Au temps du Mandchoukouo (1931-1945)
La victoire du Japon en 1905 met un coup d’arrêt à l’impérialisme ferroviaire russe en Mandchourie. Il impose son hégémonie à travers la toute puissante compagnie du South Manchuria Railway. Mais le SMR, à la fin des années 20, est confronté au développement de lignes chinoises concurrentes, soutenu par les nationalistes de Nankin. Aussi, l’armée japonaise du Kwantung qui tient garnison dans la zone du chemin de fer, prend l’initiative en 1931 d’envahir la Mandchourie, puis en 1932 de créer l’État fantoche du Mandchoukouo. Devenu un outil au service des militaires, le SMR se recentre sur ses activités ferroviaires. Son réseau qui dépasse 11 000 km et ses express carénés sont au coeur de la propagande. Jusqu’à l’invasion soviétique et au désastre final de 1945…
Par une après-midi d’automne 1938, le super express Asia quitte la gare de Hsinking, la « nouvelle capitale » du Mandchoukouo. Il emporte un couple en voyage de noces à Pékin : « l’express de la lune de miel démarre ». Les jeunes mariés « deviennent un peu plus familiers l’un à l’autre » alors que le train entre en gare de Moukden où ils prennent la correspondance pour la capitale de la Chine du Nord. « Ils sont maintenant dans un wagon-lit, leur chambre nuptiale. À l’arrêt de Chin-hsien [Jinzhou], monte dans le tain, accompagné de sa maîtresse, un homme d’affaires poursuivi par « son épouse hystérique », puis un vieux couple… « Le train quitte la gare de Chin-hsien avec trois couples, âgé, d’âge moyen et de jeunes mariés, un drôle de larron et la charmante maîtresse, tous à bord d’un même train, une série d’épisodes comiques ont lieu avant qu’il atteigne son terminus… Pékin ». C’est ainsi que le magazine de propagande Manchuria de juillet 1939 présente Honeymoon Express. Le SMR est partout dans cette réalisation : elle met en scène ses trains de prestige, la société de production est l’une de ses multiples filiales et la vedette féminine, Li Hsianlan, est la fille d’un cadre de sa mine de charbon de Fushun. Bien que japonaise, ce que le public ignore, cette soprano née Yamaguchi Shuko (1920-2014) parlant un mandarin parfait, joue sous un nom de scène chinois dans des films « collabos »… Le responsable des studios de Hsinking, Amakasu Masahiko (1891-1945) est un officier de la Kempeitai, la « Gestapo japonaise » ; condamné pour l’assassinat de trois anarchistes en 1923, libéré, il a été envoyé par l’armée en mission d’étude en Europe où il a fréquenté les milieux culturels de Paris, visité les studios UFA de Berlin et Cinecittà, puis il a rejoint le département de recherche du SMR et participé aux activités secrètes préparant l’invasion de la Mandchourie. Les comédies cinématographiques ou le modernisme des trains constituent la vitrine futuriste et séduisante du Mandchoukouo. Mais ce paravent couvre un régime de coercition et de violence.