparent désordre
géographique et chronologique
Meurthe-et-Moselle,
1876, 163 pp.;
Marne,
1891, 234 pp.;
Ardennes,
1904, 207 pp.;
Yonne,
307 pp.;
Lorraine,
1907, 564 pp.;
Aube,
1909, 256 pp.;
Jura,
488 pp.;
Alsace,
Outre des « renseignements géné-
raux » formant un premier chapitre
ont droit à deux chapitres distincts
les cours d’eau et les chemins de fer.
Chaque voie ferrée est minutieuse-
ment décrite, d’un point remarqua-
ble au suivant – stations, haltes,
passages pour piétons, passages supé-
rieurs ou à niveau –, avec les données
techniques attendues: consistance et
écartement des voies, rayon minimum,
rampe maximum, déblais et remblais,
ouvrages d’art, existence d’un dépôt
de machines, nombre de machines de
réserve, raccordements…
Toute gare est ainsi deux fois décrite,
comme gare sur
telle ligne,
telle
commune.
Prenons pour exemple,
dans la Marne, Saint-Hilaire-au-
Temple. La commune est ainsi décrite
(p.133)
« sur la Vesle, 14km SO de
Suippes. A[gricole]. 180 h. 24 M
sons
26 ch[evaux]. 30 v[oitures] à 2 r[oues].
91 b[êtes] à c[ornes]. 173 m
tons
p[orcs]. M
(4000kg). 40 puits. R
à sec en été.
Station: Ligne de Châlons à Verdun;
Ligne de Châlons à Reims. »
Où l’on
voit comment le cantonnement serait
plus ou moins facilité dans cette com-
mune avec ses 40 puits, une capacité
quotidienne de production de farine
par son moulin de 10 quintaux
métriques, ou de cuisson de 4 tonnes
de pain dans ses fours. La gare est ainsi
détaillée
(p.37)
« Bifurcation sur Ver-
dun. Plusieurs grandes voies de garage
et de service. Petite halle à marchan-
dises avec quai de 9,832m de L. et
quai découvert de 20m de L. accessi-
ble par plan incliné. Prise d’eau et
réservoir de 100m
alimenté par une
pompe à vapeur puisant l’eau dans
Avril 2015
Historail
un puits. Plaque pour tourner les
machines. 4 grues hydrauliques. »
l’on voit ici bien jaugées les aptitudes
logistiques de la petite gare.
Quant aux
Notices
traitant de l’Alle-
magne, elles contiennent des infor-
mations sur chaque commune (popu-
lation, superficie, lieux-dits, réseaux et
services publics, industries), toutes don-
nées que l’on pourrait récolter côté
français dans les annuaires Didot-
Bottin
. Mais s’agissant de la Lorraine
et de l’Alsace, l’épaisseur des deux
volumes (543 pp. et 569 pp.)
témoigne de la qualité et la précision
des détails fournis notamment sur
leurs installations ferroviaires, avec des
mises à jour respectives en 1907… et
juillet 1914! À titre indicatif, on a
reproduit les notices relatives aux gares
de Bénestroff en Lorraine et de Mols-
heim en Alsace! Évidemment, la tech-
nicité des descriptions ferroviaires ne
peut résulter de la simple observation
de ces gares vues d’un compartiment
de wagon qui les traverserait, à la
Coll. G. R.
Extraite de la
«Notice Alsace»,
la carte des lignes
et stations,
avec mention des
longueurs des quais
militaires, à jour
en juillet 1914.
46-
Historail
Avril 2015
GUERRE
Ci-contre, la gare
de Molsheim dont
on aperçoit sur la
droite l’imposante
halle métallique.
Ci-dessous,
reproduction
de la «Notice
Molsheim» (Alsace).
manière du voyageur français Ardouin-
Dumazet visitant avant guerre les
« provinces perdues »
. Les agents
secrets du SR du 2
Bureau ont contri-
bué à leur élaboration, mais aussi très
certainement des cheminots « alle-
mands » restés fidèles à leur ancienne
patrie et travaillant pour elle.
L’infatigable voyageur Ardouin-Duma-
est très impressionné en 1907
par le nœud ferroviaire que constitue
Bénestroff (Bensdorf)
« L’organisation militaire des chemins
de fer allemands a fait naître ici une
des plus grandes gares du réseau, éta-
blie près d’un infime village. Les
grandes constructions, la multiplicité
des quais et des voies, la longueur
des quais de débarquement, l’ampleur
des installations, les lignes qui s’étoi-
lent dans cinq directions font de ce
lieu jadis ignoré un centre vital pour la
Lorraine, au moins au point de vue
militaire. C’est pour le préserver contre
une attaque des troupes françaises de
la frontière que les Allemands ont ins-
tallé de fortes garnisons à Dieuze et
à Mohrange, transformant ainsi ce
dernier bourg en une ville populeuse
dont les casernes sont un monde.
Des lignes à double voie aménagées
pour un fort rendement, viennent à
Bénestroff de Strasbourg, Sarregue-
mines et Metz. Celles de Dieuze-Avri-
court et de Château-Salins n’ont pas
une importance égale. Une seule sert
à la grande circulation européenne:
la ligne de Strasbourg à Metz, utilisée
par les trains rapides de Bâle à
Ostende,
Luxembourg et Bruxelles.
Le village s’est un peu développé,
grâce à l’activité de sa gare, nécessi-
tant un personnel nombreux; mais
il n’en reste pas moins très menu sur
la hauteur d‘où il domine le vaste
croisement de lignes de fer et des
étangs. »
Georges Ribeill
1. Pas d’inventaire connu de ces
Notices
parues avant 1914, inconnues même au
catalogue de la bibliothèque du Service
historique de la Défense à Vincennes.
2. 1) Aspect général du pays; 2) Climat;
3) Forêts; 4) Facilités de parcours
à travers les champs; 5) Routes et
chemins, longueurs, largeurs moyennes;
6) Productions du sol, ressources
du pays; 7) Lieux habités, nature des
constructions; 8) Lignes télégraphiques.
3. Voir par exemple la
Notice: Province
rhénane. Quatrième volume. Statistique
des districts de Trèves, d’Aix-la-Chapelle
et de Dusseldorf. Statistique de la
principauté de Birkenfeld,
1909, 553 pp.
4. Auteur d’une fameuse série de
reportages à travers la France parue sous
le titre de
Voyage en France,
Ardouin-
Dumazet est très compétent en matière
d’organisations et réseaux ferroviaires;
il avait publié en 1903 le récit de son
périple ferroviaire,
L’Europe centrale
et ses réseaux d’État.
5.
Les provinces perdues. Lorraine
(50
e
série du
Voyage en France
), Berger-
Levrault, 1907, pp. 177-178.
Photorail-SNCF ©
Coll. G. R.
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Historail
[ des installations ferroviaires allemandes décrites par le menu détail…]
Carte extraite du reportage
d’Ardouin-Dumazet.
Reproduction de la «Notice
Bensdorf» (Lorraine, pp. 164-165).
Photorail-SNCF ©
La gare de Bénestroff avait été transformée au début
du siècle dernier par les Allemands en «une des plus
grandes gares du réseau », selon Ardouin-Dumazet.
Docs Coll. G. R.
48-
Historail
Avril 2015
GUERRE
Au temps de «l’espionnite»
L’obsession d’être espionné ou manipulé
par des agents des services allemands
secrètement implantés en France va tour-
ner à la traque obsessionnelle menée par
des spécialistes ultra-patriotes. On sait
comment Léon Daudet, grande figure
militante de l’Action française, fut le plus
virulent de ces traqueurs d’espions ou de
leurs réseaux. Dans son livre
L’Avant-
guerre
paru en mars 1913, il dénonce les
laiteries Maggi souvent implantées dans
les villes de garnison; et dès l’entrée en
guerre, nombre de dépôts et boutiques
Maggi furent saccagés par une foule
ameutée. On ira jusqu’à soupçonner leurs
plaques émaillées et affiches publicitaires
de receler des informations codées utiles
aux futures troupes allemandes envahis-
sant le territoire. Les trois articles suivants
illustrent comment cette «espionnite»
gagna le domaine ferroviaire.
Le cheminot Lanoir allait pointer des
agents allemands infiltrés à la Compagnie de l’Est, bien placés pour informer les ser-
vices de renseignement institués par Stieber, voire prêts à saboter la machine ferroviaire
française au moment opportun; dénonçant même une manœuvre d’intoxication de la
jeune Chambre syndicale des cheminots par l’entremise d’une virulente brochure reje-
tant toute forme de mobilisation militaire des cheminots.
Un curé-espion soudoyant en juillet 1914 le chef d’une petite gare pour la communi-
cation de ses consignes secrètes en cas de mobilisation révèle une réalité plus diffuse
et ténue, mais peut-être aussi plus commune qu’on ne le soupçonne.
Enfin, avec un réseau allemand d’espionnage des gares camouflé derrière une entre-
prise monopolisant l’installation et l’entretien d’appareils distributeurs de friandises, on
atteint un degré de ruse subtil, plutôt savoureux!
DR/Coll. G. R.
Avril 2015
Historail
O
n ne peut reprocher à Lanoir,
cheminot au PO au début de sa
vie professionnelle, d’alerter l’opinion
en publiant dans les années 1880
chez un éditeur spécialiste des ques-
tions militaires un ouvrage consacré
à souligner l’enjeu de la mobilisation
des armées grâce au rail
« Quand, pour des raisons que les
peuples ne connaîtront jamais, les
chefs d’État auront décidé de lancer
les uns contre les autres les sujets des
deux nations, les trains de tissus, de
céréales et de denrées feront instan-
tanément la place aux trains de
troupes. Nos puissantes machines,
instruments de paix et de progrès,
deviendront alors des monstres de fer
au service de l’idée la plus barbare et
la plus inhumaine. Et la victoire, cette
constatation de la force brutale, sera
acquise en cette circonstance à celui
des deux peuples qui aura su donner
la plus grande place à cette arme nou-
velle, à celui dont les idées auront été
les moins généreuses et qui aura créé
ses chemins de fer dans un but
d’abord stratégique, c’est-à-dire mili-
taire, et non commercial, c’est-à-dire
civilisateur.
Oui, dans la prochaine guerre, la vic-
toire sera à celui des deux peuples qui
pourra, dans le moindre délai, concen-
trer le plus grand nombre d’unités
humaines – on n’y transporte encore
que des hommes – sur le point jugé le
plus propice pour un immense champ
de bataille, c’est-à-dire de carnage,
de monstrueuses tueries. »
Vain promoteur d’un « syndicat
jaune » dans les compagnies de che-
mins de fer, puis dans les entreprises
privées, ce militant nationaliste encore
mal connu va se consacrer alors à
dénoncer les méfaits de l’espionnage
allemand en France avant guerre. Il
publie nombre de livres et brochures
consacrés à cette question
. C’est
dans l’un d’eux au titre éloquent,
L’espionnage allemand en France.
