Dernière étape de ce voyage, le retour… Un retour « multimodal » avec un autocar russe fatigué, un train polonais « international », un train à grande vitesse allemand peu véloce et pour finir un Thalys sans histoires…
Paris, mardi 23 mai 2017
Le Caucase, la meute de chiens, le train psychédélique au fond des gorges, c’était il y a deux mois. Pourtant, le souvenir ne s’estompe pas. Au retour, je n’ai pas sorti le carnet ni le stylo. J’étais occupé à ne rien à faire, sans être appelé ni attendu, et concentré sur les étapes du voyage, certaines plus agréables que d’autres.
Après quelques bonnes bières dans un bar de Krasnodar, dans une odeur de feu de bois qui nous faisait un peu honte, j’ai quitté Pierre, Christophe et Fred à la gare. Ils devaient prendre un bus qui n’est jamais arrivé pour l’aéroport, alors ils ont pris un taxi. J’ai pris un billet, et me suis installé peu après dans le train de nuit pour Rossoch. Au matin, le train a passé sans s’arrêter un chapelet de gares dont certaines – sans exagérer – à peine plus larges que le panneau du nom de l’arrêt, malheureusement difficiles à photographier, puisque l’on ne s’y arrêtait pas. Les panneaux étaient grands, mais quand même, l’ensemble, permettant d’accéder au mieux à deux portes du train, était plutôt incongru. Un peu d’exotisme encore avec les morceaux de route amovibles façon pont-levis pour passer aux automobilistes l’envie de franchir un passage à niveau fermé. Relativement dissuasif, en effet. Le train a fini sa course dans une gare qui semble-t-il vend plus de miel que de tickets. Il y a à Rossoch quatre ou cinq kiosques par plateforme, qui alignent des étalages de pots plus ou moins gros et plus ou moins jaunes. J’en ai pris un, de 5 kg. C’est certes un peu encombrant, mais il était bon, crémeux, et ça fait quelque chose à offrir, du « miel de steppe de Russie de la gare de Rossoch ».
Mon voyage jusqu’à Belgorod étant « multimodal », m’avait prévenu la guichetière de Krasnodar, la suite se déroulait dans un vieil autocar des RZD qui n’avait pas dû être dépoussiéré depuis deux ou trois ans ; ou depuis son achat, allez savoir. Une odeur de maison oubliée flottait dans l’atmosphère. Nous étions 15. Le bus est parti sous un ciel grisonnant, dans un paysage… Autant le dire, triste à mourir. Un paysage sans couleur dans une région déshéritée, une route en travaux un peu désordonnés avec des engins de chantier conduits par des vieux, des taches de neige de-ci de-là sur un sol rugueux et sombre ou dans une petite forêt noire, un village de loin en loin. Ma voisine de devant, la quarantaine aux cheveux noirs, lisait un journal pourtant récent qui était jauni par je ne sais quel miracle comme ceux du grenier de l’ancêtre, s’arrêtant avec envie sur la page des bottines, précédant étrangement une page sur un musée et la suivante sur une icône orthodoxe. Les autres, moi inclus, regardaient silencieusement par la fenêtre. À l’arrêt pipi, dans une petite gare routière, un reste de chien gisait sur l’asphalte fissuré. On ne le remarquait qu’à peine, tellement il était méconnaissable et desséché. Il s’était fait rouler dessus, et pas qu’une seule fois. Je ne voyais plus que ça, avec la certitude que ce bitume usé et ces restes d’os et de poils existaient autant que ma conscience d’être vivant. Pour clôturer le tableau et signer la sortie de la Russie, la pluie est arrivée avec l’obscurité à Belgorod.