Peu de gens connaissent le véritable rôle qu’a joué le chemin de fer dans la libération de la France, des semaines qui ont précédé le débarquement de juin 1944 en Normandie, jusqu’à la libération des dernières villes occupées en 1945. Dès les premiers mois suivant la capitulation, le chemin de fer français est placé sous le contrôle de l’occupant et les cheminots vivent, ou plutôt survivent, dans des conditions difficiles. La résistance va s’organiser, non seulement pour compliquer la tâche des Allemands au quotidien, mais aussi pour préparer une future bataille à livrer. Que ce soit dans les rangs anonymes de ces combattants de l’ombre ou au sein du commandement allié au Royaume-Uni et aux États-Unis, on sait que le chemin de fer va devoir jouer un rôle capital. Peu d’ouvrages ont abordé l’aspect ferroviaire de cette bataille d’amont, qui va mobiliser des moyens logistiques et techniques jusqu’alors jamais vus. Et dès les premiers jours qui suivront le Débarquement, des matériels ferroviaires seront déchargés à même les plages alors que le génie va s’activer pour transformer Cherbourg en port de débarquement, équipé de voies ferrées. Pendant des mois, ce port normand va voir arriver par milliers des locomotives, locotracteurs, wagons, voitures, pièces détachées et matériels de voie. S’y ajoutent les contingents complets de soldats-cheminots du MRS qui vont déployer ces moyens lourds sur le sol français, suivant de près les troupes au combat qui avancent vers l’Allemagne. Entre 1944 et 1945 le chemin de fer français va revivre, se transformer, et être un des acteurs de la réussite de la victoire alliée. Cette renaissance et cet engagement ne se feront cependant pas sans heurt. La cohabitation entre cheminots français et soldats-cheminots des forces alliées va créer de nombreuses frictions. Différences culturelles entre des Français connaissant leur réseau, prêts à s’engager dans la bataille, et des militaires, certes généralement employés des compagnies de chemin de fer dans le civil, mais aussi équipés d’un revolver et d’un casque lourd, et venus d’un autre continent, avec leurs méthodes et des pratiques étrangères, mais surtout une langue différente.
L’histoire officielle a souvent occulté ces problèmes, préférant mettre en avant une coopération sans ombrage. Et pourtant, même les rapports du haut commandement allié reconnaîtront, après-guerre, cette méconnaissance de la langue française par les soldats-cheminots alliés comme une des plus grosses faiblesses d’un plan logistique pourtant extrêmement bien préparé. Parmi les matériels débarqués par les Alliés, au même titre que les Jeep et les Dodge restées après la Libération et réutilisées sur le sol français, on retrouvera des locomotives made in USA, mais aussi des wagons, alors que certains autres matériels repartiront sur le sol britannique ou américain après seulement quelques mois passés en France. D’autres matériels encore, comme certains wagons, n’auront qu’une carrière éphémère puisque construits rapidement et prévus spécifiquement pour ne servir que quelques mois, en respectant les contraintes d’approvisionnement de la guerre. En préparant cet ouvrage, j’ai pu approfondir des thèmes qui jusqu’à présent n’avaient été généralement que survolés. Grâce à une iconographie riche, issue des fonds de l’US Army et des rapports militaires détaillés et déclassifiés mais jamais traduits en français, j’ai découvert des aspects historiques passionnants, méconnus. Je souhaite aux lecteurs de prendre autant de plaisir à parcourir ce récit imagé d’une période difficile que j’ai eu à coeur de vouloir rendre hommage à ceux qui ont oeuvré, à leur niveau et dans leur spécialisation ferroviaire, à la victoire. (…) Extrait de l’avant-propos de Vincent Cuny
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