Ces « nez cassés » monocourant 25 kV ont longtemps fait partie de l’élite de la cavalerie électrique de la SNCF, dont elles sont les incontestables championnes en termes de kilomètres parcourus. Aujourd’hui, chassées de leur fief de l’Est par la grande vitesse et les BB 26000, elles sont menacées dans leurs bastions normand et nordique par les nouvelles générations de matériels automoteurs, qui ont le vent en poupe. Mais la partie n’est pas encore finie…
Appartenant à la grande trilogie de locomotives électriques dite des « nez cassés », développant 4 400 kW et aptes à 160 km/h, comportant les BB 7200 à 1,5 kV et les BB 22200 bicourant, les BB 15000 sont les dernières machines construites en France pour fonctionner sous caténaire monophasé 25 kV. Avec leur composant électronique révolutionnant la conception de la chaîne de traction et des circuits de puissance, elles allaient entrer de plain-pied dans l’ère de l’électronique qui va marquer l’abandon de l’électromécanique traditionnelle et autoriser un allongement des pas de révision.
Leur construction démarrée au début de la décennie 1970 s’est poursuivie jusqu’à l’année 1978 avec la réception de la BB 15064 le 17 octobre à Strasbourg. Conçues comme engins universels pour tous services, avec dispositif de vitesse imposée, elles se sont implantées sur tout le territoire national, d’abord principalement en tête des trains rapides et express, puis sur des messageries et marchandises. Elles auront été présentes assidûment d’Amiens à Strasbourg, du Havre à Montbéliard, de Dunkerque à Bâle, de Cherbourg à Charleville-Mézières, et fréquenté trois des gares terminus parisiennes de l’Est, du Nord, de Saint-Lazare. Plus près de nous, leur usage devenu possible avec application de la marche en réversibilité s’est aussi développé en trafic TER.
Légèrement concurrencées par leurs consœurs les BB 22000, elles ont ensuite dû composer avec les Sybic (BB 26000), plus puissantes et plus rapides, aux débuts particulièrement douloureux. Mais c’est surtout l’apparition des rames TGV qui leur a fait un tort terrible sur les grands axes doublés par des lignes à grande vitesse, dont le nombre s’est multiplié entre 1981 et 2017. Dans le domaine du fret, l’arrivée des BB 27000, 36000, 37000, puis des machines d’opérateurs privés, conjuguée à la chute drastique du volume des transports confiés au fer ont fini de saper leurs prérogatives.
Ayant cependant résisté au mouvement de modernisation des parcs, elles ont vu leurs effectifs régresser légèrement, tombant en début d’année 2019 de 65 à 55, soit une perte de 10 machines, dont plusieurs ont été victimes d’accidents d’exploitation graves.
Alors qu’un bon tiers des effectifs des trois séries sœurs a passé le cap de la quarantaine, les cinq premières 15000 se rapprochent des 50 ans de service. Mais elles voguent maintenant vers un amortissement inéluctable qui s’accélérera au début de la décennie 2020 du fait d’événements divers, tendant notamment à éliminer les rames tractées au profit d’automotrices.
Avant de nous plonger dans leur programme actuel, notablement édulcoré, un raccourci sur leurs pérégrinations multiples depuis leur entrée en scène nous semble particulièrement mérité, d’autant qu’elles auront largement répondu aux attentes des concepteurs. Les BB 15000 les premières réceptionnées sont de véritables icônes nationales en matière de palmarès kilométriques.
D’abord à l’Est, puis également au Nord
Ne disposant que d’un seul pantographe unijambiste type AM 18 U, cette série d’une masse de 90 t sera la première de la confrérie des trois « nez cassés » à apparaître sur le jeune réseau Est, qui a un besoin crucial de machines de vitesse. Elle a été commandée selon plusieurs marchés, d’abord le 19 juin 1968 pour cinq machines 15001-15005, lesquelles, revêtues d’une livrée vert bronze inattendue, seront affectées au dépôt de Strasbourg, détenteur alors de BB 16000, 13000, et des prototypes bifréquence BB 20101-20104, entre juillet 1971 et octobre 1972. Au terme d’essais en ligne très prometteurs, ce petit lot est sans retard engagé en tête de trains nobles de la radiale Paris – Nancy – Strasbourg dont les TEE Stanislas et Kléber, bénéficiant de plusieurs relèvements de vitesse en ligne à 160 km/h, à la place de BB 16000, qui tiennent le haut du pavé depuis 1958.
La deuxième commande, passée à Alsthom le 31 décembre 1969, porte sur les 15006-15015, dotées de la nouvelle livrée dite TEE rouge, orange et gris, reçue dans leur cantonnement alsacien devenu pour un temps le point de mire national entre novembre 1972 et juillet 1974. Ce nouvel apport permet d’étoffer le roulement peu ambitieux d’origine avec prise en compte de trains de voyageurs Paris – Reims – Charleville repris par des BB 13000 vers Longwy, Luxembourg ; Paris – Metz dont le TEE Goethe (joignant Francfort) et ceux transversaux internationaux du courant Luxembourg – Metz – Strasbourg – Bâle. Des trains de messageries notamment nocturnes leur sont confiés entre Noisy-le-Sec et les triages de Jarville, Strasbourg-Cronenbourg, Metz-Sablon et de Vrigne-Meuse près Lumes à Metz.
Dirigée à l’été 1974 vers l’atelier directeur de Hellemmes, la 15007 en ressort transformée en décembre en BB 7003 avec attachement au dépôt Sud-Est de Villeneuve, pour la définition des éléments continu des futures BB 7200 et 22200.