Son organisation. Ses dangers. Les
remèdes nécessaires,
qu’il rappelle
comment durant les années 1880 et
1890 les services secrets allemands
opérèrent en France. Le chapitreVI
est consacré à dévoiler comment la
police secrète allemande avait projeté
«la destruction de nos voies ferrées
considérées comme arme de défense
nationale »
depuis 1875 jusqu’en
1884. Hommage à Stieber à la tête
de cette police
, à son organisation
des services d’espionnage projetée en
1880, telle qu’
« à l’instant où il plairait
à Guillaume de presser sur le bouton
de la mobilisation, Stieber presserait
sur le bouton de la destruction de nos
voies ferrées
par ses espions
, placés
en qualité d’ouvriers et d’employés de
chemins de fer français sur chacune
des parties de notre réseau national »
Avec 25 centimes d’une matière ven-
due couramment dans le commerce,
un mécanicien ou un chauffeur
pourrait rendre
« instantanément
inutilisables pour toute une journée,
nos meilleures et plus puissantes loco-
motives. »
Tout comme, en moins de
15 minutes, un cantonnier pourrait
détruire complètement la portion de
la voie ferrée que sa compagnie lui a
confiée… Et d’évoquer ainsi
« l’ef-
froyable désarroi »
qui subviendrait
au premier jour de la mobilisation, si
seulement dix mécaniciens ou chauf-
feurs espions bloquaient la noria de
trains
« marchant au quart d’heure. »
Le développement de l’espionnage
allemand sur les chemins de fer fran-
çais ne passa pas inaperçu. Enquêtant
fin 1883, Lanoir avait identifié 56
agents étrangers occupés par la Com-
pagnie de l’Est dans diverses gares de
bifurcation et aux points probables de
concentration des troupes. Ainsi aler-
tés, en février 1884 les ministres de
la Guerre et des Travaux publics, Cam-
penon et Raynal, avaient ordonné
confidentiellement aux compagnies
de mettre leurs agents
« en demeure
de se faire naturaliser sans délai, faute
de quoi ils seraient immédiatement
renvoyés de la compagnie.»
Sur
1841 étrangers, 182 ayant refusé
cette naturalisation furent expulsés le
16mars suivant.
Le chapitreVII de son livre relate com-
ment le réseau prussien s’était déve-
loppé en vue de débarquer 945000
hommes sur le possible front occi-
Paul Lanoir, un cheminot transfuge
du PO devenu traqueur d’espions
DR/Coll. G. Ribeill
Page de gauche:
«Le Petit Journal»
du 22février 1914.
dental dans les premières 24heures:
un réseau constitué de lignes straté-
giques, aussi droites que possible, à
double voie et traverses métalliques,
plus facilement et rapidement démon-
tables; soit 11 lignes tirées depuis les
11 directions militaires de la Confé-
dération: Altona, Berlin, Breslau,
Bromberg, Cologne-Rive Gauche,
Cologne-Rive Droite, Elberfeld, Erfurt,
Francfort, Hanovre et Magdebourg.
La sécurité de ces installations avait
été renforcée par Stieber décrétant en
« que nul Alsacien ou Lorrain,
même faisant son service militaire en
Allemagne, ne serait ni recruté ni
admis à un titre quelconque sur lesdits
chemins de fer stratégiques… »
Une dizaine d’années après, les
craintes renouvelées d’infiltration
d’agents espions sur les réseaux de
l’Est, du Nord et du PLM décidèrent
le ministre Viette à émettre une nou-
velle circulaire confidentielle le 2mars
1893. D’où, explique Lanoir, la
« nou-
velle stratégie »
de Stieber visant l’im-
mobilisation des voies ferrées par une
grève déclenchée par les cheminots
français le jour même de la déclara-
tion de guerre! D’où sa manipulation
que révèle l’affaire de « la brochure
Mesmard », montée en épingle par
Lanoir.
En avril 1891, en marge de syndicats
cheminots favorables à la collabora-
tion et la conciliation avec leurs diri-
geants, un essai de grève avait été
tenté, dirigé selon Lanoir par
« une
bonne partie de ces fameux 1559
Allemands »
fraîchement naturalisés
pour conserver leur emploi: des
agents
« tout désignés
pour marcher
dans la combinaison
et servir de pro-
pagateurs aux principes nouveaux de
solidarité
aussi internationale que
peu prolétarienne! »
En fait, la Cham-
bre syndicale tout juste créée en
1890, favorable à la confrontation
avec les compagnies, avait mené une
campagne de recrutement, jusqu’à
obtenir l’adhésion de 7 à 8% du per-
sonnel. Mais à la suite de l’échec de la
grève de juillet 1891, le syndicat chan-
gea son fusil d’épaule, privilégiant la
propagande par l’écrit. Ainsi allait
être imprimée en 1892 une brochure
signée d’un mystérieux Mesmard,
vendue 75 centimes,
Les Employés
des chemins de fer. Critique des abus
des grandes compagnies et projet
de réformes dans tous les services,
conclue par un appel résolu à la
grève
générale,
y compris en cas de recours
à la mobilisation par le ministre de la
Guerre:
« Avec l’organisation qui ne peut
manquer de se faire à brève
échéance, nous allons arriver à pou-
voir envisager la possibilité d’une
grève générale des chemins de fer. Il
importe au plus haut degré que cha-
cun résolve ce problème. De grève
partielle point, mais patience et grève
générale. Et que nous ayons foi en
la grève comme notre seul moyen
d’obtenir un résultat sérieux, car il est
certain que les compagnies, si elles
ne peuvent nous intimider, feront
semblant de faire des concessions
afin d’enrayer notre mouvement de
réforme et que, ce qu’elles donne-
ront, d’une manière, elles le repren-
dront bien vite de l’autre.
(…) Maintenant, que nous arrivions
avant peu à nous syndiquer tous et à
décréter la grève, qu’adviendra-t-il?
Le ministre de la Guerre fera-t-il une
mobilisation pour n’employer sur les
voies ferrées que des soldats?
Mais croit-on que tous les affolés du
gouvernement avec leurs décrets arri-
veront à remplacer du jour au lende-
main 150000ou 200000 employés
de chemins de fer qui connaissent
leur métier par des soldats improvisés
employés? Il y en aurait des catas-
trophes! Se figure-t-on que l’organi-
sation militaire des chemins de fer qui
existe en vue d’une guerre serait assez
puissante pour suppléer aux gré-
vistes? Si oui, c’est une illusion heu-
reuse; car le génie militaire pas plus
(sic)
l’armée auxiliaire technique
seront impuissants à empêcher la
grève.
Ah! voilà, mobiliser les grévistes qui
se trouvent sous le coup de la loi mili-
taire.
Mobilisés pour défendre notre liberté et
notre indépendance peut-être, mais
pour empêcher la grève, jamais! Qui
nous y forcera? – Nous, répondrons
(sic)
les généraux gardes-chiourmes!
Eh bien! non, malgré votre code mili-
taire, nous ne mobiliserons pas et vous
ne ferez pas fusiller ni déporter 100000
braves citoyens qui ne demandent
qu’un peu de justice. Nous connais-
sons nos devoirs de patriotes et nous
savons quand il faut être soldat. Si vous
ne le savez pas vous, messieurs les offi-
ciers, laissez-nous tranquilles, régler les
affaires de notre existence ou nous
appelons les Prussiens! »
Appel à la grève générale répercuté
le 21septembre 1892, lors du 5
congrès des syndicats et groupes cor-
poratifs de France tenu à Marseille
où Guérard, secrétaire général de la
Chambre syndicale, fait voter la motion
suivante:
« Considérant que le meil-
leur moyen d’arriver à la solution de
la question posée – la grève générale
et internationale – est de commen-
cer par la fédération des transports
de tous genres; que si le transport
était interrompu, la grève viendrait
naturellement et qu’il serait facile
alors de prétendre à la conquête du
capital et à la suppression de la pro-
priété individuelle; décide de voter
l’organisation d’une grève générale
50-
Historail
Avril 2015
GUERRE
«Si vous ne le savez pas vous, messieurs les officiers,
laissez-nous tranquilles, régler les affaires de notre
existence ou nous appelons les Prussiens!»
Avril 2015
Historail
internationale des chemins de fer. »
Mais dès la parution de cette bro-
chure, le ministre des Travaux publics
Viette adressait une mise en garde
aux directeurs des compagnies:
a cherché à propager une brochure
intitulée:
Les Employés de chemins
de fer
, signée Mesmard, dont cer-
tains passages constituent un vérita-
ble outrage à la patrie. Aux termes
du décret du 5mars 1852, le per-
sonnel actif des voies ferrées est sou-
mis à la surveillance de l’Administra-
tion supérieure qui a le droit, les
Compagnies entendues, de requérir
la révocation des agents. Je crois
devoir en conséquence vous inviter
à me signaler tout agent qui propa-
gerait la susdite brochure, et à pro-
noncer sa radiation ou son licencie-
ment. »
Mise en garde répercutée
sur les réseaux auprès de leurs
agents
. Choqué, Guimbert, prési-
dent du très sage Syndicat profes-
sionnel des chauffeurs et mécani-
ciens, avait lancé de son côté une
alerte:
« La brochure antipatriotique
que vous connaissez, ou dont vous
avez entendu parler, a coûté 25000fr.
On se demande d’où est venu l’ar-
gent, si ce n’est des Prussiens… ? »
Pour Lanoir, qui vient de fonder en
mars 1892 au PO une
Union syndi-
cale des ouvriers et employés des che-
mins de fer français,
en opposition à
la Chambre syndicale, il s’agit bien
en effet d’une manipulation de la
police secrète allemande. En février
1893, un crédit de 80000 thalers,
« destiné à payer les publications
étrangères utiles à la politique de
l’empire »
, était prélevé sur les fonds
secrets et deux mois après était
introduite et diffusée en Francela
fameuse « brochure Mesmard ».
L’organe syndical de Lanoir,
L’Éclaireur
de la voie,
enfonce le clou:
« Ce n’est
pas avec des francs, mais avec ces
thalers que la rédaction, la composi-
tion, le brochage, l’expédition et la
distribution ont été faits! »
Et de rap-
peler que dans cette brochure expé-
diée depuis le consulat allemand de
Genève en avril 1893, soit juste deux
mois après le vote des 80000 thalers,
les grévistes étaient invités à appeler
« les Prussiens » à leur secours!
