Sur la portion Latour-de-Carol – Ax-les-Thermes de la ligne menant à Toulouse, le maintien du trafic en cas de fort enneigement dépend du chasse-neige. La menace qui pèse sur la pérennité de ce dernier, rentabilité oblige, met donc en péril la viabilité de ce tronçon de ligne. Sur le terrain des cheminots se battent au quotidien pour préserver un fragile statu quo…
Il est 4 h 30, j’ai déjà les yeux ouverts avant la sonnerie du réveil. Je regarde par la petite fenêtre de ma chambre située dans le long bâtiment de la gare de Latour-de-Carol-Enveitg, en Cerdagne. Pas un bruit, pas un mouvement, pas un flocon, pas un brin de vent.
J’avais dit à Julien que je me lèverais si et seulement si les conditions météo étaient propices, c’est-à-dire avec neige et vent.
Là, seules les étoiles scintillent dans le ciel noir.
4 h 35. Allez, debout ! De toute façon je me connais, je ne me rendormirai pas. Douche vite prise, un café et deux tartines de pain de mie pour petit-déjeuner. Je sors du bâtiment retrouver toute l’équipe dans le local appartenant à l’Infra (pôle responsable du matériel et des voies).
Sont présents ce matin Éric, Julien, Pedro et Raphaël.
– Salut les gars, fait pas chaud mais fait pas mauvais.
– Oui, -7,6 °C, me répond Éric, 57 ans trapu et solide comme un montagnard,
chef des opérations de déneigement ce matin.
Il est au téléphone avec l’agent circulation d’Ax-les-Thermes pour lui poser une demande de fermeture de voie, seul moyen de partir en toute sécurité sur le parcours Latour-de-Carol – Ax-les-Thermes.
Latour – Ax : 40 bornes de voie ferrée partant de 1 200 m d’altitude dans les Pyrénées-Orientales et descendant jusqu’à 700 m côté Ariège. À Porté-Puymorens (1 562 m, gare la plus haute de France), la voie s’engouffre dans un tunnel sous le col du Puymorens, bien connu pour son accès en Andorre mais souvent fermé l’hiver à cause des conditions climatiques dantesques qui peuvent régner dès que le vent se met à souffler. Pas de vent ce matin mais sait-on jamais. Une fois que CN 2 aura parcouru les 5 000 m du tunnel du Puymorens, quelle météo trouvera-t-il de l’autre côté ?
CN 2 c’est le chasse-neige n° 2, une vénérable machine électrique de la série 8500 !
21 m de long, 82 t de métal au service d’une technicité vieille de 40 ans !
Un joli monstre équipé de deux étraves pour se frayer un chemin dans la houle poudreuse !
Une machine au service de l’Infra qui assure le déneigement de la ligne, mais qui risque de ne pas survivre aux départs en retraite des derniers détenteurs d’un certain savoir-faire… et au tarissement du stock des pièces détachées !
Karine, la seule conductrice du chasse-neige de l’Infra, m’explique qu’ici, en plus d’une attention visuelle particulière, elle conduit aussi à l’écoute, en ressentant tous les sons et mouvements de Sa machine.
Sa Machine car comme les autres conducteurs de l’Infra, Karine lui voue un profond attachement. Elle sait pertinemment que la survie du chasse-neige est le garant d’un volume de travail hivernal et c’est pour cela qu’elle lui porte autant d’attention, qu’elle le chouchoute comme ses enfants.
Mais plus encore, tous ces travailleurs de l’ombre (et du froid !) sont fiers de ce qu’ils accomplissent avec leur machine. Aussi, ils l’entretiennent du mieux qu’ils peuvent. En cas de panne ou de soupçons, contact est pris, photos à l’appui, avec le service Mobiloc pour qu’un camion de dépannage puisse se déplacer afin de réparer au plus vite.
Car la mission du chasse-neige ne peut être arrêtée ou compromise. Il y a une ligne ferroviaire à maintenir en exploitation. Et quelle ligne !…
Un peu d’histoire pour comprendre la particularité de l’axe Toulouse – Latour…
Une réalisation tardive, une électrification précoce
Dès 1865, une commission mixte franco-espagnole fut instaurée pour développer les relations par chemin de fer entre les deux États. Pas moins de 12 projets furent présentés, dont une liaison entre Toulouse et Ripoll rejoignant un axe à destination de Barcelone.
Par ce biais, la France recherchait le moyen le plus court de relier Paris à ses colonies d’Afrique du Nord, en limitant le recours à la voie maritime.
On choisit d’utiliser le chemin de fer de Paris à Barcelone par la distance la plus faible, donc via Orléans, Limoges, Toulouse et une nouvelle traversée pyrénéenne.
Néanmoins, côté français, l’essor du chemin de fer n’avait pas attendu la conclusion de ce protocole. Une première convention en 1857 avait entériné la construction d’une ligne reliant Portet-sur-Garonne à Foix, à partir de l’axe Toulouse – Bayonne.
Un régional de l’étape, Théophile Delcassé, ministre des Affaires étrangères de Napoléon III et natif de Pamiers, fut partie prenante de ce choix.
Mise en service en deux temps, en 1861 jusqu’à Pamiers et en 1862 jusqu’à Foix, cette réalisation devait constituer le premier maillon d’un transpyrénéen oriental. Le train entamait sa remontée de l’Ariège pour atteindre Tarascon en 1877 et Ax-les-Thermes en 1888.
En revanche, l’achèvement de la section entre Ax-les-Thermes et Latour-de-Carol dut patienter puisque le traité international ne fut signé qu’en 1904. Sa réalisation fut ralentie par la difficulté de son tracé escarpé, par le percement d’un tunnel au Puymorens de plus de 5 km et évidemment par les conséquences de la Première Guerre mondiale.