C’est avec une profonde conviction que je considère la stratégie décidée en 1966 en faveur d’une SNCF émancipée de « l’État-patron » et dotée d’une plus grande liberté commerciale comme l’événement historique le plus décisif qu’ait connu la SNCF depuis sa création en 1938. D’autres avanceront que c’est plutôt la révolution technique qu’incarne le TGV depuis 1981. À quoi il est facile de répondre que celle-ci a été rendue possible et efficiente grâce aux réformes décidées en 1966, s’agissant notamment de la politique de la recherche de la SNCF. Occasion de rendre un hommage à Roger Guibert (1907-1992), l’inspirateur de ce virage, aussitôt nommé directeur général le 1er février 19661.
Une carrière au contact de la concurrence routière
Roger Guibert est né dans un environnement familial cheminot. Son père, Aristide (1865-1943), polytechnicien, ingénieur des Ponts, a fait carrière à l’Ouest puis au réseau de l’État tout imprégné de la culture de Dautry. Lui-même, entré à Polytechnique en 1926 et bien classé à la sortie, choisit le corps des Ponts et Chaussées, avant de pantoufler au Nord en 1934, tout en prolongeant son cursus jusqu’à l’obtention d’une thèse de droit. Consacrée au statut juridique des transports routiers à l’heure d’une politique de « coordination rail-route » visant à tempérer la concurrence du mode routier, au statut juridique des transports routiers, son étude témoigne d’une sensibilité précoce et rare à cette compétition à armes inégales
Chargé de ce sujet au service commercial de la SNCF, c’est ainsi que Guibert va fonder la SCETA en 1942: vouée à ses débuts à la reprise du contrôle des filiales routières des anciens réseaux, cet embryon allait connaître une croissance rapide, devenu « le bras routier de la SNCF », suite au rachat de sociétés routières 3 ou à la création de filiales en charge d’un service de porte-à-porte grâce aux techniques de la conteneurisation et du transport combiné. Guibert signe en 1954 un substantiel livre de réflexions sur la politique économique des transports, où il élabore des propositions pour restaurer une compétition à armes égales entre le rail et la route, livre auquel son patron, le directeur général Louis Armand, rend ainsi hommage dans sa préface: « Son étude, pénétrante, est à la base d’un programme constructif qui forme un tout cohérent », en plaidant non pas la cause du chemin de fer mais celle du pays, des intérêts de la collectivité, « raison d’être du Chemin de fer et des Cheminots ».