À l’appui de la thèse de cette mani-
pulation, il faut signaler que « Mes-
mard » n’était qu’un nom d’emprunt,
l’auteur de la brochure restant non
identifié. Était-ce un employé de che-
mins de fer, membre de la Chambre
syndicale? Son organe
Le Réveil des
travailleurs de la voie ferrée
en recom-
manda la lecture quoique l’auteur y
critiquât son fonctionnement. Avant
même, devant le scandale soulevé
dans l’opinion publique, de s’en
désolidariser formellement lors de
son 4
congrès en mai 1894, en
faisant voter l’ordre du jour suivant:
« La Chambre syndicale recherche
l’entente et la conciliation et entend
écarter toute idée de grève.À ce
sujet, pour se dégager de toute soli-
darité avec une brochure dont l’au-
teur doit seul conserver la responsa-
bilité et pour répondre avec éclat à
l’injure que le journal
Le Figaro
l’infamie d’adresser à notre corpora-
tion et contre laquelle le congrès a
déjà protesté, les délégués déclarent,
au nom de la corporation, que, si un
danger menaçait la frontière, les
employés de chemins de fer seraient
tous à leur poste et défendraient le
sol et les libertés nationales avec la
même énergie qu’ils défendront leurs
revendications. »
Comme déjà dit, journaliste, auteur
de multiples brochures nationalistes,
Lanoir va s’atteler à ce qu’il appela
« L’Industrie de l’exploitation du mot
espionnage »
; durant la Grande
Guerre, on le retrouve militant à la
Ligue antiallemande, l’un des dénon-
ciateurs de l’affaire des distributeurs
automatiques des gares
cf. infra
p.54).
Georges Ribeill
[ au temps de «l’espionnite» ]
1.
La Question des chemins de fer. Les chemins de fer et la mobilisation,
Lavauzelle, Limoges, sd, p. 26.
2. Citons
Les grands espions,
Ficker, 1911;
L’espionnage allemand en France. Son organisation. Ses dangers.
Les remèdes nécessaires,
Cocuaud; puis Albin Michel;
L’Industrie de l’exploitation du mot espionnage,
2
e
éd,
Antibes, 1918.
3. Wilhelm Stieber (1818-1882) fut le maître à penser des services secrets allemands. Dans ses Mémoires
(trad. fr.:
Espion de Bismarck,
Paris, Pygmalion, Gérard Watelet, 1985), il se flatte d’avoir pu aller en 1852 à
Londres rencontrer le chef de la Ligue des communistes, Karl Marx, en se présentant à lui comme un simple
journaliste. Son témoignage s’arrête sur le rôle qu’il a joué aux côtés de Bismarck durant la guerre franco-
allemande.
4. Tel au PO, par l’ordre du jour n°15.056, signé du directeur Heurteau:
«La brochure dont il s’agit
a été distribuée à Paris, à la Bourse du travail, à l’occasion d’un récent congrès, ainsi que sur divers points
du réseau français. Le directeur de la Compagnie a pleine confiance que les sentiments bien connus du
personnel, son attachement à ses devoirs et son patriotisme éprouvé, suffiront toujours à le mettre en garde
contre de semblables excitations et à lui faire repousser avec indignation toute solidarité avec leurs auteurs.»
DR/Coll. G. Ribeill
52-
Historail
Avril 2015
GUERRE
Portrai du jeune
abbé Heurtebout,
paru dans
«La Dépêche
normande»
du 29juillet 1914.
Un curé pris en flagrant délit
Samedi soir 18juillet 1914, l’abbé Paul
Arsène Heurtebout, âgé de 35 ans, curé
depuis trois ans de Fontane-la-Louvet, petit
village de l’Eure où il habite avec sa grand-
mère âgée de 88 ans, est arrêté et inculpé
d’espionnage ferroviaire au profit
de l’Allemagne. Sortant de la gare
de Thiberville, sur la ligne de Bernay
à Cormeilles, les agents de la Sûreté
générale, leur chef Sebille en tête, devenus
célèbres pour leurs exploits en tant que
« brigades du Tigre », étaient venus
lui tendre un piège.
R
appelons les faits
. Devenu un
familier du chef de gare Léon
Mérentier, un jeune homme de
25 ans logé à l’étage, le curé avait
remarqué dans la chambre une enve-
loppe cachetée portant la mention:
« Confidentiel. À décacheter en
cas de mobilisation générale. » Lui
rendant visite le 8juillet 1914, il lui
avait raconté qu’il pouvait gagner
500000 francs s’il livrait les plans
de mobilisation de la gare du
Nord, qu’en attendant, si Mérentier
lui laissait photographier le contenu
de l’enveloppe, il lui donnerait
cinq beaux billets de 100francs. Le
chef de gare demande à réfléchir
quelques jours… En fait il contacte
la mairie et c’est ainsi que, prévenue,
la Sûreté générale va tendre un piège
à l’abbé. Ordre est transmis au
chef de gare de répondre à sa sollici-
tation et de lui donner rendez-vous
samedi18. Ce jour-là, Mérentier
remet l’enveloppe à l’abbé qui la
décachette et prend des photos pen-
dant que des inspecteurs, arrivés en
automobile, crèvent les pneus de son
vélo garé dans la cour de la station.
L’abbé ressort et leur demande une
pompe pour regonfler ses pneus;
pendant ce temps, un agent s’em-
pare de son sac… Le curé, pris ainsi
en flagrant délit, est aussitôt arrêté!
Dès le lundi, une perquisition du pres-
bytère révèle la double vie du curé
qui conservait nombre de photogra-
phies licencieuses, menant joyeuse
vie à Paris en « civil ». Il était entré
aussi en relation le 7décembre 1913
avec le service allemand de contre-
espionnage appâtant de possibles
recrues par des annonces alléchantes
publiées dans la presse. Son corres-
pondant basé à Saint-Louis, près de
Bâle, lui demande de trouver un mili-
taire complaisant connaissant bien
les régions d’Évreux et de Rouen…
À défaut, le curé va s’empresser de
lui adresser des cartes postales d’em-
branchements ferroviaires, puis de
glaner des renseignements sur les ins-
tallations militaires locales… À l’issue
Archives départementales de l’Eure, PG 36 A/9
L’abbé était entré en relation le 7décembre 1913
avec le service allemand de contre-espionnage par le
biais d’annonces alléchantes publiées dans la presse.
Avril 2015
Historail
[ au temps de «l’espionnite»]
Gare de Thiberville.
Dans la moindre
gare, des
instructions
militaires
« à décacheter en
cas de mobilisation
générale » étaient
conservées sous pli
scellé.
d’espionnage en gare de Thiberville
d’un voyage à Cologne et de six rap-
ports transmis en Allemagne, le curé
zélé a été payé bien modestement
de 50francs pour chaque rapport.
De quoi entretenir une liaison avec
une jolie brunette rencontrée en
novembre à Montmartre, MlleRose
Flottes, devenue sa maîtresse. Ainsi
La Dépêche normande
du 29juillet
révèle « les mille-et-une frasques du
curé-espion Heurtebout»: du sensa-
tionnel, très prisé du public!
C’est ainsi que, de fil en aiguille, sol-
licité d’informer son correspondant
sur les modalités ferroviaires de la
mobilisation des troupes vers la fron-
tière allemande, le curé en était arrivé
à solliciter son ami Mérentier.
Le 27novembre, l’affaire vint devant
le Conseil de guerre de Rouen, un
seul témoin, le chef de gare Méren-
tier, étant convoqué.
« Il dit avoir
traité le curé en ami, parlant volon-
tiers avec lui des événements divers
et lui témoignant une confiance
entière jusqu’au jour où le curé lui
proposa de livrer des plans de mobi-
lisation. L’abbé, pour sa propre
défense, prétend avoir tout fait de
complicité avec lui et même avoir été
victime en cette délicate affaire.
M. Mérentier proteste contre cette
façon de présenter les faits et rap-
pelle qu’il s’est empressé d’avertir le
parquet de Bernay dès que la bizarre
demande lui eut été présentée. »
Portant avec aisance le costume civil,
rasé de frais, sans trace de tonsure,
le curé ne manifesta ni repentir ni
remords patriotique – il avait été
exempté du service militaire pour des
affections cardiaque et pulmonaire.
« son bluff et son cynisme »
purent
faire douter de son
« équilibre men-
tal »
, un examen ne révéla rien d’au-
tre que sa
« déplorable amoralité. »
Déclaré coupable d’espionnage et de
tentative d’espionnage, Heurtebout
fut donc condamné à 5 ans de pri-
son et 500francs d’amende.
L’affaire défraya la presse, non sans
coloration politique. Le 22juillet
1914, alors que
Le Radical
soulignait
comment
« un prêtre-espion, faible
d’esprit »
, avait été bien dupé par les
services allemands,
La Croix
critiquait
la manière dont les journaux anticlé-
ricaux s’étaient emparés de l’affaire,
l’agrémentant de
« détails détesta-
bles »
sur sa vie parisienne dissolue,
alors que ce malheureux curé n’était
« déséquilibré »
et que
n’est pas ainsi qu’on fait vraiment de
l’espionnage. »
Jean-Michel Pichot
1. On suit les articles précis de
La Dépêche normande
(22, 25, 29juillet,
28novembre 1914), consultée aux
Archives départementales de l’Eure.
Coll. Henri Dupuis
U
n peupartout dans le monde, le
seul nom de « Pacific » continue
aujourd’hui encore de faire rêver, en
évoquant l’apogée de la traction à
vapeur. Jamais type de locomotive
n’aura sans doute été aussi connu
d’un large public, mis à part, chez
nous, les fameuses « BB » électriques.
Il est vrai que les Pacific confinent à
l’universalité. À leurs heures de gloire,
on pouvait les rencontrerde la Fin-
lande à l’Afrique du Sud, et du
Mexique au Japon. Elles ont roulé
dans une trentaine de pays, et sur
les cinq continents. Et elles ont été
déclinées selon tous les écartements:
normal (1,435 m), métrique,
« métrique anglais » (1,067 m), russe
(1,524 m), et ibérique (1,676 m). Le
« métrique anglais » (3 pieds
6 pouces) revêtait d’ailleurs une
importance toute particulière puisque
cet écartement avait été adopté
par les Japonais, qui l’ont toujours
conservé pour leur réseau classique.
