L’usine ferroviaire d’Alstom à Belfort a senti passer le vent du boulet. L’émoi a été considérable à l’idée de devoir fermer le site historique du TGV. L’affaire a été provisoirement résolue par le gouvernement. Elle illustre le désamour entre SNCF et Alstom. Et souligne la divergence d’intérêts entre les deux acteurs essentiels du ferroviaire en France, que l’absence affligeante de vision de l’État ne fait qu’accentuer. L’affaire n’est pas d’hier…
Novembre 2000. François Lacôte quitte la SNCF pour Alstom, dont il devient Senior vice président et directeur Technique. François Lacôte, directeur du Matériel de la SNCF, est entré en TGV avec les rames Atlantique. C’est à lui qu’on doit d’être passé à 300 km/h au lieu de 270. Il est l’homme du record de 1990, à 515,3 km/h. Et c’est lui qui, avec Louis-Marie Cléon, a mis au point le TGV Duplex. Le transfert de Lacôte est un symbole. Les TGV ont été conçus par la SNCF. On considérait alors les industriels comme des manufacturiers spécialisés (mécanique, traction), qui réalisent ce qui a été conçu dans les bureaux d’études de l’entreprise historique, leader de la filière.
Les contrats étaient alors passés avec des groupements. Le schéma a fait ses preuves. Système vertueux, souligne un spécialiste, et les constructeurs et l’exploitant travaillaient alors en confiance. Mais il ne répond plus aux normes européennes ou aux moeurs industrielles. On entre dans un autre monde. Des industriels concurrents, devenus multispécialistes, vont proposer des solutions à des appels d’offres fonctionnels. Louis Gallois, nommé président de la SNCF en 1997, connaît la musique. Il vient de l’aéronautique, où c’est la règle. Les compagnies aériennes, répète-t-il, ne conçoivent pas les avions ! Il faut changer la nature et les missions de la toute puissante direction du Matériel. Pas simple. Si la SNCF est un État dans l’État, la direction du Matériel de la rue Traversière, à Paris, est un État dans cet État. Désormais, elle n’aura plus pour tâche de concevoir les matériels, mais de formuler les besoins et d’acheter les solutions. Gallois tente de convaincre les ingénieurs : ce n’est pas une perte de savoir-faire, c’est une métamorphose. Savoir acheter, savoir faire faire, c’est tout un art.