LesBritanniques l’avaient aussi pro-
pagé dans leurs colonies, notamment
sur l’important réseau d’Afrique du
Sud, d’où son surnom d’« écartement
du Cap »… Si les Pacific se sont ainsi
répandues à travers le monde, leur
notoriété tient surtout au fait qu’elles
ont prioritairement assuré, au cours
de leur existence, la remorque des
trains les plus nobles, pour lesquels
elles étaient particulièrement bien
adaptées. En France, elles sont ainsi
devenues les locomotives des meil-
leurs rapides et express, avant qu’elles
ne soient inexorablement chassées
par les vagues successives d’électrifi-
cations…
Le terme « Pacific » renvoie à une
norme internationale de classification
des locomotives à vapeur selon la
configuration de leurs essieux. Il
désigne un engin qui, de l’avant vers
l’arrière, comporte successivement
deux essieux porteurs, trois essieux
moteurs et enfin un dernier essieu
porteur. Les deux premiers essieux for-
ment un bogie, les trois suivants sont
accouplés par un embiellage et
constituent l’empattement rigide
(autrement dit la partie du train de
roulement dont l’inscription en courbe
reste la plus délicate), enfin le sixième
essieu est un « bissel ». Du nom de
l’ingénieuraméricainLevi Bissell qui
l’inventa en 1857, cet essieu porteur
présente la particularité de disposer
de son propre mini-châssis avec degré
de liberté en rotation. Ce châssis
s’oriente au franchissement des
courbes et revient ensuite en position
alignée par l’effet des ressorts de rap-
pel. À la SNCF, les familles de loco-
motives à vapeur étaient identifiées
par les trois chiffres caractéristiques
de leur disposition d’essieux. Le pre-
mier chiffre représentait le nombre
d’essieux porteurs à l’avant, le
deuxième celui des essieux moteurs
au milieu, enfin le troisième celui des
essieux porteurs à l’arrière. Ainsi, les
« 231 » françaises étaient, selon la
norme internationale, des « Pacific »,
tout comme les 141 étaient des
58-
Historail
Avril 2015
LOCOS DE LÉGENDE
La Pacific 01-147
de la DB démarre
de Schwandorf
avec un omnibus
Ratisbonne – Hof.
Octobre1966.
(R. Löttgers)
Page de droite,
en haut:
en 1936, les K 4
sont les Pacific
les plus célèbres
et efficientes des
réseaux américains.
La 5399,
de la compagnie
du Pennsylvania
en fait partie,
et possède en outre
une distribution
par soupapes
Franklin et Lentz.
(DR/Photorail-
SNCF©)
attendant, de notre côté de l’Atlan-
tique, les Chemins de fer du royaume
de Bavière, en Allemagne, réfléchis-
saient dès 1905 au développement
d’une machine de type 231. Ce projet
ne se concrétisera toutefois qu’en
1908, sous la forme de l’une des plus
belles locomotives jamais construites:
la fameuseS 3/6.Le « S » signifiait
« Schnellzuglokomotive »
(locomotive
pour trains rapides), tandis que la frac-
tion représentait le nombre d’essieux
moteurs sur le nombre total d’essieux
de la machine. Les premières S 3/6
ont été construites par le célèbre
industriel allemand Josef Anton von
Maffei. Elles témoignaient du génie
de l’un de ses ingénieurs, Hein-
rich Leppla, qui avait été nommé chef
du projet. De fait, dans ces locomo-
tives, tout n’était qu’harmonie. Le
charme commençait dès la traverse
avant, surplombée par l’inimitable
forme tronconique de la porte de
boîte à fumée. Leurs roues de
1,870 m de diamètre avaient été tout
spécialement dimensionnées pour
avaler les longues rampes à forte
déclivité des lignes montagneuses de
Bavière. Certaines reçurent néanmoins
des roues de 2 m pour assurer le ser-
vice des trains rapides sur les lignes
de plaine.
Mais avant même que n’apparaissent
les premières S 3/6 allemandes, la
France réussit à sortir, dès juillet 1907,
la toute première Pacific d’Europe.
Préparée en 1906 par la compagnie
du chemin de fer de Paris à Orléans,
elle était destinée à pallier l’insuffi-
sance des machines de génération
antérieure dévolues au service des
rapides et express – et tout particu-
lièrement les Atlantic 221 – qui étaient
handicapées par des chaudières trop
petites. Le succès du prototype fut
presque immédiat, si bien que les
Pacific essaimèrent bientôt sur le ter-
ritoire national. Au début de l’an-
née 1911, leur parc atteignait déjà les
230 unités, parmi lesquelles 150 pour
le seul réseau d’Orléans.Dans l’ima-
ginaire de l’époque, la Pacific devint
vite la dernière merveille de la tech-
nique. Et pour cause. C’était la pre-
mière locomotive de vitesse dont la
puissance aux cylindres égalait, voire
dépassait, les 2000 ch. L’une de ses
représentantes allait même acquérir
une renommée internationale. Il
s’agissait d’une sujette de Sa Majesté,
répondant au doux nom de « Mal-
lard », et appartenant à la classe A4
du LNER
(London and North Eastern
Railway).
Ce réseau souhaitait lancer
une nouvelle relation rapide entre
Londres et Newcastle, qu’il baptisa
« Silver Jubilee »
en hommage aux
25 ans de règne du roi Georges V.
Allait-on faire remorquer ces trains de
prestige par de futures locomotives
diesels qui pointaient déjà le bout de
leur nez? Les moteurs thermiques
n’avaient pas été suffisamment
éprouvés et, après moult discussions,
il fut donc décidé de construire quatre
nouvelles Pacific dérivées de la
classe A3. Ces machines, formant la
62-
Historail
Avril 2015
La France réussit à sortir, dès juillet1907,
la toute première Paci�c d’Europe.
Le Mécru
de la 231 D 640
à son poste
en pleine marche
près de Mézidon,
sur l’express 301
Cherbourg – Paris.
(R. Floquet/
Photorail-SNCF©)
Tirage disponible
cf.
p. 4
Réf. 330621
tives à vapeur en banalisation ou
en pool, où tous les agents tournent
indifféremment sur toutes les
machines, n’aurait pu convenir à ces
délicates Pacific qui requéraient telle-
ment de soins, mais qui, amoureuse-
ment menées, étaient source des plus
grandes satisfactions. L’auteur Mau-
rice Maillet nourrissait une passion
pour celles que l’on avait surnommées
les « reines de Tours ». À l’époque,
il descendait volontiers de Paris
« en voyageurs » pour accompagner
l’une de ses reines favorites à partir
de la gare d’arrêt où s’effectuait le
relais-traction. Une dizaine de minutes
avant que son train ne l’atteigne, il
disparaissait aux toilettes avec son sac,
afin de quitter un complet-veston
passe-partout, pour revenir quelques
instants après se rasseoir dans son
compartiment en tenue complète de
« vaporiste », bleu de chauffe maculé
de suie, foulard noué autour du cou,
casquette vissée sur la tête et grosses
lunettes. Ses compagnons de voyage,
médusés, devaient avoir peine à
contenir leur surprise, l’ami Maurice
produisant un effet probablement
guère moins saisissant que si un mar-
tien avait subitement atterri sur le
train… C’est lui qui rapporte l’histoire
d’un certain mécanicien du dépôt de
Tours, du nom de Maillebuau, histoire
que lui avait confiée le célèbre
Daniel Caire. Ce mécanicien, comme
nombre d’autres, prenait toujours ses
congés en hiver, lorsque sa Pacific pas-
sait en révision à l’atelier.Pendant les
travaux, il s’installait carrément dans
l’atelier, pour s’assurer que toutes les
phases de la remise en état s’effec-
tuaient de façon impeccable! C’était
aussi l’époque où le dévouement des
équipes ne connaissait aucune limite.
« Faire l’heure » était leur credo, le
temps regagné construisait, jour après
jour, leurs titres de gloire. Sous l’abri
de leur Pacific, la nuit, dans la brume
ou la pluie, chauffeurs et mécaniciens
s’efforçaient de rattraper chaque
minute perdue à la force du poignet,
sans bien sûr perdre de vue un seul
instant la sécurité. Jamais sans doute
la dualité homme-machine n’aura été
à ce point réalité.
Elles ont pour nom
Dans la longue lignée des Pacific, il y
eut des séries exceptionnellement
réussies. Aujourd’hui, l’une des plus
belles pensionnaires de la Cité du
train, à Mulhouse, est la3.1192.C’est
sûr qu’elle a fière allure, dans sa célè-
bre livrée dite « chocolat » à filets
jaunes, caractéristique de l’ancienne
Compagnie du Nord. Renumérotée
231 E 22 par la SNCF après la natio-
nalisation des chemins de fer, cette
machine construite en 1936 a remor-
qué son dernier train entre Paris et
Calais – le célèbre rapide « Flèche
d’Or » – en 1967. Trois ans plus tard,
elle était magnifiquement restaurée
par le dépôt de Dunkerque. La
3.1192, comme nombre d’autres
locomotives à vapeur françaises, n’au-
rait jamais été aussi performante
sans la révolution technique initiée
par un véritable « Géo Trouvetou »
du monde ferroviaire, qui avait pour
nom André Chapelon. En repensant
intégralement l’application des
principes de la thermodynamique et
de la mécanique des fluides, cet
ingénieur d’exception réussit la
prouesse de multiplier par deux la
puissance des machines tout en divi-
sant d’autant leur consommation. Et
cela sans augmenter pour autant
leurs mensurations! Grâce à lui, dès
les années 30, le seuil des 130 km/h
allait pouvoir être franchi… Diplômé
de l’École Centrale des Arts et
Manufactures, André Chapelon fait
ses premières armes en 1921 à la
compagnie du chemin de fer Paris-
64-
Historail
Avril 2015
LOCOS DE LÉGENDE
3.1192 à Dunkerque.
(M. Decooninck)
Page de droite:
la 231 K 8
sur le tournage
du film
«Borsalino & Co.»,
le 1
juin 1974.
(Besnard/
Photorail-SNCF ©)
Tirage disponible
cf.
p. 4
Réf. 330641
Lyon-Méditerranée (PLM). Sa décou-
verte du monde de la Traction va
déterminer sa future vocation. À peine
arrivé, il est déjà consterné par les pra-
tiques enseignées aux mécaniciens
(conduite avec 50% d’admission et
régulateur partiellement ouvert), qui
contredisaient les théories de Carnot,
le « pape » de la thermodynamique
bien connu pour son fameux cycle.
Ces pratiques avaient pour consé-
quence de réduire la pression de
12 atm à la chaudière à seulement
4 atm aux cylindres de la locomotive.
L’inspecteur Traction qui supervise
Chapelon est très favorablement
impressionné, mais le jeune ingénieur
se heurte vite à une hiérarchie jalouse
et il doit quitter le PLM deux ans après
y être entré! Son approche scienti-
fique est bien davantage reconnue à
la Compagnie des téléphones, dont
il devient le sous-directeur dès 1924.
L’ancien professeur de thermodyna-
mique de Chapelon, conscient du
génie de son disciple, ne manque pas
de raconter l’histoire à son cousin,
ingénieur en chef Matériel et Traction
de la compagnie du chemin de fer
de Paris à Orléans (PO). Ce dernier
l’embauche aussitôt et lui confie la
reconstruction complète, sous forme
de prototype, de la Pacific 3566
que le personnel de conduite avait
surnommée « Choléra », tant son
fonctionnement avait toujours été
calamiteux. Là encore, les travaux de
Chapelon ne relèvent, aux yeux d’une
partie de sa hiérarchie incrédule, que
de la pure fantaisie. Mais dès la pre-
mière marche d’essai, le 19 novem-
bre 1929, la 3566 placée en tête d’un
train lourd développe ses 3000 ch à
plus de 120 km/h, en économisant
25% d’énergie: exactement les chif-
fres qui apparaissaient alors dans les
calculs initiaux de Chapelon! Les suc-
cès ne tardent pas s’enchaîner, tant
en France qu’à l’étranger. Partout il
est appelé pour ses conseils, écouté
et suivi. En 1936, la compagnie du
PO-Midi le nomme chef d’études du
Matériel. À la formation de la SNCF
en 1938, il rejoint la division des
Études de locomotives à vapeur. Mais
les électrifications de lignes vont bien-
tôt arrêter son élan. Pour les uns
« petit homme délicieux, aimable et
modeste, dont on peinait à suivre
l’esprit brillant »,
Chapelon était
66-
Historail
Avril 2015
Au départ de Lille
en 1958, la 231 E 19
de Fives, ex-3567
du PO, côtoie
la 231 C 6
d’Amiens,
ex-3.1206 Nord.
(M. Oger/Photorail)
Tirage disponible
cf.
p. 4
Réf. 330661
De gauche à droite et de haut en bas:
Ultime graissage, avant la sortie du dépôt
des Batignolles, de la 231 D 616. Mai1960.
(Vincent/Photorail-SNCF©)
Au dépôt de La Chapelle, un agent
de l’atelier s’affaire autour de la 231 C 49.
(F. Fénino/Photorail-SNCF©)
Le chauffeur de Paris-La Villette enfourne
une briquette dans le foyer de la 231 K 14.
(P. Bernier/Photorail-SNCF©)
La 231 C 77 franchit la gare de Villiers-le-Bel
avec un direct Compiègne – Paris-Nord.
Mai 1959. (F. Fénino/Photorail-SNCF©)
Tirage disponible
cf.
p. 4
Réf. 330681
Tirage disponible
cf.
p. 4
Réf. 330683
Tirage disponible
cf.
p. 4
Réf. 330682
Avril 2015
Historail
E
ncore une Exposition universelle?
Paris est coutumier du fait. Pour-
tant la dernière dans la capitale ne
remonte qu’à 1900. Dans l’intervalle
se sont tout de même tenues deux
Expositions, celle des Arts décoratifs
en 1925 et l’Exposition coloniale en
1931. À chaque fois, on a adapté
l’offre de transport pour les Parisiens.
En 1900, on avait vu grand avec l’ou-
verture du métro, une première ligne
et ses deux embranchements consti-
tuant l’amorce d’un important réseau
qui allait se développer les années sui-
vantes. Les grandes compagnies de
chemin de fer avaient obtenu de pro-
longer certaines lignes au cœur de
Paris et le départ des trains du PO
avait été reporté dans la toute nou-
velle gare d’Orsay. De son côté, le
PLM mettait en service sa majes-
tueuse gare de Lyon. La Petite
Ceinture avait fait preuve d’une
redoutable efficacité en organisant
de nombreux services desservant
directement le Champ-de-Mars au
cœur de l’événement. Les tramways
n’étaient pas en reste et plusieurs
lignes avaient été concédées,
construites (ou pas) pour s’approcher
au plus près de la manifestation. À
cela il faut ajouter le service des
bateaux sur la Seine qui traversait
l’Exposition sur toute sa longueur.
Au final, près de 48millions de visi-
teurs s’étaient rendus au cœur de
Paris, utilisant largement tous les
moyens de transport mis à leur dis-
position. Pareille organisation allait-
elle se renouveler en 1937? En
principe, tout événement d’impor-
tance, en particulier s’il s’étale dans
le temps comme pour les 6 mois
d’une Exposition, peut espérer une
adaptation conséquente de l’offre de
transports. Mais cette manifestation-
là va se dérouler dans un contexte
particulier. La France malheureuse-
ment n’est plus tout à fait le pays
insolemment prospère qu’elle était en
1900. Quatre années de guerre sont
venues redistribuer les cartes et ont
laissé notre pays fortement endetté.
Des régions entières en sont sorties
dévastées et le franc a perdu à jamais
sa parité or. Pour ne rien arranger, la
crise de 1929 a commencé à faire
sentir ses effets en France au début
des années 1930. Le chômage s’ins-
talle en même temps que s’opèrent
en Europe de grands bouleversements
politiques. En réaction aux fascismes à
ses frontières, la France élit en 1936
un gouvernement de Front populaire.
C’est en 1934 qu’est décidée offi-
ciellement l’organisation d’une Expo-
sition internationale des «Arts et
des Techniques appliqués à la vie
moderne ». Dès l’origine, on prévoit
une manifestation à l’ampleur
réduite. Le temps n’est plus aux fastes
de 1900. Le site retenu est encore
celui des Invalides et du Champ-de-
Mars.Mais si le lieu de l’Exposition
est identique, les modes de déplace-
ments ont beaucoup changé en plus
de 35 ans.
Des transports parisiens
redistribués
Les transports de la fin des années
1930 n’ont plus grand-chose à voir
avec ce qu’ils étaient en 1900. Le
temps n’est plus où l’on construisait
des infrastructures lourdes en prévi-
sion d’un tel événement. Désormais
c’est le métro qui règne en maître.
Pour comprendre l’offre à disposition
en 1937, il faut suivre les bouleverse-
ments intervenus depuis l’Exposition
de 1900. Dans ce domaine, les cartes
ont été largement rebattues et les vic-
times sont nombreuses. Le grand che-
min de fer ne joue plus le rôle qui était
le sien au début du siècle. En premier
lieu, la Petite Ceinture a définitive-
ment disparu en 1934, remplacée
par un service d’autobus qui suit les
contours de l’ancienne ligne. Les
39millions de voyageurs qu’elle a
transportés en 1900 vont donc se
répartir sur les autres moyens de
transport. Une situation nouvelle
puisque la ligne jouait à cette époque
en partie le rôle de ce métro qui faisait
si cruellement défaut. Avec la Petite
Ceinture a également disparu le rac-
cordement de Boulainvilliers construit
spécialement pour relier la ligne
d’Auteuil au Champ-de-Mars. Devant
la faiblesse de la fréquentation et une
offre mal appropriée, la ligne a été
desservie par navette, puis a finale-
ment totalement cessé son activité en
1924. La ligne d’Auteuil elle-même
au cœur du dispositif sur la Petite
Ceinture n’est désormais plus au
départ de la gare Saint-Lazare mais
de Pont-Cardinet. Ce report mis en
place en avril 1922 à l’occasion de la
démolition de trois des quatre tunnels
des Batignolles a permis de récupérer
en gare les voies du groupe I. Finis à
jamais les trains spéciaux au départ
de Saint-Lazare.
Avril 2015
Historail
1934, le métro va pousser en ban-
lieue; le réseau de surface, incapable
de faire face à la concurrence, sera
obligé d’y reporter ses lignes. Bien-
tôt, de fait le tramway va trouver une
légitimité dans la desserte de la ban-
lieue, en attendant peut-être que le
métro prenne la relève. Consciente
de ce rôle, la STCRP va même imagi-
ner dès 1925 un réseau de trams
express articulés autour d’une ligne
circulaire sur les boulevards des Maré-
chaux. De là, des lignes à forte capa-
cité assurent la desserte des diffé-
rentes banlieues en reprenant les
infrastructures des principales lignes
existantes. Ce réseau qui aurait pu
permettre une survie du tramway ne
sera jamais constitué.
Dans Paris même, la STRCP va enga-
ger des travaux importants pour
moderniser ses installations. Les infra-
structures sont reprises, de nouvelles
voies posées et on réorganise enfin
avec rationalité, ce qui jusqu’à pré-
sent était impossible dans un contexte
de concurrence. Le trolley se substi-
tue progressivement chaque fois que
c’est possible aux autres modes de
traction. Quand il est jugé disgracieux,
on installe une alimentation par cani-
veaux. Si cette démarche de moder-
nisation avait en partie été entamée
avant 1921, la STCRP va largement
amplifier le mouvement. Cette
restructuration est en effet indispen-
sable dans un contexte de concur-
rence acharnée face au métro qui
comme on l’a vu ne laisse aucune
chance à ses adversaires. La STCRP a
d’ailleurs été constituée pour faire face
à la faillite programmée du transport
de surface. L’incroyable diversité des
matériels roulants, des modes d’ex-
ploitation, des installations fixes, des
modes de traction dont elle hérite
l’oblige à unifier cet ensemble dispa-
rate au prix de sa survie. Les lignes
elles-mêmes connaissent une réorga-
nisation partielle. Certaines sont pro-
longées tandis que de nouvelles sont
créées à cheval sur les réseaux des
anciennes compagnies. Un nouveau
34 Bastille – Asnières voit le jour, tout
comme le 43 Montparnasse – Cour-
bevoie. Un ensemble de nouvelles
lignes est prévu, un 32 Anvers – Vol-
taire, ou encore cet étonnant 56 de
Clichy à Saint-Ouen par Notre-Dame-
de-Lorette. Ces nouveaux services pas-
sent généralement par la pose de
nouvelles voies. Dans le même temps,
les bureaux d’études travaillent à de
nouveaux matériels roulants pour
remplacer les motrices et les
remorques à bout de souffle.
Une rapide disparition
Et pourtant à l’heure de l’Exposition,
plus aucun tramway ne circule dans
Paris. Comment en est-on arrivé là?
Une première brèche peut-être va
venir précisément de cette idée de
complémentarité entre tramways et
autobus. Dès 1925, on va commencer
à regarder du côté de la banlieue pour
voir si toutes les lignes en place sont
vraiment justifiées. Le faible trafic de
certaines va amener à repenser la des-
serte alors que l’autobus commence à
montrer son potentiel. C’est le cas de
cette petite ligne qui part de Saint-
Denis pour filer vers Villeneuve-la-
Garennedesservant des secteurs peu
peuplés entre des carrières et des
zones industrielles. Son remplacement
par autobus va se faire dans une
logique économique que personne
ne va contester. Le tram 78va ainsi
faire place auxbus ED et EF bientôt
eux-mêmes fusionnés. Rien à redire!
Par la suite, l’application de cette
notion de rentabilité va venir toucher
La STCRP
modernise le réseau
et pose des voies
à caniveaux quand
le trolley est jugé
disgracieux, comme
ici en 1921 dans
le secteur
des Invalides.
RATP
Avril 2015
Historail
La STCRP refuse la
disparition des tramways
Pourtant, passés les premiers aména-
gements techniques, la STCRP n’est
pas favorable à une généralisation de
la substitution. Elle vient contredire
sa politique de modernisation et les
investissements faits dans le renou-
vellement des infrastructures et des
tramways.
L’autre argument contre la générali-
sation, c’est la capacité des matériels
roulants. Sur les lignes les plus char-
gées comme le8 entre Montrouge et
Gare-de-l’Est,les tramways forment
des convois de deux voitures, motrice
et remorque d’environ 110 places qui
permettent d’assurer un débit assez
important à la ligne. Cette offre reste
indispensable malgré la présence sur
une bonne part du parcours de la
ligne 4 du métro qui elle-même assure
un très important trafic. À l’inverse,
lesautobus PN en service ne trans-
portent au mieux qu’une quarantaine
de voyageurs assis et debout. L’arri-
vée à partir de 1931 d’autobus de 50
places va venir conforter les partisans
d’une substitution. Plus que jamais, la
municipalité va souhaiter « dégager »
les tramways du centre de Paris et des
beaux quartiers.
La STCRP va un temps résister, avant
de finir par se rallier à cette position.
On a beaucoup débattu sur ce revi-
rement assez incompréhensible qui va
conduire à démanteler en moins de
10 ans un réseau cohérent en pleine
modernisation. On tient désormais
pour acquis les collusions entre les diri-
geants de la STCRP et l’industrie auto-
mobile qui va largement profiter de
cette substitution. À l’heure de l’Ex-
position de 1937, plusieurs milliers
d’autobus circuleront en remplace-
ment des tramways.
Une fois la décision prise, les choses
vont aller assez vite. En premier lieu,
on va supprimer les lignes du centre
avant de s’attaquer progressivement
aux quartiers périphériques de la capi-
tale. L’opération va se révéler relative-
ment simple tant qu’il s’agit de lignes
proprement parisiennes. Le rempla-
cement va s’avérer plus complexe
quand on va s’attaquer aux péné-
trantes de banlieue. Plusieurs anciens
réseaux de tramways avaient ainsi
implanté leurs têtes de lignes dans un
point précis de la capitale comme
la Madeleine, l’Opéra ou encore la
République. Le désengorgement
espéré va nécessiter un report de ces
terminus au-delà des limites de la ville.
On va donc s’attaquer aux lignes de
pénétration qu’on va interrompre aux
portes de Paris pour les remplacer par
des autobus. Les voyageurs sont
contraints à une rupture de charge,
descendant des tramways bannis de
la ville pour se presser dans des bus
de navette aux indices fusionnés
comme les 34/104 ou 39/40. Devant
l’inconfort de la situation, le public ne
va pas tarder à réclamer le prolonge-
ment des autobus en banlieue alors
que rien ne justifie cette substitution.
Au-delà de Paris, le tramway qui ren-
contre une moindre circulation évo-
lue souvent en accotement quasiment
en site propre. La concurrence avec le
métro y est là aussi quasi inexistante.
On va pourtant continuer à le suppri-
mer et le mouvement va s’accélérer
après la décision d’organiser à Paris
l’Exposition de 1937. Sans être le fac-
teur déclenchant de cette disparition,
la manifestation va servir de date
butoir. L’objectif sera donc une dispa-
rition totale avant le printemps 1937.
On va supprimer à grande vitesse à
mesure que sont livrés les nouveaux
autobus TN Renault. À partir de 1933,
c’est un massacre en règle, 27 lignes
converties totalement ou en partie
pour cette année. En 1935 et 1936,
près de 45 lignes subissent un sort
identique. En 1937, il ne reste que
huit lignes sur le réseau. La dernière
parisienne, le 123/124 cède la place
à l’autobus le 15mars, juste avant
l’ouverture de l’Exposition. Le112 en
banlieue survivra jusqu’à l’été 1938.
Service spécial
pour l’Exposition
La STCRP va durant l’Exposition adap-
ter son réseau désormais « moder-
nisé ». La souplesse de l’autobus va
ainsi lui permettre de mettre en place
des lignes spécifiques tout en détour-
nant d’autres services le temps de la
[ des transports pour l’Exposition de 1937]
L’autobus PN
à petite capacité
ne fait pas encore
le poids face
au tramway.
RATP
78-
Historail
Avril 2015
URBAIN
pour éviter la confusion avec le pro-
longement de la 9 à Pont-de-Sèvres).
Pour mettre en œuvre cette réorga-
nisation, il faut donc construire la sec-
tion de la ligne 8
bis
La Motte-
Picquet- Balard, celle de la ligne 14
Porte-de-Vanves – Duroc et sur la ligne
10, deux tronçons entre Jussieu et
Gare-d’Austerlitz et entre Duroc et
La Motte-Picquet. De nouvelles sta-
tions vont voir le jour sur chacune de
ces lignes, cinq sur la ligne 8, cinq sur
la ligne 14 et deux sur la ligne 10. On
s’engage donc rapidement sur ces
chantiers avec un démarrage des tra-
vaux dès le début de 1933 sur les sec-
tions 8
bis
et 14.
La ligne 14 est ainsi mise en service
en janvier 1937 sur une première sec-
tion de 2,317km (avec raccordement
vers la ligne 12) entre Porte-de-Vanves
et Bienvenüe. Le nom du « père du
métro », Fulgence Bienvenüe aen
effet été attribué à la station Maine
après sa mort intervenue en août
1936, peu avant la mise en service. À
cette occasion, il est apparu néces-
saire de créer de nouvelles corres-
pondances entre les lignes de métro
passant à proximité de la gare Mont-
parnasse. Du côté de la place de
Rennes, juste devant la gare se croi-
saient les lignes 4 et 12, tandis que
place du Maine, on retrouvait les
lignes 5 et 14. On décida donc l’éta-
blissement d’un (long) couloir de cor-
respondance entre ces quatre lignes
dont les stations allaient porter la nou-
velle dénomination de Montparnasse-
Bienvenüe.
La ligne 14 va conserver un trafic rela-
tivement faible en raison de sa courte
longueur. Elle est donc équipée
de trains de trois voitures et il faudra
attendre les années 1970 et son
raccordement à la ligne 13 pour
qu’elle connaisse enfin une forte fré-
quentation.
La ligne 8 est prolongée sur 2,7km
jusqu’au nouveau terminus deBalard
établi à trois voies prolongées à qua-
tre en arrière-station. On construit
également un nouvel atelier d’entre-
tien à Grenelle desservi depuis la sta-
tion Lourmel par une 3
voie à quai.
La ligne 10 va nécessiter la construc-
tion d’une nouvelle section Duroc –
La Motte-Picquet.La mise en service
de ce nouveau tronçon va s’accom-
pagner d’une profonde restructura-
tion de La Motte-Picquet. La station
de la ligne 8 vers Auteuil est ainsi
reprise par la 10, une nouvelle demi-
station (à circulation à gauche) étant
établie pour la 8 au niveau inférieur.
Dans l’autre sens, les deux lignes 8 et
10 sont regroupées, les trains arrivant
dans le même sens de part et d’autre
d’un quai central, disposition unique
sur le métro.
Le remaniement complet des trois
lignes 8, 10 et 14 est intervenu la nuit
du 26 au 27juillet 1937. Les voies
ont été raccordées tandis que dans
toutes les stations on posait des pan-
neaux reprenant les nouvelles desti-
nations des lignes. Pareillement dans
les voitures, les nouveaux plans
étaient posés. Les lignes ont pu dès le
27 au matin circuler selon la nouvelle
configuration, seule la 10 étant
exploitée en deux tronçons Jussieu –
Duroc et Auteuil – La Motte-Picquet
avant mise en service complète
Auteuil – Jussieu le 29juillet. L’exten-
sion vers Austerlitz attendra 1939 et
sera la dernière mise en service avant
la guerre.
Au printemps 1937, le métro dispose
donc d’un réseau qui a beaucoup
évolué depuis l’Exposition coloniale
de 1931. La ligne 11 est entrée en
service entre Châtelet et Porte-des-
Lilas en 1935. Dans le même temps
plusieurs lignes ont été prolongées
en banlieue, la 1 à Château-de-
Vincennes et à Pont-de-Neuilly, la 3
à Pont-de-Levallois, la 9 à Pont-de-
Sèvres et Mairie-de-Montreuil, la 12
À gauche: le Pili,
encore en place
à la station Trinité,
le 20janvier 2015.
À droite: une partie
du complexe
ouvrage de
La Motte-Picquet en
amont de la station
de la ligne 10,
le 13avril 2013.
Ph.-E. Attal
Ph.-E. Attal
cœur de l’Expo. D’abord provisoire,
cette ligne a été par la suite pérennisée
après la construction d’une liaison
entre Champ-de-Mars et Saint-Lazare
par Les Moulineaux. En 1900, on avait
construit pour l’Exposition (peu avant
l’ouverture de la ligne de Versailles)
une nouvelle gare sur l’esplanade des
Invalides tout en établissant la ligne
en tranchée couverte d’Invalides à
Champ-de-Mars. Après l’événement,
on était revenu à la simple tranchée
bien que la ligne soit électrifiée par
rail. L’approche d’une nouvelle
Exposition dans ce même secteur des
Invalides et duChamp-de-Mars va
conduire une nouvelle fois à recouvrir
la tranchée entre Invalides et Champ-
de-Mars. Cette opération sera cette
fois définitive et la dalle de béton
posée est toujours en place. Elle va
entraîner ladémolition de la gare du
Pont-de-l’Almatout comme celle de
l’Avenue-de-la-Bourdonnais avec la
disparition de cette station. Autre vic-
time, la station Pont-de-Grenelle qui
disparaît également. Si les voies à cet
endroit ne sont pas recouvertes d’une
dalle, la proximité de la station Pont-
Mirabeau (aujourd’hui Javel) condam-
nait à terme l’une des deux gares.
Mieux située sur l’axe de la rue de la
Convention, c’est cette dernière qui
survivra.
L’autre gare sérieusement impactée,
c’est celle duChamp-de-Mars.On se
souvient qu’elle a vu le jour à l’occa-
sion des Expositions qui se sont tenues
là. Un bâtiment voyageurs, parti
depuis pour Bois-Colombes, a même
été construit par Juste Lisch, l’archi-
tecte de la gare Saint-Lazare. En 1900,
c’est une impressionnante gare
d’une vingtaine de voies qui est mise
en place le temps de l’Exposition. En
1937, ce faste a disparu. La station
de métro Quai-de-Grenelle (future Bir-
Hakeim) sur la ligne 5 assure la des-
serte du secteur. La couverture de la
gare sous une dalle va également limi-
ter ses emprises. L’ancienne gare de
1900 avait été reconvertie par la suite
pour les marchandises, spécialisée
dans le charbon. Les négociants y
louaient des emplacements pour éta-
blir leurs entrepôts. Attenant à la gare,
le site comportait également un dépôt
vapeur qui va bientôt servir aux
automotrices électriques de la ligne.
En mars 1935 en prévision de l’Expo-
sition, la gare de marchandises
disparaît, seul subsistant le dépôt
d’entretien du matériel roulant. Il va
fonctionner jusque dans les années
1960, relié à la ligne d’Auteuil par le
raccordement de Boulainvillers. Les
anciennes installations de la gare sont
reprises par l’Exposition qui y installe
les pavillons des provinces de France.
Dès lors, la station Champ-de-Mars
n’est plus qu’une simple gare de pas-
sage sur la ligne de Versailles.
Ces aménagements vont perdurer à
la fin de la manifestation et la ligne
des Invalides va desservir Versailles à
l’aide des rames Standard jusqu’à son
intégration en septembre 1979 à la
nouvelle ligne C du RER dans le cadre
de la transversale rive gauche.
La ligne de Sceaux,
amorce du métro régional
Sans être directement liée à l’Exposi-
tion, c’est en 1937 que la ligne de
Sceaux va être reprise par le métro
après sa modernisation. Depuis la fin
des années 1920, on commence en
effet à parler d’un réseau régional qui
viendrait accompagner le développe-
ment de la banlieue. Plusieurs plans
ont été élaborés visant à y intégrer des
lignes isolées pouvant connaître une
plus forte fréquentation après rema-
niement et modernisation. Deux lignes
semblent directement concernées,
celles de Sceaux et de Bastille. Les deux
sont exploitées en vapeur et arrivent
à Paris dans leur gare respective, au
Luxembourg et à la Bastille. Leur inté-
80-
Historail
Avril 2015
URBAIN
Ph.-E. Attal
Une nouvelle station
Bagneux est ouverte
à l’occasion
de la modernisation
de la ligne
de Sceaux,
(photo du
19février 2015).
Grand Paris Express, RER et tramways
pour l’Exposition 2025
Il n’y a eu aucune Exposition depuis 1937. Après l’abandon du projet de 1989,
on reparle à nouveau d’organiser à Paris une manifestation pour 2025. D’ici là,
les transports parisiens auront pris un sacré coup de jeune pour autant que tous les
projets envisagés soient menés à terme. La ligne 14 du métro devrait ainsi constituer
une transversale de Carrefour-Pleyel au nord jusqu’à Villejuif voire Orly au sud.
La future ligne 15 sera également en service formant presque une boucle autour
de Paris de Nanterre à Carrefour-Pleyel en passant par Rosny-Bois-Perrier et Noisy-
Champs. Même chose pour les lignes 16, 17 et 18 qui complètent la rocade amorcée,
tout en créant la liaison entre les aéroports parisiens. À cela devrait s’ajouter
un réseau de tramways du T1 au T10 sur près de 150km. Côté RER, le prolongement
de la ligne E vers La Défense et Mantes-la-Jolie devrait également être en service.
Plan de l’Exposition
offert par le chemin
de fer métropolitain.
(DR/Coll.
Ph.-E. Attal)
90-
Historail
Avril 2015
BONNES FEUILLES
Images de trains
Un Anglais sur les rails
de France
Le tomeXXV d’Images de trains,
Un Anglais sur les rails
de France,
offre un regard sur la vapeur française toujours
très active entre1962 et1967. En effet, lorsque Hugh
Ballantyne décide de photographier ce mode de traction,
en France, au 31décembre 1962, près de 2812
locomotives à vapeur sont en activité, contre 1605 électriques et 793 à moteur
thermique! À l’époque, circulent encore de nombreuses séries des anciens
réseaux, associées aux locomotives unifiées. Ainsi, au cours de trois voyages, il va
rencontrer des Pacific, Mikado et Consolidation, tout comme l’antique Crampton
80 de la Cie de Paris à Strasbourg. À cette belle cavalerie s’ajoutera celle
des chemins de fer secondaires.
E
n cet après-midi ensoleillé du 24septem-
bre 1966, dernier jour de la traction vapeur
entre Paris et LeHavre, deux photographes pas-
sionnés se rencontrent au dépôt duHavre où ils
sont venus saisir les dernières images des Paci-
fic assurant ce service. Ils sympathisent… C’est
ainsi que débuta, il y a presque 50 ans, la fidèle
amitié m’unissant à Hugh et son épouse Toni.
La locomotive à vapeur vivait ses dernières
années sur les chemins de fer de nos deux pays
respectifs. Dès lors, je fis de nombreuses visites
en Angleterre avec Hugh, notamment pour un
séjour mémorable au printemps 1968 où la
traction vapeur était encore très active dans la
région de Manchester avant de s’arrêter bru-
talement fin juin1968. Hugh, qui avait déjà
effectué deux séjours en France durant ses
vacances, y était revenu une troisième fois en
septembre1967.
En France, la disparition de la vapeur s’est effec-
tuée de façon plus progressive, et ces séjours apportèrent une riche
moisson de prises de vues.
Né en 1934, passionné de chemin de fer dès son plus jeune âge,
Hugh prit ses premières photos à la fin des années 1940, et ses der-
nières quelques semaines seulement avant sa
disparition soudaine début 2013…
Si la technique n’était pour lui qu’un moyen, il
ne la négligeait pas pour autant, travaillant avec
les meilleurs appareils, essentiellement au Leica.
Fervent admirateur de la locomotive à vapeur,
Hugh l’a non seulement abondamment immor-
talisée dans son pays natal, mais également lit-
téralement traquée sur les cinq continents. Il a
aussi beaucoup photographié les lignes secon-
daires, y compris les plus obscures. Au fil des
ans, il a réalisé plus de 150000 prises de vue.
Ses photos ont été largement publiées en
Angleterre, donnant naissance à plus de 20
albums et illustrant très fréquemment les maga-
zines spécialisés ou les publications des asso-
ciations d’amateurs.
Très engagé dans son action de mémoire et de
transmission, Hugh a également présenté et
commenté ses photos lors de nombreuses réu-
nions dans les différentes associations auxquelles il participait acti-
vement, plus particulièrement la Railway Correspondence & Travel
Society, dont il a été membre depuis 1950 et dont il fut pendant 25
ans le secrétaire du portfolio photographique, ou le Continental
Hugh, le 16juillet 2012,
en pleine action
avec son appareil Nikon.
Avril 2015
Historail
Ci-dessus: scène authentique
du service public ferroviaire
en milieu rural:
en gare de Maâtz le
17septembre 1966,
l’omnibus 1584 pour
Culmont-Chalindrey effectué
par l’X 3715, croise le TOM
21589 pour Gray.
Curieusement, la 140 C 363
a perdu, côté mécanicien,
sa plaque d’immatriculation.
L’autorail De Dietrich quant
à lui est affecté au centre
Metz-Sablon.
Ci-contre: sur le gril
du dépôt de Montluçon
le 7septembre 1967, la 230 G
364 est préparée dans
un concert de panaches
pour assurer le train de
marchandises vers Pionsat.
La cabine montée sur sa
traverse avant sert à l’agent
chargé de surveiller les
opérations de désherbage
lorsque la machine est en
charge du train désherbeur.
Page de gauche: dans un
panache de vapeur généreux,
la Mallet 403, dont la
cheminée est recouverte
d’une grille pare-escarbilles,
une situation classique sur les
CFD du Vivarais, quitte la
gare du Cheylard le 9octobre
1962 avec le train de
marchandises pour Dunières.
En arrière-plan, le long du BV,
se dresse la charmante petite
buvette de la gare.
94-
Historail
Avril 2015
Les chemins de fer français dans
la Première Guerre mondiale
Un nouveau regard sur un tournant
de la grande histoire
L
’auteur, historien connu pour ses premiers travaux sur la Com-
pagnie du Nord pionnière dans l’application de l’électricité à ses
installations fixes, propose un ouvrage de circonstance, fort bienvenu.
L’une de ses qualités évidentes, qui saute d’emblée aux yeux, tient
à la richesse et à l’intérêt de son abondante iconographie, d’autant
que sa collecte n’est pas facile, s’agissant d’une période peu propice
aux photographies. On relève une série de photos exceptionnelles
prises par Georges Mangin, que son petit-fils Didier Oberlin confiera
à l’auteur; ainsi peut-on suivre les chantiers de la « ligne 6
bis
conduisant à Verdun, décidée début 1916, pour soulager le réseau
métrique du Meusien saturé: 85km de rails, 420000m
de
terrassement, une voie unique
dans un premier temps, doublée
en 1916, bref un chantier
achevé en un temps record, soit
trois mois et demi. De même,
un soin particulier a été apporté
à la réalisation de multiples
cartes en couleurs: telles les
lignes mobilisées par les armées,
dont celles dépendant du Trans-
portation Corps
(p.342)
, ou cartes plus locales (Connantre, Is-sur-
Tille, Bassens). La bibliographie révèle la diversité des ouvrages,
articles et fonds d’archives mis à profit, notamment fonds relevant
du Service historique de la Défense, dont ceux propres à la Direction
de l’Arrière.
L’auteur a pris le parti de développer dans une série de chapitres
thématiques les diverses formes d’implication du rail: « Faire face à
la guerre » ou les préparatifs en temps de paix; « la mobilisation »,
incluant les transports de concentration préparés par le fameux plan
XVII; « les évacuations » des réseaux occupés; les transports de
troupes durant la guerre; les trains de ravitaillement; les trains sani-
taires; le transport de permissionnaires; les transports commerciaux
de marchandises, puis ceux de voyageurs civils; le rôle des sapeurs
dépendant du génie; les chantiers de destruction et reconstruction;
le rôle des chemins de fer de campagne à voie de 0,60m, avec la
reproduction du fascicule
La Voie de 0,60 aux armées,
agrémenté de
neuf aquarelles signées de Renaud, « un poilu du front »; le rôle des
« secondaires », notamment du fameux Meusien durant l’offensive
allemande sur Verdun, dont Aurélien Prévot rappelle le bric-à-brac
éclectique que forme son parc de locomotives
(p.304, p.306)
l’artillerie lourde sur voie ferrée; les transports américains et leurs
bases de Gièvres, Montoir et Bassens; le train de l’Armistice…
Évoquons quelques points particuliers. Des extraits du règlement du
4juin 1902 sur le transport des troupes
rappellent la
diversité des types de wagons couverts mêlant chevaux et hommes
– de 32, 36, 40, 44 jusqu’à 50 hommes –; d’autres extraits d’un
règlement du 26juillet 1912 traitent du matériel accessoire à ces
wagons, rampes, lampes, bancs mobiles… Un développement ori-
ginal est consacré aux locomotives mobilisées: où la guerre conduit
à reconnaître comme
« meilleures machines »
celles à quatre essieux
moteurs et à simple expansion
(p.375)
, alors que, nécessitant
idéalement une équipe expéri-
mentée et donc titulaire, les
compound se révèlent
« trop
fragiles»(p.377)
; toutefois
Aurélien Prévot évoque des 230
compound
« bien appréciées »
sur les réseaux du Nord et de
l’Est
(p.379)
; plus aptes à rouler
sur les lignes improvisées au profil difficile, telle la ligne 6
bis
, sont
les plus légères 030 et 040, en charge notamment des trains de l’ar-
tillerie lourde sur voie ferrée (ALVF). Ou plus lourdes quoiqu’aptes
à rouler sur des rails de 30kg, machines Mikado 141, ou Consoli-
dation 140 de l’État commandées en grande série outre-Manche
pour leurs qualités éprouvées. Côté humain, le blindage ou le
camouflage des locomotives conduit à d’étonnants dispositifs,
qu’illustrent la surprenante 021 n°457 blindée de l’Est
(p.387)
ou une Bourbonnais PLM de l’ALVF hérissée de planches de bois
et dont la silhouette tient du porc-épic
(p.391).
Parmi les épisodes de la guerre, la défense ferroviaire de Verdun et
son réseau complexe de voies d’accès sont longuement évoqués
: Meusien à voie métrique, précieux moyen d’éva-
cuation des malades et blessés
(p.155)
, ligne 6
bis
que complétera
enfin la fameuse « Voie sacrée » plus connue mais routière… La
« crise des transports » qui sévit à l’intérieur et culminera début
, aurait pu être plus développée: l’offre réduite
de trains de voyageurs et de marchandises résulte certes largement
de la priorité absolue accordée aux besoins des militaires en TCO
Un ouvrage de circonstance,
fort bienvenu, dont la qualité
technique irréprochable
doit être soulignée!
LIVRE
Avril 2015
Historail
(trains en cours d’opération), mais aussi et plus précisément
de wagons trop souvent accaparés par l’Intendance militaire,
ou de wagons-foudres dont la rareté est organisée par leurs
propriétaires ou loueurs… De quoi faire monter leurs tarifs!
Ceci dit, on peut regretter l’absence de comparaison quant à
« l’arme ferroviaire » dont disposent les deux principaux
camps antagonistes et il reste bon nombre de thèmes à explo-
rer ou à approfondir. On aurait souhaité que soit évoqué
le quotidien des cheminots, mobilisés par exemple derrière
le front dans les sections de chemin de fer de campagne, ou
à l’arrière dans les ateliers du Matériel reconvertis en usines de
guerre, ou celui des femmes « cheminotes » intérimaires.
Faut-il rappeler que des conditions de travail aggravées et un
pouvoir d’achat rongé par une inflation galopante contri-
bueront en février1917 à la fusion entre les trois principales
organisations divisées avant guerre, le
Syndicat national des
employés et ouvriers des chemins de fer
affilié à la CGT, la
Fédération des mécaniciens et chauffeurs
et la
Fédération
des personnels des chemins de fer
en une
Fédération natio-
nale des travailleurs des chemins de fer de France
(CGT) qui
célébrera bientôt son centenaire? Une étape décisive dans
l’histoire sociale et syndicale des cheminots. Où, d’un côté,
prenant conscience du handicap que constitue l’hétérogé-
néité technique et sociale des grands réseaux, limitant leurs
échanges de wagons, le ministre Claveille jouera un rôle déci-
sif pour faire imposer aux compagnies un statut commun à
l’ensemble de leurs agents, inspiré du statut qu’il avait octroyé
aux agents du réseau de l’État en 1912 alors qu’il en était le
directeur. Où, de l’autre, cette mosaïque de règlements et
techniques incompatibles fortifiera l’argument des syndicalistes
en faveur de la nationalisation de tous les réseaux français
au sortir de la Grande Guerre.
Reste toujours à élucider le sort des cheminots du Nord rete-
nus dans la zone d’occupation allemande. Dans un utile index des
noms, on relève l’absence de Raoul Dautry dont le chantier de
construction de « la voie des Cent-Jours » servira de tremplin à sa
glorieuse carrière: ligne à double voie reliant la ligne du littoral à
celle d’Abancourt à Saint-Omer-en-Chaussée, réalisée en trois mois,
bref laps de temps imposé par les militaires et défi relevé par cet
ingénieur de la Voie encore de second plan.
La trop brève conclusion d’Aurélien Prévot
(p.410)
laisse sceptique:
il souligne l’effort convergent et consensuel des compagnies qui,
tout en conjuguant obligations civiles et exigences militaires, ont
fait preuve d’un patriotisme sans faille et ont pu compter sur le
concours dévoué de leurs agents, sans antagonismes ou conflits
déclarés avec leurs autorités tutélaires civiles ou militaires, comme
avec leurs agents soudés dans l’adversité et très revendicatifs… On
sait pourtant comment le régime d’une double autorité civile et
militaire ne s’exerça pas sur les agents sans frottement ou contra-
diction, qu’illustre la fameuse catastrophe de Saint-Michel-
de-Maurienne à peine évoquée
(p.184)
, objet de l’enquête très
détaillée d’André Pallatier (
Le Tragique Destin d’un train de permis-
sionnaires, Maurienne 12décembre 1917,
L’Harmattan, 2013). En
cela, le livre d’Aurélien Prévot ne déroge pas à la tonalité bien lissée
des ouvrages de référence rédigés après guerre, d’origine militaire
(colonel Le Hénaff et capitaine Henri Bornecque,
Les Chemins de
fer français et la guerre,
1922) ou ferroviaire (Marcel Peschaud,
Chemins de fer pendant et après la guerre,
1921;
Politique et fonc-
tionnement des transports par chemins de fer pendant la guerre,
1926; A. Marchand,
Les Chemins de fer de l’Est et la guerre de
Ceci dit, on l’aura compris, saluons un ouvrage bienvenu dont la
qualité technique irréprochable doit être aussi soulignée!
G. Ribeill
Un ouvrage de 424 pages au format 21 x 28,5 cm avec de nom-
breuses illustrations et cartes. En vente à la librairie de
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Avril 2015
Historail
reprise des concessions dès
le lendemain du coup
d’État, bénéficiant d’un
soutien politique résolu; où
le chemin de fer se révèle
aussi comme
« une matière
électorale opportune »
soutien des candidats offi-
ciels, ou l’expression abou-
tie et critiquée d’une
« féodalité industrielle »
(Proudhon); de quoi susci-
ter en 1865 la concession
faite aux
« décentralisa-
teurs »
par l’Empire libéral
du premier régime de
« voies ferrées d’intérêt
local »
uteur autoédité
depuis 1982, Jean-
Marc Truchet s’était
déjà intéressé à la ligne
Maginot dans sa partie mal
connue autour de Menton.
Ici, il retrace les destructions
de nombreux ponts et
tunnels, ferrés et routiers,
opérées à partir de mai-juin
1940, d’origine allemande
ou française, suivies de leur
éventuelle reconstruction
jusqu’en 1948. Le décou-
page régional géogra-
phique ignore la chronolo-
gie: période de première
reconstruction, que le
Service de la Reconstruction
de la SNCF célébra par
l’édition d’un luxueux
ouvrage
(La Reconstruction
des ouvrages d’art du che-
min de fer). L’œuvre des
services de la SNCF et des
entreprises privées (juillet
1940-juillet 1942);
nou-
velles destructions des
Alliés, au printemps 1944,
avant et après le débarque-
ment en Normandie; nou-
velle période de reconstruc-
tions… La spécificité de
l’ouvrage réside dans les
nombreux documents et
photos émanant du Centre
d’études supérieures du
génie ou de collections pri-
vées. Un rappel historique
des
« dispositifs de mine
permanents »
qu’édicte le
ministère de la Guerre en
(p.15)
est fait.
ouis Caillot consacre
un dossier
bien documenté et
illustré aux locomotives à
vapeur de guerre alle-
mandes, les
Kriegsdampf –
lokomotiven
ou KDL. Un
impressionnant programme
de construction est élaboré
sur les directives du ministre
Speer nommé en février
1942, décliné en plusieurs
types de locomotives, la
construction étant répartie
dans les usines allemandes
et des territoires occupés;
en France, ainsi, KDL 4 dites
ELNA, KDL 5 et KDL 6 sont
respectivement confiées
aux ateliers du Creusot, de
Marine-Saint-Chamond et
de Corpet-Louvet.
Les entreprises françaises
de construction ferroviaire
n’ont pas ainsi chômé,
sous Vichy! On avait déjà
évoqué dans un article
Historail
(n°7, octobre
« l’heu-
reuse opportunité »
furent les commandes alle-
mandes de locomotives et
wagons durant la Seconde
Guerre mondiale, dont les
Decapod 150 X,
« filles
de la collaboration écono-
mique »
De quoi entretenir l’outil-
lage et protéger surtout la
main-d’œuvre des ateliers
français de construction
ferroviaire des prédations
allemandes. Dans l’urgence
redoublée de restaurer
les capacités de produc-
tion de ces ateliers dès
la Libération, il ne fut
demandé aucun compte à
ces entreprises sur leurs
éventuels
« profits de
guerre. »
Georges Ribeill
REVUE
JEAN-MARC TRUCHET
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et reconstruction
d’ouvrages d’art
en France,
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La Plume du Temps, 134 pp.,
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Dans ce nouveau livre, sont rassemblées les innombrables séries
de locomotives à vapeur ayant appartenu à la Compagnie de l’État,
qui a fusionné en 1909 avec celle de l’Ouest, de leurs débuts
à leur extinction sous le règne de la région Ouest de la SNCF.
Parmi les séries passées en revue, plusieurs d’entre elles auront eu une
vie tronquée et disparaîtront avec la nationalisation. Certaines comme
les Mountain ou les Mikado ont été de fières figures au service du trafic
voyageurs et marchandises. Outre le bataillon des 220, Atlantic et Ten
Wheel, déchues du trafic express, figurent ici un panel de machines sans
gloire mais qui méritent elles aussi une ode. Pour offrir un panorama
intégral nous reviendrons sur les Pacific, Consolidation et la galaxie
des machines-tenders, dont une part a activement été employée
en banlieue parisienne.
Format: 210mm x 297mm. 160 pages.
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